6.0 (Le Pacte)
Bon, foi d'Ernesto Pinambourg, on risque de passer aux choses sérieuses... Je vous dis ça, je dis rien. Pourtant, Jésus et Raymond qui s'éloignent en catimini, alors que la fête bat son plein, perso, je trouve ça un peu surprenant. Et puis, je sens que ça va être un peu plus sérieux, là. Z'allez dire que je me la raconte un peu, mais vous ne voyez pas la tête du Jésus... Tout concentré, qu'il est. L'air de celui qui prépare son coup sans en avoir l'air. Vous pensez toujours qu'on fait encore dans l'anodin ?
Non, hein ? Et si je les suivais pour vous faire entrer dans...le secret du Dieu ? Oui, je sais, elle est bien bonne. En attendant, si vous ne vous décidez pas à me répondre rapidement, on va rater tout le début, ou atterrir pendant une page de pub.
Alors, on y va ?
Yes ? Super ! Alors, j'enfile mes semelles en crêpe de la Chandeleur, et je me glisse dans l'obscurité sans faire de bruit, quelques pas derrière eux. Et puis, je vais me faire oublier, mais sans vous oublier, vous. Question de principe. C'est parti.
Chut !
******
Maintenant qu'ils ne sont plus au milieu du troupeau, la nuit prend toute sa place. Le ciel noir profond, constellé de minuscules points blancs et brillants, s'impose en silence. Pas d'étoiles filantes, pas même de lune majestueuse. Elle est masquée par les touffues de grands ifs et de vénérables cyprès. Ceux-là forment une clairière, pendant qu'au centre quelques rochers trônent en arc en cercle. Ils n'attendent que les popotins des deux visiteurs...
De vieux oliviers tarabiscotés tendent leurs branches au-dessus d'eux, laissant à croire qu'ils voudraient aussi profiter de la conversation.
La paix règne, à peine perturbée par les crissements brefs et clairs de leurs pas sur le sable pierreux. La chaleur redoutable du jour s'est envolée. Il n'en reste que la reposante douceur. Planqué sous quelque arbuste rabougri, un renard observe sans broncher. Puis, jugeant sans doute que les humains sont maintenant trop proches de lui, il disparaît sans bruit, laissant quelques feuilles s'émouvoir d'un léger courant d'air. Jésus et Raymond avancent et s'asseyent.
******
Jésus se décide à parler. Faut dire que Raymond la boucle avec obstination. Allez savoir ce que peut bien s'imaginer le vieux machin. Seuls dans une clairière isolée... C'est qu'il a pas viré sa cutie, le vieux, et il compte pas le faire, que ce soit dans ce monde ou dans un autre !
- Alors, Raymond, que ferais-tu si tu étais à ma place ?
- J'peux pas t'répond' comme ça, mon Jéjé. Me faudrait un peu de temps pour réfléchir, tu vois ?
- Pourtant, tu ne compte plus tes printemps : c'est donc que tu as déjà disposé de beaucoup de temps.
- Tu parles ! Ma vie est passée sous mon nez à la vitesse de l'éclair. Tu te regardes un jour dans un miroir et tu te prends la claque du siècle en réalisant que tu as pris un sacré coup de vieux.
- Crois-tu que je perds mon temps à m'admirer dans le reflet d'un miroir ? ironise Jésus.
- Je sais rien de ce que peuvent bien faire les dieux. Si ça se trouve, ils glandent rien de rien.
- Tu as pourtant vu, ce soir.
- Ouais, une petite fiesta improvisée. Mais ça te coûte quoi, à toi ? Pas d'efforts particuliers, hein ? Tu penses, tu veux, et ça se réalise. Bel effort, mon capitaine !
- Si c'est aussi simple, pourquoi refuser de me répondre ?
- Pour te chanter quoi ?
- Absolument tout ce que tu veux, puisqu'on imagine que tu serais doué de dons divins. Allons, Raymond, ne fais pas ta chochotte : crache ta pastille !
Le vieux est un poil vexé. Faut comprendre ; d'habitude, c'est lui qui fait danser les autres. Les questions de Jésus ne sont pas difficiles, mais il est gêné par le ton de sa voix. Elle est douce, posée, lente. Persuasive. Et Raymond n'est pas loin de penser que le prophète est en train de l'endormir, de l'hypnotiser.
- Dis donc, Jéjé... Tu en n'es pas, hein ?
- Pas de quoi ?
- Ben, tu sais... Tu parlais de chochotte, y a deux secondes à peine.
Jésus, loin de s'offusquer, éclate de rire. Puis, se reprenant vite, il pose une main amicale sur les genoux du vieux.
- Tu veux dire... une tapette ?
- C'est ça. Et retire ta main de mon genou, merde !
- Si tu savais le nombre de nanas que je me suis tapé au cours des douze dernies mois, mon pote... Tu serais vert de jalousie. Mais décide-toi à me dire ce que tu ferais si tu me remplaçais.
Raymond s'écarte un peu de Jésus, préférant laisser un espace assez large entre eux pour éviter tout malentendu. Puis, sentant le regard insistant du prophète, il se décide à sauter dans le vide.
- Si j'étais à ta place, mon Jéjé, voilà ce que je ferais...
A suivre...
Annotations