12. Chacun ses envies
Miléna
Je ne prends même pas le temps de savourer la douche et me dépêche de me laver pour ne pas déranger mon hôte trop longtemps. Bon, si je suis honnête, je prends tout de même le temps d’ouvrir son gel douche pour en sentir l’odeur. Je crois que je deviens folle. J’ai honte de moi, mais cet homme me plaît et ça m’ennuie d’avoir ce genre de pensées alors que j’ai perdu Vahik il y a peu. Ce n’est pas très correct envers lui, et ce n’est absolument pas le moment. Dans quelques jours, je ne serai plus là et ça vaut mieux pour tout le monde, je crois, même si j’ai l’impression que la famille, les enfants particulièrement, commencent à se faire à ma présence que je m’efforce de ne leur imposer qu’au moment des repas. D’ailleurs, je risque de passer mes journées dans la chambre pour ne pas les déranger durant le weekend. Ce n’est pas moi, ça. Je n’ai jamais été une grande timide, jamais le genre de fille à se faire toute petite, mais ma situation actuelle change tout. Vahik m’aimait pour ma joie de vivre et ma force de caractère, pas pour la petite chose fragile et recroquevillée que je suis devenue. Mais c’est comme ça, les choses changent, les gens aussi. Cela ne semble pas déplaire à Maxime, cela dit, et c’est plutôt flatteur, même si nous devons bien avoir dix ans d’écart, lui et moi. S’il osait à peine me regarder le soir de notre rencontre, difficile de passer à côté de ses yeux gourmands lorsqu’il les pose sur moi à présent. Dans un autre contexte, à un autre moment de ma vie, j’aurais sans doute répondu favorablement à tout ça, c’est sûr. Parce qu’il me plaît, il faudrait être vraiment difficile pour ne pas être charmée par cet homme.
Je sors de la douche en soupirant et me sèche rapidement avant de me brosser les dents. J’aurais bien zappé l’étape de la douche, mais j’ai passé l’après-midi dehors à désherber le petit coin caché de tout où se trouve le vieux banc en pierre. Je ne sais pas s’il s’en rendra compte, ni même s’il appréciera, mais ça m’ennuyait de voir les fleurs pas encore sorties étouffées par la mauvaise herbe. Et puis, ne rien faire ici me tue, autant parce que je m’ennuie que parce que j’ai l’impression de profiter de mon bienfaiteur.
Maxime est toujours dans son lit lorsque je ressors de la salle de bain, perdu dans ses pensées, le regard dans le vague, et je le fais sursauter en refermant la porte.
— Encore merci, j’espère que je n’ai pas été trop longue…
— Trop longue ? Oh non, au contraire ! Enfin, euh… Pas du tout. Je regarderai ce qu’il se passe dans votre chambre demain, mais si ce n’est pas dans mes compétences, il faudra que vous reveniez les jours prochains en attendant que ce soit réparé.
— Désolée, voilà que je m’impose même ici… Vous n’imaginiez pas que ça en arriverait jusque là, n’est-ce pas ? ris-je, mal à l’aise.
— Jusque là ? Comment ça ? demande-t-il, visiblement pas concentré sur ce que je lui dis.
— Eh bien, que je me retrouve dans votre chambre, et même votre salle de bain. Bref, je ne vous ennuie pas plus longtemps, je vous laisse vous reposer. Il faudra qu’on discute de ce que je peux faire pour vous, mais ça peut attendre demain, j’imagine. Bonne nuit, Maxime.
— Ce que vous pouvez faire pour moi dans ma chambre et ma salle de bain ? s’interroge-t-il en multipliant les questions. Vous voulez faire quoi ici ?
— Ici ou ailleurs, ce n’est pas important. Je vous dois bien ça, non ?
— Ah oui, c’est comme ça que vous voyez les choses ? Enfin, je ne suis pas du genre à abuser, vous savez.
— Je n’en doute pas, mais je peux au moins faire quelques petits trucs, non ? vous m’hébergez, vous me nourrissez, c’est la moindre des choses. Je suis plutôt manuelle, donc n’hésitez pas, lui dis-je alors que je vois ses sourcils se froncer au fur et à mesure que la conversation avance.
— Vous êtes habile de vos mains, c’est ça, je comprends bien ce que vous êtes en train de me dire ? dit-il perplexe. Et je ne vois pas de quel petit truc vous parlez.
— Vous comprenez bien, oui. Et je parle de petits services, de ce que vous voulez, selon ce dont vous avez besoin, souris-je en m’asseyant au bout du lit.
— Là, je ne crois pas que vous soyez prête pour ce dont j’ai besoin, Miléna. Je ne vous héberge vraiment pas pour en profiter ainsi.
— Vous n‘en profitez pas puisque je vous le propose, Maxime. J’ai vraiment envie de vous remercier, et puis ça m’occupera.
Il est fatiguant à ne pas vouloir que je fasse quoi que ce soit ici. C’est la moindre des choses et si ça me fait plaisir ?
— Je pense que je serais un vrai salaud si j’en profitais, je ne vous ai pas hébergée pour soulager mes envies, vous savez.
— Pour soulager vos envies ? C’est comme ça qu’on dit dans votre pays ? Eh bien… C’est une expression particulière, mais j’y tiens vraiment, je veux… Soulager vos envies.
— Non, Miléna, je ne peux pas. Même si vous êtes vraiment très belle, ce ne serait pas normal de vous mettre dans mon lit juste parce que je vous héberge. Désolé, je ne peux pas accepter, même si j’avoue que ça ne me déplairait pas.
J’ouvre de grands yeux et me lève précipitamment du lit pour mettre de la distance entre lui et moi. Est-ce qu’il est sérieux ? Il a vraiment cru que je voulais lui offrir mon cul ? Pour qui me prend-il, celui-là ?
— Non mais ça va pas ? J’ai une tête à vendre mon corps ? Je n’en suis pas encore arrivée là, Maxime, vous êtes fou ou quoi ?
— Mais c’est vous qui parlez de satisfaire mes envies ! Je vous repousse depuis tout à l’heure !
— Mais je n’ai jamais parlé de sexe ! Je… Merde, bafouillé-je en tirant sur mon tee-shirt pour me couvrir davantage les cuisses. Je parlais de bricolage, de jardinage ! De ménage, même. Certainement pas de sexe !
— Oh ! rougit-il jusqu’en haut de ses oreilles. J’avais compris… Non, rien, désolé, mais c’est pour ça que je vous repoussais, en tous cas…
Je masque le sourire qui cherche à naître sur mes lèvres en comprenant qu’il me dit presque clairement que je l’intéresse, et tente de rester de marbre. C’est une fois de plus très flatteur, mais je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée pour Vahik et j’attrape mon collier en soupirant.
— Je vous remercie pour votre intérêt, mais… Aussi agréable que vous êtes, je veux dire… Enfin, vous êtes très beau et très charmant, et puis aussi très gentil, mais je ne peux pas, désolée.
— Ne soyez pas désolée, Miléna, on s’est mal compris, ça arrive. Surtout que vous me déconcentrez bien en étant comme ça, si belle au bord de mon lit. Il faudrait plutôt parler de ce que vous comptez faire les prochains jours.
— Merci, murmuré-je en détournant les yeux tout en allant me rasseoir. J’ai jardiné aujourd’hui, j’espère que vous n’allez pas m’en vouloir. J’aime ça, le jardin. Et… mon fiancé et moi avons refait notre maison, donc je sais faire plein de choses de mes mains, qui n’ont pas de rapport avec du sexe, Maxime.
Je hausse un sourcil et lui lance un sourire moqueur alors qu’il semble toujours aussi mal à l’aise.
— Oui, vous avez dit que vous étiez manuelle, grommelle-t-il sans cesser toutefois de me regarder, les yeux gourmands. Mais il ne faut pas vous sentir obligée de faire quoi que ce soit, même si ce n’est pas du sexe.
Je soupire et lève les yeux au ciel alors qu’il reste sur sa position de ne pas profiter de moi, dans aucun sens du terme. J’ai presque envie de le provoquer.
— Très bien, donc pas de sexe même si j’en ai envie, alors ? osé-je.
— Comment ça ? Vous avez envie de sexe ? Mais… je… Enfin…
— Peu importe, en fait, puisque j’ai envie de vous aider et que je ne peux pas, souris-je. Donc, pas de jardin, pas de bricolage, pas de ménage, pas de sexe…
— Ah oui, je vois, c’est comme ça que ça marche… Je dois vraiment être bête de ne pas céder à mes envies de profiter de tous vos talents, alors…
— Je suis sérieuse, Maxime, je veux vraiment vous aider. Pour le sexe, c’est… Je ne peux pas, c’est tout, soupiré-je. Même si je pourrais… Enfin… C’est trop compliqué, je ne cherche pas ça, c’est tout.
— Même si je pouvais, on dit, me corrige-t-il gentiment. Sachez que si un jour vous pouvez, je ne suis pas sûr de pouvoir résister. Mais c’est vrai qu’on peut réfléchir à des façons plus traditionnelles de me donner un coup de main. Sans que vous pensiez que ce soit une obligation, bien sûr.
Je réfléchis à ses propos avant de me lever et de récupérer ma trousse de toilette et mes affaires près de la porte de la salle de bain.
— Réfléchissez, oui. Je vous ai dit ce que j’aimais faire, donc je ne prendrai pas ça pour une obligation.
— Bonne nuit, jolie Miléna. Je crois que je vais faire de beaux rêves.
— Bonne nuit à vous aussi, Maxime, souris-je en le saluant d’un signe de main. Et, au fait… Je crois que dire “je pourrais” était correct dans ma phrase. Je pourrais bien craquer. Non ?
— Oui, et vous pourriez bien ne pas être la seule, murmure-t-il, ses yeux toujours posés sur moi.
Je sors de sa chambre pour regagner la mienne avant de faire une bêtise. Je ne sais pas ce qui m’a pris de lui dire ça. C’est vrai, quoi, une minute avant je lui disais que je ne pouvais pas et je laisse finalement planer le doute. Je ne peux pas, c’est une réalité. J’aurais l’impression de trahir Vahik. Mais c’est quand même une sacrée tentation, d’avoir cet homme sous les yeux. Et après deux mois à vivre à la rue, en solitaire, à déambuler un peu partout, je ne dirais pas non à un peu de chaleur humaine. Et encore moins à la sienne, de chaleur. Il va vraiment falloir que je me mette au jardinage, en fait, qu’il le veuille ou non.
Annotations