07. C'est le bazar chez le Troll

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Maxime

Je raccroche enfin mon téléphone et regarde l’heure. Déjà dix-huit heures et, si je voulais, je sais que je pourrais encore rester une heure ou deux à travailler, à finaliser mes projets, mes recherches de solutions pour le problème des migrants, mais ma mère est seule avec les enfants et vu l’état de Tom ce matin, ce n’est pas sûr qu’il soit calmé et qu’elle passe une soirée tranquille.

— Je peux y aller, Monsieur Maxime ? me demande Yasmina, ma secrétaire, qui n’a toujours pas compris qu’elle n’avait pas besoin d’autant de formalisme avec moi.

— Oui, bien sûr, vous n’êtes pas obligée de rester aussi longtemps que moi, vous savez. Je peux me débrouiller sans vous s’il le faut.

— Oh vous savez, c’est normal, je suis là pour vous aider. Bonne soirée, Monsieur Maxime. A demain.

Cette femme est une perle et encore plus depuis que ma femme a disparu de ma vie. Nicolas, mon DG, me dit qu’elle en pince pour moi, mais j’ai du mal à y croire. Jamais un geste déplacé, jamais une parole inappropriée, juste la parfaite assistante qui respecte mes secrets, anticipe mes désirs et surtout qui est toujours là pour moi.

Je range mon bureau et monte dans ma voiture en pensant à l’argent que j’ai encore dépensé aujourd’hui. Certes, c’est un don des anglais et ça ne coûte rien au contribuable français, mais est-ce que ces maîtres-chiens étaient vraiment nécessaires ? Franchement, je doute de l’efficacité de la mesure, mais si ça peut calmer un peu les esprits, ça vaut le coup de tenter, non ?

L’arrivée au Château me donne l’occasion de croiser mes amis les canards alors que je me gare près du pont au-dessus des douves. La voiture de ma mère est bien là aussi, ce qui me rassure car ça fait du bien de pouvoir compter sur quelqu’un comme elle. Elle n’a pas oublié d’aller chercher les enfants à l’école et c’est un soulagement. De courte durée car je comprends rapidement que Tom est toujours dans le même mood qu’au matin.

— Arrête, Tom, ce n’est pas drôle, se plaint sa sœur. Tu n’as pas besoin de nettoyer ta chaise avec de l’alcool. Tu vas finir par la décolorer totalement !

— Elle a posé ses fesses sur mon tabouret, Lili ! Et je fais ce que je veux, t’es pas Maman !

— Eh les mômes, faites attention car votre papa ne va pas tarder à arriver et si vous n’êtes pas sages, il va vous punir, c’est sûr !

Ma mère n’est pas le meilleur modèle d’éducation, mais au moins, elle est toujours là, toujours attentive, toujours soucieuse de réaliser les souhaits de ses petits-enfants, et, si ce n’était le problème de son âge, elle ferait une excellente nounou.

Je fais exprès de faire du bruit en posant mes clés sur la petite table à l’entrée avant de pénétrer dans la cuisine où tout le monde s’arrête de parler à mon arrivée.

— Vous avez vu un fantôme ? Ce n’est que moi, dis-je doucement.

— Salut Papa ! sourit Lili. Tom est chiant, et mamie en a marre. Moi j’ai faim. Tom désinfecte son tabouret depuis dix minutes. Et mamie elle va finir par partir s’il continue comme ça. T’as passé une bonne journée ?

— Mais à part ça, Madame la Marquise, tout va très bien, chantonné-je doucement sans que personne ne puisse m’entendre. Oui, excellente journée, mais je suis content qu’elle soit terminée et qu’on puisse se préparer à passer une bonne soirée ensemble, sans pleurs, cris ou querelles !

J’essaie la stratégie du positivisme, on ne sait jamais, sur un malentendu, ça pourrait passer. Lili vient m’embrasser, et je souris à ma mère alors que Tom continue de frotter sa chaise, en essayant d’enlever une tâche qui n’existe que dans son esprit.

— Mamie nous a aidés pour les devoirs, on est tranquilles au moins. Tom veut pas aller à la douche par contre, il fait encore son bébé, continue ma fille.

— Je ne suis pas un bébé ! s’énerve Tom, du haut de ses huit ans.

— Mais non, bonhomme, tu n’es pas un bébé, mais des fois, tu as un comportement qui est un peu différent des autres, tu le sais, on en a déjà parlé. Et là, dès qu’on a fini de manger, tu iras prendre ta douche, d’accord ? Avant ça, Mamie a préparé le diner et on va lui faire honneur. Parce que c’est toujours bon, non ?

— Oui, Papa. Mais j’aime pas la douche.

— On fera de toi un petit troll alors plutôt qu’un superhéros. Parce que tu sais que les superhéros sentent toujours bon ?

— Tom le Troll ! Berk ! dit sa sœur en riant.

— Laisse-moi tranquille, Lili ! s’énerve de suite Tom en lui lançant son torchon dans le visage.

— A table, intervient ma mère en donnant une petite tape sur la main de Tom. On arrête les bêtises et on va se laver les mains.

A ma grande surprise, les deux ne se rebellent pas et se précipitent devant l’évier pour faire ce que ma mère leur demande.

— Tu as fait quoi pour qu’ils réagissent comme ça ? Tu les as menacés de copier des lignes toute la soirée ou quoi ?

— Mais non, voyons… Peut-être que j’ai fait un gâteau au chocolat pour le dessert, rit-elle en me faisant un clin d’œil. Le chocolat, ça marche à tous les coups. Ça marchait pour toi aussi, j’ai l’habitude.

— Si tu les prends par les sentiments, je comprends mieux. Ils n’ont pas été trop embêtants ? J’attends des nouvelles de l’agence de nounous pour la fin de semaine. Ils doivent me recontacter ce soir…

— Ça va… C’est un peu difficile avec Tom, je ne suis plus toute jeune, soupire-t-elle, mais ça va. Lili a beau l’enquiquiner, elle désamorce quand même pas mal de situations conflictuelles.

— Heureusement que tu es là, en tous cas. Je ne sais pas comment je m’en sortirais sans toi.

Les enfants reviennent et s'installent sagement à table. Même Tom prend sa place sans sourciller, comme si la tâche avait mystérieusement disparu à l’idée du chocolat qui arrive. Je remarque alors que notre invitée ne s’est pas jointe à nous.

— Miléna ne mange pas avec nous ? Vous ne l’avez pas vue ?

— Heu… Non. Disons que Tom avait un peu oublié sa présence ici quand il est rentré de l’école… Enfin, il est reparti au quart de tour en l’apercevant alors qu’elle se promenait dans le jardin. Elle s’est excusée et est retournée dans sa chambre.

— Ah d’accord. Eh bien, mangeons alors, elle sait à quelle heure est le repas. Je verrai après pour lui apporter son plat dans sa chambre. Bon appétit, les enfants. Bon appétit et merci à toi, Maman.

— Elle part quand, Miléna, Papa ? demande Tom en replaçant sa serviette correctement.

— Dès qu’elle a trouvé une place ailleurs, on ne va quand même pas lui dire de retourner à la rue ? Tu imagines, toi, dormir dehors, dans le froid et sous la pluie ?

— Non, mais il y a au moins trois cent mille personnes qui dorment dehors en France. S’ils viennent tous chez nous, ça va être le bazar.

— Eh bien, nous, on en accueille une seule et c’est bien d’être un peu humain. D’ailleurs, en parlant d’être humain, je vais lui faire une assiette et aller lui amener en lui disant que mon fils trouve qu’elle met le bazar. Ça devrait la faire sourire, je pense.

— Ce n’est pas ce que j’ai dit, c’est un mensonge ça, Papa. Je dis juste que je n’ai pas envie que tous les sans-abris viennent vivre chez nous. En plus, tu travailles tout le temps donc tu ne la vois pas autant que nous, tu t’en fiches.

Je soupire et ne relève pas sa dernière phrase car je sais qu’il voudra toujours avoir le dernier mot. C’est typique de son trouble, d’ailleurs, tout comme le manque d’empathie. Au début, ça peut être étrange, mais au fond de lui, ce n’est jamais méchant. Il n’en est pas capable non plus. Son cerveau marche comme un ordinateur, en mode binaire. Les choses sont ou ne sont pas, pas de zones grises entre les deux.

Ma mère s’éclipse discrètement à peine le repas fini et je la remercie encore avant d’envoyer mon fils prendre sa douche et Lili se préparer pour la nuit dans sa chambre. Je prépare un plateau avec le plat préparé par ma mère et un morceau de gâteau. Je rajoute une carafe d’eau et tel un garçon de café, je passe une serviette sur mon épaule et monte les escaliers, le plateau à la main, avant d’aller taper chez Miléna.

— Oh, Maxime, bonsoir, bafouille-t-elle en ouvrant la porte. Je… Entrez. Je suis désolée pour l’incident avec votre fils, je ne voulais pas… Enfin, je veux tout faire pour que ça se passe bien.

— Ce n’est pas de votre faute, Miléna, je vous ai prévenue qu’il était un peu particulier. Je vous ai ramené à manger. Vous avez faim, j’espère, parce que Madame est servie !

Je fais une petite courbette en entrant et lui tends le plateau qu’elle saisit et dépose sur la petite table à côté de son lit.

— Oui, merci beaucoup, mais il ne fallait pas vous déranger pour moi. Je préférais vous laisser en famille.

— Vous êtes notre invitée, c’est normal qu’on vous donne à manger, c’est tout. Je suis désolé pour l’accueil de mon fils en tous cas.

— Ne vous excusez pas, il n’y a pas de raison. Il est chez lui, je comprends qu’il puisse vouloir être tranquille. Je me souviens que je détestais quand ma belle-mère venait passer la semaine à la maison, sourit-elle en s’asseyant en tailleur sur son lit.

— Votre belle-mère ? Vous êtes mariée ? demandé-je, curieux, en hésitant sur le fait de la laisser manger tranquille ou de rester près d’elle.

— Pas tout à fait, non, c’était la prochaine étape avant… Avant que je ne vienne ici, en France. Mais c’est du passé, maintenant, il faut tourner la page, grimace Miléna alors qu’elle semble se perdre dans ses pensées.

Je suis un peu gêné de l’avoir mise mal à l’aise et je me dirige rapidement vers la porte, même si j’avoue que ça ne m’aurait pas déplu de profiter encore un peu de sa compagnie et de la vue de son corps bien proportionné dans ses vêtements simples mais seyants.

— Je ne vais pas plus vous déranger. Vous n’aurez qu’à descendre le plateau une fois terminé. Bon appétit Miléna.

— Vous ne me dérangez pas, rit-elle. Vous êtes chez vous. Merci de m’avoir apporté mon repas, c’est gentil de votre part.

— C’est ça l’hospitalité des Français, pas ce que vous avez vu dans la jungle. A plus tard, Miléna.

— Je vois ça. Je suis contente d’avoir été tenace avec le père Yves, ça fait du bien un vrai lit et des sourires polis. Bonne soirée, Maxime.

Je sors et me fais la réflexion que cette femme est pleine de ressources. Ce n’est pas simplement de la chance si elle s’est retrouvée chez nous, au Château, mais c’est bien le résultat des différents choix qu’elle a fait et de sa persévérance. Une telle volonté force vraiment l’admiration. Et il me faut avouer que j’ai aussi admiré ses jolies jambes : Le physique est à la hauteur du caractère, on dirait.

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