39. L'anniversaire de la fausse mère
Maxime
La porte se referme sur elle et j’avoue que je ne sais pas quoi en penser. C’est pourtant elle qui est venue me rejoindre dans ma chambre, elle qui s’est glissée dans mon lit, elle qui a commencé par se déshabiller et se coller contre moi. Et hop, un coup de tonnerre et c’est comme si le monde s’était arrêté de tourner. Me voilà à nouveau seul, la seule preuve que je n’ai pas rêvé, c’est cette culotte qui traine par terre et mon érection qui commence déjà à se calmer. Je n’en reviens pas qu’elle m’ait planté là comme ça. J’ai mal interprété ses signaux ? J’ai fait quelque chose qui lui a déplu et elle n’ose pas me le dire ? Si vraiment c’était son passé qui la hantait, pourquoi est-elle venue me retrouver ? Peut-être qu’elle ne voulait vraiment qu’un simple câlin et que j’ai merdé. En voulant aller trop vite, j’ai peur d’avoir grillé toute chance d’aller plus loin avec elle.
Je me recouche dans mon lit et suis surpris de retrouver des effluves de son odeur. Quand je pense qu’elle était là, nue dans mon lit et que l’on allait enfin pouvoir s’unir ! Franchement, cette femme est canon et je ne regrette pas de l’avoir découverte totalement dévêtue, même si ce fut court. C’est largement à la hauteur de mes plus folles espérances. J’adore ses jolis seins ronds qui sont de belle taille, parfaits pour mes grandes mains. Et ses fesses… Si elle n’était pas partie, j’aurais adoré la prendre en les caressant… Mais pourquoi m’a-t-elle laissé comme ça ? Rien que de repenser à tout ça, je bande à nouveau et je ne résiste pas à la tentation de me faire jouir en imaginant dans ma tête la suite de la soirée si elle était restée dans mes bras. Les images qui s’enchaînent devant mes yeux sont toutes plus sulfureuses les unes que les autres et me mènent à un orgasme puissant qui ne fait cependant pas grand-chose pour atténuer ma frustration. Après m’être nettoyé, je retrouve mon lit et essaie de m’assoupir malgré toutes les questions qui se bousculent dans ma tête.
Quand j’ouvre les yeux, le soleil s’est levé et je vois par ma fenêtre que c’est comme s’il n’y avait jamais eu d’orage, comme si les événements de la nuit n’avaient jamais eu lieu. Je me dirige vers la chambre des enfants pour les réveiller avant de réaliser que je peux les laisser dormir en ce dimanche matin. Je descends et me prépare un petit café tout en réfléchissant à comment je vais gérer ma relation avec Miléna quand elle se présentera à moi. On fait comme si de rien n’était ? On continue les papouilles ou ça aussi, c’est trop ? Purée, que c’est compliqué de vivre avec une femme et ne pas savoir si on est amis, amis et plus si affinités ou si on est un couple !
Heureusement pour moi, la question ne se pose pas car c’est Lili qui me rejoint la première. Et quand Miléna arrive, nous nous échangeons un simple regard mais rien de plus.
— Tu as bien dormi, Lili ? L’orage ne t’a pas réveillée ?
— Non, ça va. Je n’ai rien entendu, moi. Tu as été réveillé, toi ?
— Oui, un coup de tonnerre plus fort que les autres m’a complètement réveillé et après, je n’ai pas su me rendormir.
— Oui, pareil pour moi, soupire Miléna en se servant une grande tasse de café avant de m’adresser un regard coupable.
— Vous êtes bêtes, vous les vieux. Il faut dormir la nuit !
J’allais répondre quand Tom arrive dans la cuisine et se joint à nous. Il s’installe à sa place sans un bruit et je suis content de voir que j’ai tout bien préparé car il sourit en voyant son bol dans l’alignement de son verre et ses couverts. Il relève la tête et remarque la présence de Miléna.
— Joyeux anniversaire, Miléna. Cela doit être étrange de le passer pour la première fois en France, non ?
Il sort ça de la manière la plus naturelle du monde sous nos regards surpris. Pourquoi souhaite-t-il bon anniversaire à la jolie Arménienne ?
— Joyeux anniversaire ? demandé-je, incrédule alors que Miléna rougit et ne répond pas. C’est quoi cette histoire, Tom ? Pourquoi tu dis ça ?
— Eh bien, on est le onze juin et c’est le jour où est née Miléna. Il n’y a pas d’histoire, c’est marqué sur tous les dossiers que vous avez faits pour qu’elle puisse demander l’asile. Il ne faut pas avoir fait de grandes études pour dire “Joyeux anniversaire” le bon jour, quand même, si ?
Je regarde Miléna qui semble ne plus savoir où se mettre.
— Joyeux anniversaire, alors ? dis-je sans la quitter des yeux tandis que Lili fonce dans ses bras pour lui faire un bisou.
— Joyeux anniversaire, Miléna ! s’exclame-t-elle en souriant. Il faut fêter ça ! C’est trop bien que ça tombe un dimanche !
— Merci à vous trois, mais… C’est pas la peine de le fêter. C’est un jour comme les autres, nous répond-elle en serrant ma fille contre elle.
Mon esprit torturé se demande si elle est partie parce que je n’ai pas pensé à lui souhaiter quand elle était dans mes bras. Peut-être qu’elle s’attendait à ce que je m’en souvienne et que je lui dise, qu’elle me voulait comme cadeau mais que j’ai foiré ce moment. Il faut que je me rattrape, en tous cas. Dans notre famille, ne pas célébrer un anniversaire, c’est presque un crime.
— Tut, tut, tut ! Ce n’est pas un jour comme les autres ! On va célébrer tous ensemble ! En famille ! D’accord les enfants ? Et ce midi, on se fait un petit restau ?
— Oh oui, un restau ! s’extasie Lili.
— D’accord pour moi, mais il faut vite réserver, puisque tu n’y as pas pensé plus tôt, Papa.
— Non, non, vraiment, ce n’est pas la peine, vraiment. C’est gentil, mais… Un déjeuner ici, ça me va très bien.
— Trois contre une, c’est décidé, ce midi, c’est restau ! Je vous propose la pizzéria de la Place d’Armes. Et si vous êtes sages, on pourra prendre une photo avec Yvonne et Charles de Gaulle, deal ?
Même si j’ignore pourquoi, je sais que Tom adore se faire prendre en photo avec les deux statues qui ornent la place et que cela devrait suffire à lui faire accepter le changement dans les habitudes et surtout l’imprévu de la situation. Il a l’air de ne pas rechigner à l’idée, par contre Miléna est toujours un peu mal à l’aise et j’en remets une couche pour finir de la convaincre.
— Chez nous, on va toujours au restau pour les anniversaires. Ce n’est pas possible de refuser. Et puis, ça va, c’est une pizzéria, on ne va pas se ruiner.
— Bien, si vous insistez… se résigne-t-elle finalement à accepter.
J’appelle pour réserver notre table puis vais m’occuper des espaces extérieurs du jardin tandis que tout le monde se prépare. J’essaie de me consacrer entièrement à ces travaux d’entretien pour ne pas repenser sans cesse à ce qu’il s’est passé hier soir. C’est compliqué car mon cerveau semble bloquer sur la vision de Miléna me chevauchant avant de s’enfuir au moment fatidique. Quand je rentre et vais prendre une rapide douche, je croise Miléna qui m’adresse un sourire gêné avant de retourner dans sa chambre. Ça promet, le restaurant, si on ne se parle pas.
C’est dans cet état d’esprit que je me gare non loin de la Place d’Armes et que nous pénétrons dans le restaurant où le serveur, un jeune homme qui ne doit pas avoir plus de vingt ans, nous installe à une table qui donne sur la place. Je suis aux côtés de Miléna et pendant que nous regardons le menu, je me permets de poser ma main sur sa cuisse. A mon grand soulagement, elle ne me repousse pas et pose sa main sur la mienne.
— Miléna, avec Tom, on t’a préparé un petit cadeau, commence Lili. Ce n’est pas un gros truc car on n’a eu que ce matin, mais on espère que ça te fera plaisir.
Elle lui tend un petit paquet fait maison avec des feuilles coloriées à la main. C’est mignon, même si ça a l’air très artisanal.
— Vous êtes trop adorables, il ne fallait pas, les enfants, sourit-elle, visiblement touchée, en ouvrant délicatement le paquet.
Elle en sort une œuvre assurément construite avec l’aide de Tom car quand elle tire sur le papier, tout se déplie et l’origami prend la forme d’une étoile qui a été décorée par ma fille, vu le ton pastel des couleurs choisies. C’est à la fois super joli et ingénieux et je suis fier du cadeau qu’ils ont préparé.
— Merci beaucoup, vous êtes des anges et c’est magnifique, continue-t-elle en se levant pour embrasser Lili sur la joue et la serrer contre elle. Je peux te faire un bisou pour te remercier, Tom ?
— Oui, c’est ton anniversaire. Tu peux tout te permettre, sourit-il en tendant sa joue de manière un peu maladroite.
— Mince, dommage que mon anniversaire ne soit qu’un jour dans l’année alors, sourit-elle en déposant un baiser sur sa joue, puis un second. Désolée, j’en abuse.
— Heureusement parce que si tu avais ton anniversaire tous les jours, tu aurais déjà 10 227 ans ! répond-il le plus sérieusement du monde.
— Ah oui, tu as raison, mais je serais plutôt encore en forme pour mon âge, rit Miléna en se rasseyant.
— Je confirme, tu es en pleine forme. Joyeux anniversaire, Miléna, dis-je alors que le serveur revient pour prendre nos commandes.
— Oh c’est votre anniversaire, Madame ? Bravo ! Enfin, je veux dire bon anniversaire à vous. Vos enfants vous ont gâtée, j’espère ! Vous avez une bien belle famille en tous cas. Vous avez choisi ce que vous prenez ?
— C’est pas notre mère ! tonne Tom avant même que nous ayons pu réagir avec Miléna. N’importe quoi !
— En effet, je ne suis pas leur mère, confirme-t-elle avec un sourire gêné. Je…
— Non, t’es pas ma mère ! s’énerve Tom en repoussant brusquement le set de table, faisant basculer son verre que je rattrape in extrémis. Ma mère, elle s’appelle Florence, et c’est elle qui m’a porté !
— Tom, tu te calmes tout de suite, s’il te plaît, l’interpellé-je d’une voix ferme. Le serveur ne pouvait pas savoir que ta mère nous a quittés il y a des années. Analyse la situation avec un peu de recul et tu comprendras facilement que la confusion est possible. Utilise ton cerveau plutôt que tes émotions !
— Je suis désolé, dit le serveur, tout gêné de l’éclat que provoque sa méprise.
— Me crie pas dessus ! C’est lui qui est nul et s’est trompé ! C’est pas ma faute à moi !
— Il a raison, Papa, ça sert à rien de crier, ce sera encore pire, intervient Lili en attrapant la main de son frère. Respire, Tom, ça va.
— J’aimerais bien t’y voir, toi, bougonne Tom en s’accrochant malgré tout à la main de sa sœur, la tête baissée et la respiration rapide qu’il tente de contrôler.
— Pour me faire pardonner, je vais voir avec la patronne pour vous offrir le dessert et fêter dignement votre anniversaire, Madame. Cela vous irait ?
— Très bien, accepté-je alors qu’il s’éloigne déjà. Tu vois, Tom, il est parti et vous aurez le droit à un bon dessert. Tout va bien, non ?
— Non, ça va pas. T’as parlé de famille, tout à l’heure, et là, il prend Miléna pour notre mère. C’est pas normal. Elle dirait quoi, Maman, si elle nous voyait, hein ? débite-t-il vivement avant de prendre une profonde inspiration.
J’ai bien envie de lui répondre que, connaissant sa mère, cela la ferait rire. Pour elle, rien n’a d’importance et la vie est un jeu qu’on peut pratiquer comme bon nous semble. Je préfère ne pas relever et ne rien dire en voyant que sa sœur parvient à le calmer et à le faire redescendre. Il fait le choix de se réfugier dans un mutisme indigné et protecteur. En colère contre la société, ce silence l’empêche en effet d’être atteint par nos échanges sur le quotidien de nos vies. Nous continuons le repas où tout se passe aussi bien que possible. Miléna a l’air très émue de ce petit temps en famille, et, quoi que puisse en dire mon fils, c’est un peu ça que je retrouve en ce dimanche ensoleillé : la douce impression de ne pas être le seul adulte avec mes enfants, le sentiment d’être accompagné par une femme merveilleuse que je continue à désirer malgré le rejet qu’elle a exprimé la nuit dernière. Et il faudra bien que Tom s’habitue à ces petits instants de normalité parce que je crois que je n’ai pas dit mon dernier mot vis-à-vis de Miléna.
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