Face au mutisme des deux vieux, un des trois chefs sort son arme de son fourreau. Pas question de couper les cheveux en quatre pour celui-ci, et guère plus de cinq secondes pour rompre la chaîne qui fermait la porte de la prison. Six pas plus loin, les trois inconnus sont face à René et Raymond qui s'attendent au pire. On entendrait voler une mouche... Sept ans de réflexion plus tard ? Non.

• Bon, lis âmis, vôs inquiti pâs. Nos sômmes vôs amis i Nos vinons pour vôs délivrer. Ji mi présonte : Melchior. Voici mis compagnons di voyage, et qui ils s'appilent Caspari... mirde ! Ji mi rappile jamis di nom di cilui-lâ, avec sis grandes mostaches i sa barbe di troas ans !
• Balthazar ? hasarde René, l'air dubitatif.
• Ixactiment ! Voilà, ci ça : Balthazar ! C'i mon pote d'icole mis j'i souis toujôrs pas fouti di mi rappeler de son blaze, à ci vieil emploumi !
• Donc, résume Raymond qui n'en croit pas ses oreilles, vous vous appelez Gaspard, Melchior et Balthazar ?
• Ci ça ! répond Melchior.
• Vous vous foutez de nous ?
• Ci la plous stricte vériti, mon ami ! Ji ti li joure sour la tite di ma mêre !
• Laissez-moi deviner, coupe René. Vous vous rendez à Bethléem ?
• Oui, mon ami ! On a un ami charpentier qui vient d'avoâr un pitit garçon et on se dipiche d'arrriver chez loui pour lui rimettre quelques câdeaux ! Et p'is dis gâteaux qu'on a achitis dans un bâteau.
• Euh... A mon avis, z'êtes un peu à la bourre, les copains, marmonne Raymond. Vous vous seriez pas un peu perdus en route, des fois ?
• Si ! En fîte, on si perdous un pou tous lis joûrs... avoue Balthazar qui semble le plus sincère des trois.
• Tu m'étonnes ! fait René.
• Ci pas di nôtre fôte ! On voyage que pendant la nouit, parce qu'on souit une itoile qui nous indique li Nôrd. Pas facile quand il y a plein di nuages dans li ciel, ji vous promets !
• Mouais... fait Raymont, tout pensif.

René s'approche, un peu plus rassuré, et considère les trois hommes d'un oeil neuf.

• Les rois mages... Si on m'avait dit un jour que je discuterais avec eux. T'imagines, Raymond ? Mais dites-moi, mes magestés célestes, vous comptez arriver quand, à Bethléem ? Je vous demande ça, parce que je crois que vous êtes sérieusement à la bourre, j'insiste.

Et c'est là que le troisième homme, celui qui n'avait pas encore ouvert la bouche jusque là, prend la parole.

• On sait qu'on i vach'tement en ritard, mon âmi, on sait, fait Gaspard. Mais, pour gagner un peu de temps, on va se défaire de cet accent ridicule qui perturbe la lecture de ce fabuleux récit, pour articuler comme tout le monde, d'accord ?

Donc, il reprend :

• Messieurs, nous savons parfaitement que nous sommes terriblement en retard. Et même de quelques années ! Nous sommes tombés sur quelques mauvais guides qui nous ont fait visiter presque tout le bassin méditerrannéen, et qui, surtout, nous ont piqués tous nos cadeaux. Alors, c'est pour ça qu'on a fini par décider de ne plus voyager que la nuit, en suivant l'étoile du nord, celle qui est réputée nous mener à bon port. Mais on n'a pas eu une super météo non plus, alors on rame comme trois tordus depuis des années pour rejoindre notre pote charpentier.
• Au train où vous allez, vous pourrez tout juste lui offrir des chrysanthèmes, murmure Raymond.
• Ce n'est pas encore le plus ennuyeux, relance Balthazar. Maintenant, on n'a plus rien à lui offrir, c'est pourquoi Gaspard, qui est marabout-voyant-diseuse de bonne aventure en plus de ses fonctions de roi mage, nous a suggéré de nous rendre d'abord ici, sachant que nous dégotterions un truc pas banal qui impressionnerait le fils, maintenant adulte, de notre ami Joseph, le charpentier dont nous vous parlons.
• Et le truc pas banal ? demande René qui suppute immédiatement la mauvaise surprise.
• C'est vous !

A suivre...