56. Les aventuriers du souterrain perdu
Miléna
— Ah non, non, non, mon petit père, n’y pense même pas !
J’attrape la boule de poils au passage alors qu’elle se dirigeait tout droit dans le parterre de fleurs. Je me retrouve encore une fois avec la joue pleine de bave, et m’essuie d’un revers de main en riant. Ce chiot est vraiment trop adorable, et il a conquis toute la famille en quelques jours.
— Lili, Tom, occupez-vous du petit shun avant qu’il ne mette de la terre partout dans la maison.
Tous deux me regardent en fronçant les sourcils avant de comprendre que je parle du chien. Ah, l’arménien… Je plaide coupable, j’essaie de caser des mots à droite, à gauche. Je crois qu’au final, c’est ce qui me manque le plus. Parler dans ma langue maternelle, ne pas réfléchir tout le temps à mes mots, ne pas me demander si ce que je dis est clair. Même si j’ai un bon niveau, tout n’est pas toujours automatique.
— Pour qu’on s’occupe de lui, il faut que tu le lâches, Miléna !
Je me reconnecte à la réalité et souris à Lili en déposant la boule de poils, que je câlinais sans même m’en rendre compte, avant qu’elle ne le siffle pour le faire venir. Manque de chance, ça ne marche pas vraiment, et elle bougonne en s’accroupissant pour qu’il la repère et la rejoigne pour jouer.
— Tu t’en sors ? demandé-je à Maxime qui finit de déterrer, aussi proprement que possible, les fleurs du parterre.
— Oui, ça va, mais je me demande si on va vraiment trouver quelque chose ou si on fait tout ça pour rien. Parce que si on s’est trompés, ça veut dire qu’on va juste creuser et trouver de la terre. Ce serait la découverte du siècle !
— Eh bien, au pire, ça entretient tes biceps, et puis…. C’est terriblement excitant de te voir travailler comme ça. Tu connais, Little House on the Prairie ? C’est une série que je regardais, petite. Tu as un petit air de Charles Ingalls, en plus mignon et moins catholique.
— Tu veux que je remette mon tee-shirt pour que tu puisses mieux te concentrer sur ce que tu dois faire ? me demande-t-il en se redressant, son torse nu à quelques centimètres de moi. Je ne savais pas que vous aviez aussi cette série chez toi, c’est marrant comme le monde est de plus en plus interconnecté.
— Ne remets surtout pas ton tee-shirt, sinon je risque de perdre tout intérêt pour ma tâche, ris-je. J’ai hâte de te voir couper du bois pour l’hiver, en tout cas… Un fantasme vivant !
Je récupère la seconde pelle pour commencer à creuser là où il n’y a plus que de la terre alors que Maxime m’observe faire, accoudé sur son outil de travail.
— Quoi ? C’est moins sexy pour une femme, c’est ça ?
— Au contraire ! J’étais en train de me dire que si les enfants n’étaient pas juste à côté, je serais déjà en train de te faire l’amour, ici, en plein air. Tu es vraiment trop belle, Miléna.
Je souris et lui envoie un baiser, non sans avoir vérifié que les enfants étaient occupés avec Casanova. Décidément, ma vie en France ne ressemble en rien à ce que j’avais imaginé vivre ici. C'est bien mieux, c’est sûr, mais plutôt étonnant. Je me retrouve à loger dans un château, à sortir avec le châtelain, à m’occuper de ses enfants et à chercher désespérément un trésor. Digne d’une comédie romantique, non ?
Une fois que Maxime a fini de déplacer les fleurs, nous nous mettons à creuser et je commence à désespérer en voyant à quel point nous creusons profondément. Je commence à me dire que nous avons dû nous tromper, que la statue n’était peut-être pas ici, ou que l’on a mal interprété ce qui était écrit, quand ma pelle bute contre quelque chose. Je grimace en me massant un peu le poignet alors que Max se rapproche et vient creuser près de moi. Nous raclons la terre sur de larges planches de bois et finissons par nous regarder en souriant bêtement.
— Là, je crois qu’on tient quelque chose, Charles.
— Oui ! Je suis sûr que c’est l’entrée du souterrain qu’on cherche ! C’est fou ! me dit-il en me serrant contre lui avant de m’embrasser avec passion. Les enfants ! Venez voir ! On a trouvé quelque chose ! crie-t-il ensuite.
Lili et Tom se précipitent dans notre direction et viennent observer notre découverte alors que Casanova, qui les a suivis, s’aventure dans le trou pour renifler.
— Comment on fait pour savoir si c’est… Sécurisé ? Je veux dire, ça fait longtemps, si ça se trouve, c’est dangereux, demandé-je à Max qui s’est agenouillé pour récupérer le monstre et est déjà en train de chercher à ouvrir la trappe.
— Je ne sais pas. On prie ? dit-il, complètement absorbé par sa recherche d’un moyen d’ouvrir et d’accéder au souterrain.
— En fait, il va surtout falloir faire attention aux gaz et à l’air ambiant qui pourraient être dangereux, intervient Tom. J’ai lu que c’est ça qui avait tué la plupart des découvreurs de la tombe de Toutankhamon. Il faut ouvrir et bien aérer. Sinon, le souterrain doit être fait en pierres, et ça doit être solide, non ?
— Tu lis vraiment trop de trucs bizarres, se moque gentiment sa sœur qui, comme nous tous, ne quitte pas des yeux son père qui est en train de tirer sur une planche, bandant ses muscles dans l’effort.
Il ne tarde pas à parvenir à ses fins et soulève la trappe dont les gonds grincent bruyamment. Tout ça commence un peu trop à ressembler à un film d’horreur à mon goût. On n’est plus vraiment dans Indiana Jones, j’ai l’impression.
— Il vaut mieux enfermer Casanova à l’intérieur, non ? S’il tombe dans le trou, il risque de se faire mal. Et puis, il va nous falloir des lampes. Vous vous occupez de ça, les enfants ?
Je ne sais pas si l’idée d’être sollicités pour ça les réjouit ou les agace, mais Lili attrape le chien alors qu’ils se dirigent tous les deux vers l’entrée du château.
— Max, tu es sûr que c’est une bonne idée d’y aller tous les quatre ? Indiana Jones, il se retrouve toujours dans des galères pas possibles quand il explore comme ça. Je veux dire, on ne sait pas trop ce qu’il y a, là-dedans…
— Je pense qu'il faudrait que quelqu'un reste dehors pour prévenir les secours en cas de problème, mais c'est super excitant d'aller explorer ce chemin fermé depuis si longtemps… Je ne voudrais pas les priver de cette découverte… Tu imagines quelle aventure et quels souvenirs ça va nous faire ?
— Très bien, ce sont tes enfants, c’est toi le boss. Je vais rester là-haut au cas où, alors.
— Tu veux que j'appelle ma mère pour qu'elle vienne et qu'on y aille tous les quatre ? Sans toi, on n'aurait jamais rien trouvé…
— Tu ne vas pas déranger ta mère pour en plus la faire rester en haut alors qu’on joue les explorateurs ? ris-je. Et puis, ça voudrait dire qu’il faut que tu attendes pour descendre !
— On n'attend pas qu'elle arrive pour descendre et s'il arrive quelque chose, elle pourra appeler les secours. Tu ne veux pas venir avec nous ?
— Si, si, bien sûr que si.
Il ne traîne pas et sort son téléphone de sa poche pour appeler Marie. Évidemment que j’ai envie d’y aller, même si j’appréhende également. Toutes ces semaines de recherches pour rester en haut à les attendre ? Hors de question. Tout ceci est bien trop excitant pour que je ne participe pas à la fête.
Les enfants ne tardent pas à revenir et, une fois certains que Marie vient au château, Maxime attrape une lampe pour éclairer l’intérieur du trou. L’échelle a l’air en plutôt bon état, et l’excitation l’emporte sur tout le reste, puisqu’il s’engage à l’intérieur sans plus de vérifications. Lili et Tom semblent à la fois tout aussi excités que leur père, et un peu plus réticents à y aller tout de go, comme moi. Le mini-châtelain est le premier à descendre une fois que leur père nous a assurés qu’on pouvait le faire, et Lili et moi suivons prudemment.
Effectivement, le souterrain est un couloir en pierres, à première vue, et l’odeur d’humidité me remplit rapidement les narines. C’est assez étroit, pas très haut de plafond, et le sol en terre est plutôt aqueux. Plus personne ne parle alors que nous commençons à progresser lentement dans ce tunnel, uniquement éclairé par nos lampes de poche.
Nous arrivons finalement sur une petite pièce et je peux apercevoir de l’autre côté un second couloir, qui doit venir de la tour du château. Maxime est déjà en exploration, le nez dans une vieille boîte en bois alors que j’observe les murs, sur lesquels se trouvent quelques tapisseries qui ne semblent pas en très bon état. Je fais un bon en me retournant pour tomber nez à nez avec une armure rouillée, ce qui fait rire Tom et Lili, même s’ils n’ont pas l’air beaucoup plus assurés que moi.
— Alors, tu as trouvé quelque chose d’intéressant dans ta boîte ? demandé-je à Maxime
— Il y a encore un vieux livre en latin, des couverts en étain, quelques étoffes abîmées et… Attends… Oh ! C'est magnifique ! Regardez, une épée !
Maxime la soulève et les enfants l’observent comme si c’était la plus belle chose au monde, totalement imprégnés par cette chasse au trésor. Elle a besoin d’un bon nettoyage, mais cela ne semble pas être une simple épée de combat, basique, vu les ornements sur la poignée. Pour autant, mon regard à moi est attiré par le vieux livre et je souris en me disant qu’on risque d’avoir encore de longues soirées de traduction au programme. Le Latin n’est pas une langue morte dans cette maison.
— Tout va bien ? entend-on crier au loin. Vous êtes là ?
— Tout va bien, Maman. On arrive ! crie Maxime avant de se tourner vers nous. On va déjà sortir ces premières découvertes. On reviendra après pour continuer à explorer et voir si on trouve d'autres trésors.
Nous acquiesçons docilement alors qu’il soulève déjà la malle en bois pour sortir. Lorsque nous retrouvons la surface, la lumière du soleil nous éblouit tous les quatre, mais les enfants sont tellement excités qu’ils ne tardent pas à raconter à leur grand-mère tous les détails de notre découverte. Maxime semble plus posé, à présent, et en pleine réflexion devant la boîte qu’il a déposée à ses pieds.
— Je crois qu’il va falloir faire sécher le livre et les étoffes, ils n’ont pas été épargnés par l’humidité, dis-je en ouvrant le livre avec curiosité.
— C'est fou, on a réussi à trouver le trésor… Dire que ce sont mes ancêtres qui ont laissé ça il y a des centaines d'années… Et cette épée… Je me demande qui l'a utilisée… Merci Miléna ! Sans toi, ce miracle ne serait jamais arrivé ! conclut-il en attrapant ma main libre dans les siennes.
— Je n’ai rien fait de particulier, tu aurais bien fini par le trouver ce trésor, avec ou sans moi, dis-je avant d’éclater de rire en voyant la truffe de Casanova contre la fenêtre de la cuisine.
— Regarde, Mamie, c’est notre chien ! crie Lili. Viens, il faut qu’on te le montre !
Marie se retrouve embarquée vers l’entrée du château et Casanova disparaît de notre champ de vision à la seconde où il entend la porte s’ouvrir, se précipitant à la rencontre des enfants. Je profite que la voie soit libre pour me glisser dans les bras de mon châtelain et l’embrasser avec au moins autant de passion que lui dans sa quête du trésor. Nous l’avons trouvé, ce fameux trésor, c’est à la fois une sensation agréable et un peu déstabilisante. Après tout, cette quête nous a rapprochés, nous a permis de passer du temps ensemble, a occupé nos soirées pendant un bon moment. C’est un peu comme si une page se tournait, et j’ai hâte de savoir ce que le nouveau chapitre va donner.
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