7.7
C'est René qui, pour montrer l'exemple, plonge à corps perdu le premier. Avec la grosse pierre qu'il a sur le bide, il n'est pas trop à son aise mais il fait ce qu'il peut. En effet, presque trop lourde pour ses vieux bras, il peine à la soulever au-dessus de sa tête pour la projeter devant lui. Les forces lui manquent un peu, fait bien avouer. Il a les mains qui tremblent, les jambes aussi. Et ce qui doit arrriver, arrive, bien entendu. C'est la loi de Murphy ! René sent que la pierre va lui échapper des mains. Cedisant cela, il estime rapidement la trajectoire de celle-ci. Or, il n'y a pas loin de la pierre à son crâne, se dit-il. Sachant la médiocre qualité des soins médicaux du coin, il décide en un éclair qu'il doit agir. Eh oui, c'est ça la guerre ! Savoir décider sans réfléchir !
Alors, il se penche un peu en arrière. La pierre fait le reste.
En fait, cette dernière bascule dans le dos de René qui la suit et qui tombe sur le cul, au risque de se le briser...
Premier assaut courageux qui se solde donc par un résultat assez dérisoire. Au compteur : René : zéro ; la bête infernale : un. Remarquez qu'elle n'a rien fait pour cela mais elle profite de ce joyeux coup du sort.
Mais le combat ne s'arrête pas là. C'est Pierre, sans doute inspiré par le fait que René manipulait une de ces choses dont il porte le nom, qui prend le relais. Lui, armé d'une fourche en bois d'acacia, monte sur une carriole qui traîne là puis, prenant tout l'élan qu'il peut, saute à pied joint dans une meule de foin.
Mais il s'est juste trompé de meule. En fait, celle qu'il perce de sa fourche vengeresse reposait sur de fines planches un peu vermoulues au-dessus de l'ouverture d'un puits. Fatalement, le bois craque sous le poids de l'assaillant et Pierre disparaît dans la seconde, dans le cri déchirant de celui qui constate qu'il s'est encore fait enflé par le vendeur qui lui a fourgué un appareil dont il n'aura jamais besoin !
Ensuite ? Les trois autres entendent un "plouf" énorme. C'est tout, pendant quelques longues secondes. C'est un rude coup pour l'équipe. Non pas que Pierre fusse la pierre angulaire d'une église à construire un jour, mais c'est déjà le seconde membre qu'ils perdent en moins d'une minute...
Hônthon se décide à son tour. à la seule force de ses poings et de ses énormes muscles. Tel un félin affamé, il se avance lentement, sans bruit, ne levant un pied qu'après avoir soigneusement posé l'autre sans rien déranger. Il contrôle son souffle, le conservant pour l'assaut qu'il voudrait bref et victorieux en un coup. Encore un dernier pas et il pourra faire son oeuvre.
Pourtant, c'est un mauvais général, un de ceux évoqués plus haut, un de ceux qui donnent les ordres les plus terribles mais pissent dans leur froc lors de l'épreuve fatale. Alors, l'émir Hônthon rebrousse chemin en gardant les yeux au sol, conscient de sa misérable condition de couard...
Raymond, dernier encore apte au combat, le regarde d'un air désabusé, mais pas surpris.
- Retourne dans ta cuisine, émir. Prépare-nous un repas grandiose. Je vais m'occuper de ce tas de saindoux.
- Mais... tente le cuistot d'un air indécis.
- Y a pas de mais. Fais la bouffe, puisque c'est tout ce que tu sais faire.
L'Emir Hônthon, maintenant émir honteux, approuve d'un signe de tête, puis repart vers son commerce. Raymond le laisse s'éloigner, un sourire narquois aux lèvres.
- Hônthon ! lance soudain le vieux. Tant que tu y seras, prépare un couvert de plus.
L'autre lève simplement la main en signe d'assentiment puis disparaît dans son restaurant, trop heureux d'en réchapper à si modique prix. Raymond reste donc tout seul pour affronter la bête. Il pose son pied sur une brouette, attrape un brin de cette paille maudite qui traîne partout puis, un coude sur le genou, il attend un peu.
Puis...
- C'est bon, Agathe. Tu peux sortir...
A suivre...
Annotations