7.0
René se marre. A tel point que ça gagne tout le monde, y compris ceux qui passent à proximité. L'émir, lui, sourit un peu jaune mais Raymond sauve la situation en posant une main compatissante sur son épaule, écrasant une petite larme de joie incontrôlée.
- T'en fais pas, mec. Il t'aime bien, l'émir. Faut le comprendre aussi : il crève de faim, on n'a pas un rond sur nous et on sort d'une drôle de béchamel. Alors, si tu pouvais te décider à nous faire passer de l'autre côté et nous présenter à ton pote, peut-être qu'on arrivera à le calmer.
- Faudrait faire vite, même, ajoute Agathe, parce que je suis pas sûre qu'on se fasse pas remarquer par plus inquiétant que quelques gardes à une porte, fut-elle dorée.
- Ne vous inquiétez pas, mes amis. Vous ne savez pas encore de quoi je suis capable. Normal, on vient juste de faire connaissance, vous me direz. D'ailleurs, je ne sais toujours pas comment vous vous appelez...
- Tiens, c'est pas faux, ça, remarque Raymond. Alors, la jolie gosse qu'en a plein le choux, c'est Agathe. Le grincheux qui se poile encore, c'est René, et moi, c'est Raymond. Suffisant pour un p'tit déj ?
- Raymond ? Tu t'appelles Raymond, c'est vrai ?
- Si j't'l'dis ! Ray-mond ! Pourquoi tu me demandes ça ? T'en connais un autre ?
- Non, pas du tout, répond Abel, tout pensif. Mais je pensais qu'avec ta barbe noire, tes joues creuses et tes cheveux longs, tu porterais un autre nom...
- Ma barbe et mes cheveux longs ? Qu'est-ce tu débloques, pépère ? s'étonne le vieux. J'ai jamais porté la barbe, et j'ai presque plus un cheveu sur le caillou. Dis-donc, faut arrêter la tisane, mon gars.
René et Agathe l'observent et confirment d'un hochement de tête les paroles de leur ami.
- Extraordinaire... murmure Abel en se tripotant le menton. Tu sais que tu risques de faire parler de toi, ici ? J'ai un don tout particulier pour trouver des personnes hors du commun, tu sais, et je suis déjà convaincu que tu fais partie de celles-là...
Les trois vieux le laissent parler, partagés entre l'envie de rire et la stupéfaction. Ils connaissent cet homme depuis quelques minutes seulement, et le voilà en train de suspecter une réalité qui dépasserait son imagination.
- Alors, mon ami, puisque ma vue me joue des tours, comment te décrirais-tu ?
- J'me décrirais pas, à vrai dire, grommelle Raymond, indisposé par cette question trop directe pour lui. Demande à mes potes, ils le feront mieux que moi.
- Mais comment croire tes amis ? Si ça se trouve, ils se tromperont aussi... rétorque Abel. Laissons tomber ça pour le moment, je crois que ce n'est pas très important.
- Pour moi, c'est clair que c'est pas grave. Pour toi, par contre... Faudra envisager quelques jours aux bains pour remettre un peu d'ordre dans tes mirettes ! rigole Raymond.
- Je connais un super médecin. Tu as raison ! Dès que je vous aurais présenté mon ami Ônthon, je m'absenterai quelques instants pour le consulter. Il s'appelle Bachir Urgien, c'est un as pour enlever les échardes, les épines et les trucs de ce genre.
- Des échardes ? s'étonne Agathe. Je suis pas très sûre que ça puisse te rendre service.
- Au contraire ! Il lui faudra toute sa science pour me retirer la paille que j'ai dans les yeux, puisque je ne vois pas Raymond comme vous le voyez !
- Te faudrait un charpentier... murmure René, au moins ça, parce que c'est pas une paille que t'as dans les yeux, mais une poutre !
Abel s'arrête une seconde, se retourne vivement vers René. Surpris, les trois vieux se figent, pensant que René vient de dire le mot de trop, celui qui fâche... Mais Abel se prend à rigoler doucement. Il a le regard qui pétille de malice, et il hoche la tête doucement.
- Je crois que je vieillis, mes amis. Je vieillis...
- Pas grave, ça. Tant que tu peux encore nous emmener chez ton pote, c'est que tout va encore assez bien avant d'envisager le pire !
- Tu as raison, Maître Raymond. Que ta volonté soit faite !
Et il se retourne d'un geste joyeux, invitant le trio à le suivre.
- Je sais pas qui c'est exactement, ce mec-là, fait René à l'oreille d'Agathe, mais je pense qu'il a le crâne fendu quelque part et ça m'a l'air de fuir pas mal...
- T'inquiète, mon René. J'l'ai à l'oeil, moi. Et le bon !
A suivre...
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