58. Après l'épreuve, le réconfort

8 minutes de lecture

Miléna

Je sors du train bondé en tentant de ne pas me faire marcher dessus par l’un des voyageurs. Certains Français manquent clairement de civisme, la loi du plus fort comme on dit, et je ne suis assurément pas la plus musclée du lot. Autant dire que cet attroupement, en plein mois de juillet, donne un mélange d’odeurs particulièrement désagréables, et je suis contente de sortir à l’air libre même si c’est pour retrouver cette senteur particulière dûe à la pollution. On est bien loin de ce mélange floral du château. J’ai hâte de retrouver mon cocon, même si j’ai encore du mal à l’appeler ainsi, à me l’approprier. Enfin, dans ma tête au moins, puisqu’il ne m’appartient pas. Je ne sais combien de temps j’ai mis à dire “ma” chambre, et je crois que je le dis plus ouvertement maintenant que je passe mes nuits dans celle de Maxime.

Je me reconnecte à la réalité, du moins j’essaie, en regardant autour de moi pour essayer d’apercevoir Maxime quelque part, et sursaute en sentant un corps se presser dans mon dos. Je suis à deux doigts de gifler le goujat qui ose m’importuner, mais le sourire de mon châtelain me rassure sur les intentions de l’inconnu qui n’en est pas un.

— Monsieur De la Marque, ravie de vous retrouver !

Je noue mes mains sur sa nuque et l’embrasse tendrement alors que je sens ses mains glisser dans mon dos jusqu’à se poser sur mes fesses. Maxime m’accueille comme si nous ne nous étions pas vus depuis des jours.

— Jolie femme de mes rêves, bienvenue ! Ravi de te revoir dans le Nord ! Pas trop fatiguée ? Tu m’as manqué, tu sais ?

— Tu m’as manqué aussi, soupiré-je en nichant mon nez dans son cou. Tu sens bon, tu sais ? Vahik sentait toujours…

Je grimace en relevant la tête, mal à l’aise de faire la comparaison.

— Pardon… J’ai passé la journée à Paris, mais.. J’ai l’impression d’être retournée en Arménie, dans le passé, c’est… Bref, je suis désolée.

— Ne sois pas désolée, voyons, je comprends. Tu vas tout me raconter, mais d’abord, allons à la voiture, on y sera plus tranquilles. Ici, une jolie femme comme toi attire trop les regards !

Je souris et le suis jusqu’à la voiture, où nous nous rendons main dans la main. Sa présence est plutôt réconfortante après la journée que je viens de passer. Paris, en tant que touriste, doit être agréable à visiter. Mais quand on y va en tant que demandeur d'asile, dans l’objectif de plaider sa cause, on ne voit pas les choses de la même façon. L’avocat a eu beau essayer de me rassurer avant l’entretien, je suis restée sur les nerfs, stressée à l’idée de dire le mot qu’il ne fallait pas, de ne pas réussir à convaincre le juge.

Je me débarrasse de ma veste sur la banquette arrière et enlève mes chaussures avec un soupir de soulagement en attachant ma ceinture.

— Alors, soulagée ? Ça s'est bien passé ? Dis-moi tout, m’interroge gentiment Maxime.

— Je ne sais pas, je n’ai pas l’impression d’avoir convaincu le juge… Je crois que je n’ai pas trop assuré.

— Pourquoi tu dis ça ? Ils t’ont posé des questions pièges ? Ils n’ont pas regardé tes preuves ?

— Je dis ça parce qu’une fois de plus, on me dit et me répète que la situation en Arménie n’est pas assez difficile pour, à première vue, accepter ma demande. C'est fatigant...

— Et pourtant, tout ce que tu as vécu, ils ne peuvent pas le nier non plus ! s’énerve-t-il. Ils t’ont écoutée quand même ?

— Oui, oui… Enfin, c’était plutôt déstabilisant. L’officier me posait des questions tout en écrivant sur son ordinateur, il ne me regardait jamais. Comment tu peux vraiment parler avec les gens s’ils ne te regardent pas ?

— C’est fou, ça. Et l’avocat n’a rien dit ?

— Il m’a laissée parler… Il a développé certaines choses auxquelles je n’ai pas pensé, ou que je n’ai pas voulu aborder… Je ne sais pas, c’était vraiment compliqué de reparler de tout ça avec un total inconnu qui n’a dû me regarder que deux ou trois fois pendant l’entretien…

— Franchement, si tu as tout dit, ça devrait être bon, non ? L’officier qui t’a reçue n’a pas dit si c’était bon ou pas ?

— Non, ils ne se risquent pas à ça, tu sais. Je crois que se faire envoyer balader ne les intéresse pas trop. Il n’y a plus qu’à attendre. Encore et toujours patienter, grimacé-je en posant ma main sur sa cuisse.

Je ne pensais pas que cet entretien serait aussi compliqué à vivre pour moi. Devoir reparler de ma vie en Arménie, évoquer mes parents, mes études, ma vie normale jusqu’à cette merde qui a tout fait foirer. Devoir me remémorer cette nuit tragique, et puis surtout avoir à expliquer la situation avec Vahik, puisque, forcément, les articles parlent de sa femme. Je crois que j’ai besoin de me raccrocher au présent, et quoi de mieux que mon châtelain pour ça ?

— Tu sais quoi ? J’allais rentrer directement au Château, mais vu qu’on est sur la route, on va faire un petit détour, ça te fera du bien. Tu me fais confiance ?

— Tu es sûr ? Je… Les enfants vont nous attendre. Et ta mère, elle ne va rien dire ? Tu veux m’emmener où ?

— Je vais leur envoyer un petit message, ça va aller. Et pour le lieu, c’est une surprise, d’accord ?

— Tu n’en as pas marre de t’occuper de moi ? ris-je en me penchant pour poser ma joue contre son épaule. Je ne suis vraiment pas un cadeau.

— Si je te dis que j’ai l’impression que tu es le meilleur cadeau que j’aie jamais eu dans ma vie, tu ne vas pas avoir trop peur ? Je suis content que tu sois là, Miléna. Vraiment. Et là, on va oublier un peu tous ces problèmes, promis.

Je suis tellement tiraillée sur ma vie actuellement, c’est dingue. Tout ce qui s’est passé en Arménie m’a amenée ici. Comment regretter d’avoir rencontré Maxime, de vivre au château avec lui et les enfants ? Et pourtant… Cet article a tué un homme, et quand bien même je lui en veux de m’avoir trompée dans tous les sens du terme, je ne peux pas non plus être ravie de cette situation. Que se serait-il passé si je n’avais pas publié ce texte ? Est-ce que j’aurais fini par découvrir que Vahik me mentait ? Ou est-ce que j’aurais continué à avaler ses mensonges, à me satisfaire de ce qu’il m’offrait ? Cet entretien a ravivé bien trop de questionnements que j’arrive à mettre de côté quand je suis avec Max et les enfants.

Mon châtelain reste silencieux, comme s’il sentait que j’avais besoin de me perdre dans toute cette galère, et je finis courbaturée, installée de la sorte, mais je ne bouge pas pour autant, du moins jusqu’à ce qu’il se gare sur un parking, dans un lieu que je ne connais pas. Je ne comprends où nous sommes qu’en ouvrant la portière de la voiture après avoir remis mes chaussures. L’odeur bien spécifique du bord de mer emplit mes narines et mon sourire fait sa réapparition.

— Les enfants auraient aimé être là, tu sais ? Il faudra qu’on revienne avec eux.

— C’est sûr qu’ils aiment bien venir à la mer, mais là, on va juste profiter tous les deux, en amoureux. J’espère que tu aimes les glaces parce qu’après avoir marché un peu sur la plage, on est obligé de s’arrêter au glacier. Et de prendre du chocolat !

Le ciel est un peu nuageux en cette fin de journée, mais le moment est juste parfait. Maxime attrape ma main et m’entraîne dans la rue jusqu’à ce que mes pieds se retrouvent dans le sable. J’inspire un grand bol d’air frais avant de retirer à nouveau mes chaussures pour profiter du sable chaud. Il y a pas mal de monde en cette chaude journée d’été, mais je ne vois que lui, qui s’est paré de ses lunettes de soleil, qui pose à son tour ses pieds nus au sol et me sert un sourire aussi éblouissant que l’astre qui se bat avec les nuages au-dessus de nous.

— Comment tu fais pour savoir ce qu’il me faut, comme ça ? lui demandé-je alors qu’il passe son bras autour de mes épaules et dépose un baiser sur ma tempe.

— Je suis content que ça te fasse plaisir. Je ne sais pas comment je fais, je sais juste que moi, après une journée comme la tienne, c’est ce que j’aurais envie de faire. Oh, regarde la mouette, là, elle est trop marrante ! Elle reste en l’air sans bouger, dans le vent ! Belle résistance !

Je m’oblige à détourner les yeux de cet homme pour regarder dans la même direction que lui, mais reviens vite à ma première observation. Je ne sais pas ce qui me frappe le plus fort, toujours est-il que je prends conscience que je suis totalement folle de lui en même temps que je constate qu’il a l’air d’avoir gagné dix ans entre notre rencontre et aujourd’hui. Il semble tellement moins préoccupé, tellement plus souriant, que je vais finir par croire ce qu’il m’a dit à plusieurs reprises. Et si chacun de nous était le soleil de l’autre, tout simplement ?

— Est-ce que je t’ai déjà dit que je t’aime ? lui demandé-je avant de planter un baiser sur sa joue.

— Tu me l’as dit mais ça me fait toujours plaisir de l’entendre, répond-il, tout sourire. Et tu sais quoi ? Moi aussi, je t’aime. A la folie. Et sache que je suis là pour toi, quoi qu’il arrive. On monte en haut de la dune avant d’aller prendre les glaces ? On verra peut-être l’Angleterre.

— C’est plutôt drôle que tu me proposes d’essayer de voir l’Angleterre, ris-je. Tu veux monter sur la dune ? Pas mettre les pieds dans l’eau ? Ok… Le premier arrivé a gagné ?

Je ne lui laisse pas le temps de me répondre et pars en courant en direction de cette petite colline de sable. Manque de chance, il a de grandes jambes, et apparemment plus l’habitude que moi de grimper là-haut. Je manque de m’étaler alors que lui monte avec assurance et attrape ma main pour m’entraîner avec lui. Une fois en haut, il m’attire contre lui et m’embrasse avec à la fois une fougue et une tendresse phénoménales. Voilà le genre d’émotions que je veux vivre tous les jours. Loin du stress, de la peur, de l’incertitude.

— Qu’est-ce que je t’aime, souris-je. Tu n’as même pas idée… C’est fou. Jamais je n’aurais imaginé tout ça. Franchement, si j’avais su que le Père Yves allait me déposer chez toi… Le hasard ? Le destin ?

— C’est la vie, tout simplement, répond-il en restant tout contre moi.

Je m’en fiche un peu de voir l’Angleterre, je préfère mille fois me perdre dans ses yeux et cette étreinte. Paris est bien loin, les ennuis aussi, l’avenir incertain n’existe plus. La mer, c’était une bonne idée. Lui et moi, c’était sans doute la meilleure.

— Ne manque que le chocolat et le moment sera parfait, Monsieur le Châtelain.

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0