48. Le Châtelain, la "Vierge" et les deux enfants

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Miléna

— Je crois que c’est bon, Lili, tu peux ranger tes affaires.

Maxime embrasse sa fille sur la tempe et lui sourit en jetant un œil aux devoirs que Tom rechigne à faire. Il a sur les genoux un livre qu’il lit en douce depuis tout à l’heure plutôt que de se concentrer sur ses mathématiques, mais mon châtelain ne semble pas l’avoir repéré, et il commence à trépigner de voir que les maths n’avancent pas. Lili était contente de faire ses devoirs avec lui, pour une fois qu’il est à la maison suffisamment tôt pour lui apporter son aide. Je crois que lui aussi a apprécié ce moment, jusqu’à maintenant où je sens la tension remonter. Après son altercation au travail avec son chef, je crois qu’il ne faut pas trop le chercher, ce soir, même s’il s’est calmé.

Est-ce que j’ai apprécié son retour au beau milieu de l’après-midi ? Assurément. D’autant plus qu’il nous a permis de partager une petite douche commune bien agréable, et un moment à papouiller, comme il dit, nus comme des vers sur mon lit, durant lequel il m’a raconté ce qu’il se passe au port.

Je file à l’évier pour rincer la salade et souris en voyant l’eau couler sur ma main. Cela me ramène inévitablement à cette douche particulièrement agréable à l’issue jouissive. Maxime est un partenaire attentif à l’autre et dans le partage, ce qui fait de moi une femme comblée chaque fois que nos corps s’imbriquent l’un dans l’autre. C’est un peu comme si mon corps reconnaissait le sien comme étant la source principale de mon bonheur et de mon plaisir, et qu’il décidait de se relâcher totalement pour atteindre le Nirvana en compagnie de cet homme. Comme si tout était décuplé par nos contacts afin que la satisfaction soit totale.

En refermant le robinet d’eau, je me dis que j’ai une chance incroyable que le père Yves m’ait amenée ici, à la fois en ce qui concerne ma situation, mais aussi tout simplement pour lui. C’est vrai, qui aurait pu imaginer qu’en arrivant en France, je me retrouverais dans un château et aurais une relation avec le châtelain ? Pas moi, ça c’est sûr. D’autant plus que je n’étais pas censée arriver ici seule, dans une situation aussi précaire. Maintenant que je sais ce qu’il en est pour la vie de Vahik, je me demande s’il serait vraiment parti avec moi, au final. Cela n’a plus rien de logique et j’essaie de ne pas trop y penser, mais cela me revient souvent en tête.

J’essore la salade en observant Maxime, qui a trouvé le livre de Tom et le garde sous son bras devant l’air contrarié de son fils. Est-ce qu’il est sincère, lui ? C’est vrai, comment en avoir la certitude ? Vahik avait l’air de l’être. Quelques heures avant de se faire tuer, lui et moi partagions le même genre de moment que celui que j’ai vécu avec Max cet après-midi. Le sexe, ça ne fait pas tout. La preuve. Vahik et moi nous entendions plutôt bien sur ce plan, comme sur beaucoup d’autres d’ailleurs, et, au final, je finis par me rendre compte que je n’étais, en fait, qu’une maîtresse qui n’en avait même pas conscience. Je doute que ce soit le cas pour Maxime, vu sa situation, mais pour le reste, jusqu’où va sa sincérité ? Lui qui est seul depuis longtemps pourrait très bien profiter de ma présence ici pour s’amuser un peu, non ? Et à quel point est-ce que cela me dérangerait, après tout ? Nous n’avons jamais vraiment évoqué ce que nous voulions, tous les deux, même si nos échanges et notre complicité me font me dire qu’il s’agit de plus que juste de l’amusement. De mon côté, en tous cas, c’est plus que ça, j’en ai bien peur.

Mon cerveau est encore parti dans tous les sens et je décide de le faire taire en ouvrant l’ordinateur pour remettre le nez dans la traduction et la localisation de cette statue disparue. Avec Maxime, nous avons fait un plan du château où nous replaçons les statues au fur et à mesure que nous comprenons où elles étaient installées, parce que celle de la vierge qui est censée nous mener au trésor, elle, est vraiment galère à localiser. J’ai l’impression qu’on va mettre une éternité avant d’y arriver.

— Vous avez bientôt fini ? Je crois qu’on a besoin des enfants pour la suite, on ne va pas s’en sortir seuls, Max, dis-je alors que je vois Tom s’impatienter devant ses mathématiques.

— Ça ne devrait plus lui prendre trop de temps, grommelle Maxime.

— Vous avez besoin de nous ? demande Lili qui s’est réinstallée à sa place à la table de la cuisine, une BD à la main.

— Je crois, oui. Il y a trop de statues à replacer. Tu veux m’aider ? Tom, tu as fini ? On a besoin de toi aussi.

— Je vais finir tout de suite, répond le jeune garçon alors que son père semble exaspéré de le voir si efficace après avoir autant traîné.

— Ça veut dire quoi, replacer les statues, Miléna ? Je n’ai pas compris ce que tu attends de nous, ajoute-t-elle en s’approchant de moi.

— Eh bien, on a une liste de statues qui étaient au château, et le lieu où elles étaient installées. Sauf que votre arrière grand-père avait l’air d’aimer les énigmes, parce qu’au lieu de dire clairement où elles étaient, il le fait en devinettes. Tu vois ? La statue du chevalier, par exemple, se trouvait là où l’on peut voir le ciel, la mer et la terre. Donc, dans la tour. Celle-là est facile, ce qui n’est pas le cas de toutes. Alors, comme vous connaissez mieux le château que moi, et que votre père travaille beaucoup, moi, j’ai besoin d’autres détectives.

Lili tire son tabouret pour s’installer à côté de moi et se plonge dans le plan du château alors que Tom continue ses maths. Je souris à Maxime qui surveille à la fois son fils et sa fille, et contourne la table pour aller voir où en est le petit, occasion parfaite pour un contact physique avec mon châtelain. Je pose ma main sur son dos et le caresse doucement tout en regardant l’exercice.

— Dire que tu pourrais déjà être en train de nous aider, Tom, soupiré-je. Dépêche-toi avant que Lili n’arrive à tout résoudre sans nous.

— Oui, dépêche-toi, j’en ai déjà trouvé une ! s’extasie sa sœur.

— Allez, on le laisse finir et on va aider Lili. De toute façon, maintenant que tu t’y es mis, dans cinq minutes, c’est fini, explique son père en m’entrainant de l’autre côté de la table. Je me demande bien où se trouve cette Vierge !

Je souris en le regardant discuter avec Emilie pour essayer de trouver l’emplacement des statues de la liste, et me dis que l’idée n’était pas mauvaise quand Tom débarque avec son cahier, plus pour nous montrer qu’il a bien fini que pour que nous vérifions les choses. Nous passons donc un petit moment à réfléchir aux énigmes et je profite de la concentration des enfants sur les papiers et l’ordinateur pour me presser contre le dos de Maxime, faisant mine de vouloir jeter un œil au plan. Je sais que je devrais être à cent pour cent là-dedans, mais je crois que j’ai besoin de ce contact pour me rassurer. C’est sans doute bête, mais je ne peux m’empêcher de douter, de me poser des questions sur notre relation. Et je crois que sa réaction est plutôt rassurante. Ou du moins, elle l’est dans l’instant, puisqu’il se lève pour me laisser m’installer à sa place et se cale dans mon dos en posant ses mains sur la table, de chaque côté de moi. Je sens sa barbe caresser mon épaule lorsqu’il étudie le plan, son souffle chaud dans mon cou lorsqu’il parle, son torse qui se soulève à chacune de ses inspirations. Tous mes sens sont exacerbés à son contact et cela a au moins le mérite de mettre mon cerveau en pause. Peut-être un peu trop, d’ailleurs, parce que je ne suis plus du tout concentrée sur les statues et le trésor.

— Miléna, t’en penses quoi ?

Je tourne la tête en direction de Lili, me rendant compte que je n’ai absolument rien suivi.

— Heu… Oui, oui, je suis d’accord, dis-je un peu au hasard.

— Cool, on y va !

Les enfants sautent de leur tabouret, carte en main, et sortent par la porte fenêtre qui donne sur la terrasse. Je reste là, un peu ahurie, et sursaute quand les bras de Maxime se referment sur moi. La surprise laisse rapidement place au plaisir, surtout qu’il m’embrasse dans le cou et vient mordiller le lobe de mon oreille.

— J’ai dit oui pour quoi, au fait ? J’étais ailleurs, je n’ai pas écouté, ris-je finalement.

— Eh bien, il y a trois endroits où la Vierge aurait pu être et on va essayer d’aller voir celui qui pourrait le plus correspondre. Chacun à un endroit et on cherche. Le premier qui trouve a gagné. Moi, j’ai déjà gagné, je t’ai trouvée, ça vaut bien un bisou, non ?

— Je suis désolée de te le dire, mais tu t’es trompé, Max, je ne suis pas vierge, m’esclaffé-je, fière de mon second degré.

Il prend alors un air tout déçu qui me fait littéralement craquer. On a l’impression que le ciel vient de lui tomber sur la tête, voire pire.

— Fais pas cette tête, il me semble que ça t’arrangeait bien, cet après-midi, sous la douche, non ? continué-je avant de l’embrasser chastement sur le bout du nez.

— Ah mais, sous la douche, j’ai eu de vrais bisous ! Et là, j’en suis privé ! Tu peux comprendre mon désespoir…

— Tu n’es jamais satisfait, c’est fou, ris-je avant de l’embrasser plus franchement, reculant malgré tout lorsqu’il cherche à en profiter. Et donc, on doit chercher où, nous ? Tu m’as déconcentrée, tu sais ?

— Juste à côté du pont, près du petit muret. Allons-y, sinon les enfants vont se poser des questions.

J’acquiesce et le suis jusqu’à l’extérieur, à l’avant du château. Je vois que Tom a fait le tour par un côté pour se concentrer sur le bord, près des douves, à gauche de la bâtisse, alors que Lili est à droite. Ils sont vraiment mignons, tout attentifs à l’environnement, tandis que moi je ne vois qu’eux et leur père. Cette chasse au trésor est vraiment intéressante, mais elle prend une toute autre ampleur pour moi, partagée avec la famille. Je prends conscience du fait je me suis vraiment attachée à eux, et de l’importance qu’ils ont pris dans ma vie totalement chamboulée. J’ai la sensation qu’ils m’ont apporté, en quelques mois, plus que je n’ai jamais eu avec Vahik, qui restait sur la réserve, qui se demandait s’il voulait des enfants, qui repoussait notre mariage encore et encore. Quand je vois comme la chute est brutale avec les mensonges de ce dernier, je me dis que je prends un sacré risque avec les De la Marque, et surtout avec le patriarche. Je suis déjà bien trop attachée à lui comme aux enfants pour faire machine arrière, et j’ai bien peur qu’une nouvelle déception ne soit pas envisageable.

— Je crois que c’est là ! crie Lili alors que nous levons tous les yeux vers elle.

Elle se trouve devant la fenêtre de la cuisine, les pieds dans un parterre de fleurs et nous nous précipitons vers elle, certains plus heureux que d’autres, puisque Tom bougonne de ne pas avoir pris le bon côté.

— Pourquoi tu penses que c’est ici ? lui demandé-je en regardant au sol sans rien voir.

— De là, dit-elle en montant sur le rebord du mur, on voit l’entrée du domaine, à travers les arbres ! C’est fou, c’est le seul endroit où il y a toute une rangée sans arbres, on peut voir la grille, regardez !

Nous passons l’un après l’autre et nous pressons contre elle pour constater qu’en effet, on peut voir d’ici l’entrée du château, comme c’est écrit dans le cahier qui recense les statues. Mais il ne s’agit pas de l’entrée de la bâtisse, finalement.

— Et une enquête de résolue pour la jolie Lili, bravo ! la félicité-je en lui faisant une révérence.

— Ouais, enfin, ça nous apporte rien, y a pas de trésor, là, bougonne encore Tom qui regarde autour de lui comme s’il espérait que le coffre apparaisse comme par magie.

— Non, il n’y a pas de trésor, mais maintenant, on sait où chercher. Le trésor se situe entre ici et la tour qui est… là-bas, dit Maxime en se tournant. Et il y a un chemin entre les deux. Il va juste falloir qu’on creuse un peu et on va trouver l’entrée du souterrain, c’est sûr.

— Il faut utiliser un outil de géomètre et ça sera trop facile, s’enthousiasme le garçon. Tu sais, ce genre de grand bâton utilisé pour sonder le sol ?

— Eh bien, ce n’est pas ce soir qu’on va trouver ça, ris-je sans pouvoir m’empêcher de regarder autour de moi. Donc… On va manger et on en discute à table ?

— À table ! crie le Châtelain à tue-tête. Le trésor attendra, pas nos ventres affamés !

Je suis la famille en direction de l’entrée et me retrouve devant la fenêtre de la cuisine tandis que Tom met la table avec son père. J’avoue que la sensation de se rapprocher du trésor m’excite outre mesure. J’ai envie d’avoir le fin mot de l’histoire. Et aussi de pouvoir faire ce qui me trotte dans la tête depuis un moment : en faire un article sur mon blog. J’en ai déjà parlé brièvement à plusieurs reprises, mais j’aimerais vraiment recentrer toutes les informations, mettre en avant nos recherches et la participation des enfants, sans parler du grand-père de Maxime qui a eu une idée folle en montant tout ça. J’aurais adoré rencontrer cet homme, j’en suis certaine.

— A table, Miléna ! On t’attend !

La voix de Lili me sort de mes pensées. Honnêtement, je crois que mon ventre affamé pourrait attendre, là, tant l’envie d’écrire m’a saisie. Pourtant, je vais m’installer à table et tente tant bien que mal de réfréner ce besoin. Qu’est-ce que ça me manque, tout ça…

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