01. Branle-bas de combat au Château
Maxime
— Réunion exceptionnelle à 8h30 pour gérer les événements du weekend.
Je soupire en regardant le SMS de mon Directeur Général et regarde ma montre avec désespoir. Il est à peine sept heures trente et je ne sais pas comment je vais faire pour être à l'heure. Heureusement que Nina, la nounou que j'ai embauchée pour s'occuper de mes deux enfants, ne va plus tarder.
Je termine de tailler ma barbe en l'attendant et je me regarde dans le miroir. La première chose qui me frappe, ce sont les cernes sous mes yeux. Parce que oui, je suis fatigué et je dors mal. Cela fait trois ans que je n'ai pas fait une bonne nuit de sommeil. Trois ans que je me retrouve seul dans mon lit et que je me demande comment cela a pu m'arriver. Et je n'ai toujours pas d'explication. La seule chose qui est sûre, c'est que ma femme a disparu de ma vie et de celle de nos enfants, et pour de bon. Aucune nouvelle depuis ce triste jour où je l'ai vue s'éloigner sur le chemin qui mène en dehors de mon domaine. Ce silence me ronge même si j'essaie de faire bonne figure devant mes loulous.
Je me lave les dents avant d'enfiler ma chemise et constate qu'il est déjà sept heures quarante et toujours pas de nouvelles de Nina. Elle est en retard et ça ne lui ressemble pas. Jusqu’à présent, la jeune femme a été irréprochable et je m'inquiète un peu. Nina a été une vraie bénédiction depuis son embauche il y a presque un an. Un ange auprès des enfants, une présence agréable matin et soir pour la famille et un petit corps tout menu qui ne me laisse pas indifférent vu sa propension à n'en cacher que le strict minimum. Bref, je suis réellement surpris de son absence ce matin et je jure silencieusement après lui avoir envoyé un message lui demandant ce qu'il se passe
Je me dépêche de sortir de la suite que j'occupe au premier étage du Château qui appartient à ma famille depuis plusieurs siècles. Château, c'est un bien grand mot pour cette demeure restaurée après la Révolution qui en a détruit une grosse partie. A part la tour en pierres qui date du Moyen-âge, le reste est un ensemble en briques avec énormément de fioritures typiques du dix-neuvième siècle.
Je frappe à la porte de la chambre de mes enfants. Ils partagent l'autre suite qui est aménagée dans le château. L'entretien du domaine coûte une fortune et j'ai fait le choix de ne maintenir que le strict nécessaire. A cet étage, seules nos deux suites et les chambres de l'autre côté de l'escalier sont en état de recevoir du monde. Tout le deuxième étage est dans un état d'abandon qui me fait de la peine. On devait entreprendre de grands travaux de rénovation avec ma femme, elle avait fait des plans, mais son départ précipité a mis fin à tous ces projets.
J'entre dans la grande pièce qui est le reflet de ma chambre de l'autre côté du couloir. C'est maintenant l'endroit où mon fils, Tom, a installé son repaire, reléguant ma fille dans la petite pièce que j'utilise, moi, comme bureau. Émilie, ma fille, a l'air de s'en contenter même si je trouve qu'elle s'efface trop devant son frère, pourtant plus jeune.
— Debout là-dedans ! Vous allez être en retard ! tonné-je d'une voix forte et sûrement beaucoup moins plaisante que celle, plus douce, de Nina.
Je secoue mon fils sans trop de ménagement avant d'aller faire de même avec ma fille.
— Allez, Lili, réveille-toi ! J'ai besoin de toi pour m'aider à préparer Tom et faire en sorte que vous soyez à l'heure à l'école ! Habillez-vous vite pendant que je prépare tes céréales et le chocolat chaud de ton frère !
Je me penche sur elle qui s'étire et dépose de petits bisous sur sa peau où les premiers boutons d'acné commencent à apparaître.
— Elle est où, Nina ? me demande-t-elle en remontant la couette sur sa tête.
— Je ne sais pas, je n'ai pas de nouvelles. C'est pour ça que je vais avoir besoin de toi. Tu sais comment est ton frère le matin…
Je tire sur la couverture et lui fais des chatouilles qui la font rire.
—— Arrête, Papa ! s’esclaffe-t-elle en me repoussant. Tom va faire la tête, ça va être chiant ce matin.
— Ne m'en parle pas, c'est pour ça que je compte sur toi. Allez, on se bouge, c'est déjà presque l'heure de partir. Je vais vous déposer pour limiter les dégâts.
Je soupire et retourne dans la grande pièce où je m'assois sur le lit. Je pose ma main sur le bras de Tom qui ouvre immédiatement les yeux, sa vivacité au réveil me surprenant toujours.
— Bonjour Tom. Pas de caprice ce matin, Nina n'est pas là et on est déjà en retard pour l'école.
— Nina ne nous a pas dit qu’elle n’était pas là ce matin. Pourquoi est-ce qu’elle n’est pas là ? Comment je vais faire pour réviser ma poésie sans elle ? Et qui va m’emmener à l’école ?
— Je ne sais pas pourquoi Nina n'est pas venue et ce n’est pas le moment de poser une tonne de questions, dis-je d'une manière péremptoire. Prépare-toi et je vous dépose à l'école. Sans discuter, d'accord ? affirmé-je alors que Lili, déjà habillée nous rejoint déjà.
— Allez viens, Tom, je vais t’aider à choisir tes vêtements comme tu fais avec Nina d’habitude. C'est un jour bleu, c'est ça ?
Mon fils a horreur du changement et je sens que l'on va galérer ce matin où rien ne se passe comme prévu. Je crois que ma fille a raison et je sors des vêtements pour Tom, tous de la même couleur.
— Bleu, oui. Mais… Je veux Nina, moi. C’est elle qui met du gel dans mes cheveux tous les matins.
— Tu n'as pas besoin de gel, lui répond sa sœur sèchement en prenant les habits de mes mains. Arrête de faire ton bébé et habille-toi !
Je soupire car je sens que ça va mal se passer. Quand ça commence comme ça, les choses escaladent vite et j'hésite à les laisser gérer tout seuls quand Tom se redresse brusquement dans son lit.
— Je ne suis pas un bébé. Ne me parle pas comme ça, et laisse-moi m’habiller tout seul. Je n’ai pas besoin de toi, bougonne-t-il en se levant.
— Essaie de mettre ton tee-shirt dans le bon sens aujourd'hui, petit bébé, dit-elle en s'éclipsant vers le rez-de-chaussée, alors que je vois Tom serrer les poings et devenir rouge de colère.
— Tom, ce n'est pas le moment de faire une crise, tenté-je de désamorcer la situation.
— Je ne fais pas de crise, grogne-t-il entre ses dents. Laisse-moi. Et touche pas à mes statuettes !
Je me stoppe dans mon élan et me retourne vers mon fils qui me regarde presque méchamment. Ses magnifiques yeux verts qui me rappellent tant les miens semblent prêts à me lancer des éclairs et son intelligence au-delà du commun me surprend encore. Sans que je ne dise rien, il a deviné que j’allais cacher ses jouets préférés pour éviter qu’il ne se concentre dessus et oublie tout le reste comme ça lui arrive parfois.
— D’accord Tom, mais tu as cinq minutes pour descendre. Pas une de plus, dis-je aussi autoritairement que je peux. Le compte à rebours commence maintenant. Top !
J’essaie de faire attention à prendre en compte tous les détails parce qu’une fois, je lui ai donné cinq minutes mais il n’est pas venu, me reprochant de ne pas avoir lancé le décompte.
— D’accord, mais il faut que mon chocolat soit prêt quand je descends, Papa. Avec Nina, il est toujours prêt, elle me laisse cinq minutes pour jouer, le temps de le préparer, me rappelle-t-il en dépliant ses vêtements sur son lit.
— Tout sera prêt, rétorqué-je, confiant malgré les circonstances.
En descendant l’escalier, j’envoie un message à mon DG en indiquant que j’aurai sûrement un peu de retard pour des soucis personnels. Sa réponse ne tarde pas à venir et me stresse encore plus.
— La réunion est à 8h30. Si tu es en retard, c’est que tu n’es peut-être pas fait pour ce poste. A tout à l’heure.
Quel con ! Et quelle pression il me met, là ! Je me demande ce qu’il s’est passé ce weekend, mais je n’ai pas le temps d’aller lire tous les messages des personnes de garde qui ont fait leur rapport et l’ont envoyé dans la nuit. Il faut que j’accélère le rythme et je suis content de voir que Lili a tout préparé dans la cuisine. Elle a même mis la serviette de son frère en triangle, juste comme il l’aime, la pointe vers le verre qu’elle a rempli de jus d’orange jusqu’à la barre indiquant les cinquante pourcents.
— Oh, Lili, tu es adorable ! Bravo et merci !
Je l’embrasse sur la joue avant d’envoyer un message à ma mère pour la prévenir qu’elle devra aller chercher les enfants ce soir à l’école si je n’ai pas de nouvelles de Nina.
— Tu as appelé Nina, Papa ? Et il va falloir racheter du lait, on n’en a plus.
— Non, je n’ai pas eu le temps. On verra tout à l’heure, là, il faut qu’on finisse de se préparer et qu’on se dépêche. J’ai une réunion dans moins de trente minutes et si je suis en retard, Nicolas va être en rogne.
— Toujours ton boulot, soupire-t-elle en posant sa cuillère bruyamment sur la table. Tu nous fais courir pour une réunion ? Tu t’en fous que Tom passe une mauvaise journée parce qu’on bouscule ses habitudes, hein ? Tant que tu es à l’heure pour ta réunion…
— C’est pour que vous soyez à l’heure pour l’école que je vous bouscule un peu, répliqué-je dans la plus pure mauvaise foi. Et je t’interdis de me critiquer, je fais ce que je peux. Ce n’est pas moi qui vous ai abandonnés il y a trois ans, que je sache.
— Arrête de critiquer Maman, intervient Tom qui entre dans la cuisine en regardant sa montre. Elle doit être en mission pour sauver le monde, et quand elle reviendra, tu verras que tu t’en voudras de l’avoir critiquée comme ça. Quatre… Trois… Deux… Un… Je suis à l’heure ! s’écrie-t-il en s’asseyant sur le siège qui lui est réservé.
Je lève les yeux au ciel et ne comprends pas comment ça se fait que tous les deux n’en veuillent pas plus à leur génitrice qui les a ainsi abandonnés et qui fait la morte depuis. Et comment ça se fait que ce soit moi qui me prenne toutes leurs remarques alors que j’essaie de jongler entre tout, avec un boulot prenant, un enfant aux besoins très spécifiques et une demeure dans laquelle il y a toujours des travaux à entreprendre. Ces réflexions occupent tout mon esprit alors que je lâche les enfants devant leur école et que je constate qu’il me reste à peine huit minutes pour arriver au boulot alors que le GPS m’indique qu’il va m’en falloir vingt. Franchement, si le reste de la journée est du même ordre, je ne sais pas si je vais survivre.
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