Epilogue : Nestor a un truc à te dire
Maxime
Je profite que Miléna soit restée à paresser au lit pour organiser une réunion de crise avec les enfants, dans le salon. Cela fait plusieurs semaines que j’organise les choses avec eux, mais là, il n’est plus temps de reculer, il faut que je me lance. Et puis, la date que j’ai choisie est arrivée et je ne veux absolument pas la laisser passer.
— Les enfants, c’est le Grand Jour pour l’opération “Nestor a un truc à te dire.” Tout est prêt de votre côté ?
— Oui, mais il faut vraiment que tu appelles ça comme ça ? C’est un peu ridicule, non ? me demande Tom alors que Lili pouffe à côté de lui.
— Oui, c’est du Top Secret ! On rigole plus, là. Vous vous rendez compte que ça va tout changer ? Enfin, rien vraiment, mais quand même un peu, non ?
— Pour nous, ça ne fera pas une grande différence, en effet, Papa, mais on sait que c’est important pour toi. On fait comme dans les films ? On coordonne nos montres ? me demande ma fille avec un sourire moqueur.
— Ne vous moquez pas, voyons. Vous ne voyez pas comme je suis stressé ? On a un taux de réussite potentielle de cinquante pourcent. C’est pas énorme… Et il va falloir que vous soyez bons, tous les deux. Je peux compter sur vous ? On fait comme si tout était normal, mais l’objectif final, c’est le message que j’ai laissé accroché à l’armure de Nestor. Je dois reprendre le déroulé ou c’est bon pour vous ?
— Mais oui, fais-nous confiance, un peu ! On n’est pas des imbéciles, non plus. Respire, Papa. Je suis sûr que le taux de réussite potentielle est de plus que cinquante pourcent. Tom ?
— Oui, en fait, je dirais qu’il est de…
— Ouais, non, c’est bon, pas besoin de sortir ta science, le coupe Lili alors que j’aurais bien aimé avoir une estimation scientifique de mes chances. On s’en fout, en fait. C’est sûr que c’est cent.
— Ouais, ben c’est pas fait, encore. Donc, on est d’accord. Quand elle descend, Tom tu lui fais part de ta “découverte”. Lili, tu es prête pour dire qu’il faut qu’on s’en occupe tout de suite, hein ? ajouté-je, au bord de la panique.
— Tu veux pas qu’on lui demande directement ? J’ai peur que tu fasses une crise cardiaque, Papa, soupire Tom. Tu es sûr que tu vas tenir ? Je sais ce que j’ai à faire et Lili aussi. Toi, en revanche, tu vas bafouiller et transpirer, ça va être pathétique à ce train-là.
— N’importe quoi. Tu sais qu’au lycée, j’ai joué le rôle de l’âne dans Don Quichotte ? Franchement, après un succès comme ça, je peux tout jouer, non ?
— Pas si tu arrêtes de respirer, se moque mon fils. Et il n’y a pas d’âne dans Don Quichotte, si ? C’est sur un vieux cheval qu’il fait son voyage, il me semble.
— C’est clair. Détends-toi, y a pas de raison qu’elle refuse, ça fait un an qu’elle te supporte, quand même.
— Oui, bon, c’était un petit rôle secondaire, mais quand même, soupiré-je. Allez, c’est parti. Que le Hutin nous donne la force et que Dieu guide nos pas ! L’Opération “Nestor a un truc à te dire” est lancée !
Je lève mes mains en l’air pour qu’ils me fassent un check mais les deux se marrent en me regardant avant de se précipiter dans mes bras pour un gros câlin familial qui me fait un bien fou et me calme plus que n’importe quelle autre thérapie.
Lorsque Miléna descend quelques instants plus tard, nous sommes tous entrés dans notre rôle habituel et je lui apporte son café comme si de rien n’était, l’échangeant contre un baiser. C’est fou comme notre routine me donne le même plaisir chaque jour, et ça dure maintenant depuis un an ! Lorsqu’elle s’assoit pour le déguster, l’opération se met en place avec une précision digne d’une horloge suisse. Je suis en train de discuter avec ma jolie Arménienne de ce que nous allons faire en ce beau samedi et je lui explique que j’ai un rapport à finir ce matin, qui n’existe que dans ma tête, mais il faut que j’apparaisse très occupé. Du coin de l'œil, je vois mon fils se diriger vers la grosse malle qui se trouve dans le salon et dans laquelle nous conservons les artefacts que l’on a récupérés dans le souterrain. Et, comme prévu, il revient peu après en courant, l’air excité.
— Papa ! Regarde ! J’en étais sûr ! Nous avons été trop bêtes ! Cela fait plusieurs semaines que j’y pense, mais là, j’ai trouvé la solution ! Regarde, cette étoffe, ce n’est pas un simple linge ! C’est la clé d’un autre trésor !
— Un autre trésor ? Mais tu racontes quoi, là ? Il n’y a pas d’autre trésor, on l’aurait déjà trouvé depuis le temps.
— Ton père a raison, nous n’aurions pas pu passer à côté de ça, intervient Miléna en se levant tout de même pour rejoindre Tom. Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
— Regarde Miléna. Tu vois, là, les symboles tout autour, eh bien c’est un code ! C’est évident non ? Les spirales sont trop irrégulières pour n’être qu’un simple motif ! Tu ne vois pas le message ?
— Moi, je ne vois rien, Tom. Et franchement, ce matin, j’ai autre chose à faire, dis-je, récitant ma partition. Je vous laisse regarder, mais il faut que j’aille bosser.
— Vraiment ? Ça ne te questionne pas plus que ça ? me demande la jolie brune, le nez déjà dans le tissu. Travaille bien alors.
— Ce n’est qu’une étoffe, il n’y a pas de code là-dedans, voyons.
— N’importe quoi, Papa, intervient Lili. Si Tom le dit, c’est que c’est vrai. Tu sais bien qu’il est beaucoup plus intelligent que nous tous réunis ?
— J’ai mon rapport à finir, Lili, on regardera ça cet après-midi. Là, je ne peux pas, soufflé-je en m’asseyant dans le canapé pour les garder à l'œil, tout en ouvrant mon ordinateur pour faire semblant de travailler.
— T’es pas drôle, Papa. Miléna, tu nous aides à déchiffrer le message ? Avec toi, au moins, on peut s’amuser.
Je masque le sourire qui naît sur mon visage en entendant mes enfants jouer ainsi la comédie à la perfection et je me dis qu’avec moi aussi, ils peuvent s’amuser mais me retiens de faire une quelconque remarque.
— J’arrive à déchiffrer les mots, mais c’est de l’italien, je crois, intervient Tom qui fait mine de se concentrer sur l’étoffe, comme s’il y voyait réellement un message caché. Ah non, c’est du latin.
— Eh bien, on va aller récupérer le dictionnaire et s’y mettre. Tant pis pour votre père, non ?
— Oh oui, tu es super, Miléna ! Tant pis pour le vieux ronchon là-bas ! intervient Lili.
Je fais mine d’être fâché et dois une nouvelle fois retenir le sourire qui risque de survenir car je me souviens qu’elle avait promis de me traiter de vieux ronchon, juste pour voir la réaction de Miléna. Mes enfants sont parfaits, et je me demande si c’est vraiment la première fois qu’ils s’amusent ainsi à nous mentir.
— Ronchon ? On en parle de ton côté ronchon quand tu te réveilles, Lili ? rit ma chérie en déposant un bisou sur la joue de ma fille. Votre père devrait surtout arrêter de bosser le weekend, à son âge, ce n’est pas très bon de ne pas profiter de son temps de repos.
Je n’ai pas le temps de répondre qu’elle est déjà passée dans la pièce à côté pour aller chercher le dictionnaire. Je fais un grand sourire à mes enfants qui me répondent tous les deux en levant leur pouce en l’air en prenant des airs de conspirateurs qu’ils dissimulent rapidement quand elle revient.
— Miléna, ça parle d’une armure, je crois. “Armurata”, c’est ça, non ? dit Tom qui écrit sur un morceau de papier une série de mots en latin.
— Oui, c’est ça. Le mot était dans le livre qu’on a trouvé dans le souterrain plusieurs fois, lui répond-elle en récupérant un crayon sur le bureau au passage avant de s’installer à côté de lui.
Lili me fait un clin d'œil complice avant de s’installer derrière Miléna et Tom. Mon fils écrit plusieurs phrases en latin que la brune de ma vie traduit au fur et à mesure.
— C’est fou que tu ne l’aies pas vu avant, Tom, lui dit sa sœur. Tu vieillis, non ? Ton cerveau ne fonctionne plus aussi bien que quand tu étais jeune, on dirait.
— N’importe quoi, c’est juste que je réfléchissais à d’autres choses, voyons ! Ça donne quoi, alors, Miléna ? J’ai l’impression qu’il y a le mot “message” aussi, je me trompe ?
— Eh bien, ça dit que l’armure est porteuse d’un message, effectivement. Mais… On l’a nettoyée l’an dernier, on aurait vu s’il y avait quelque chose. Vous pensez qu’il pourrait y avoir une autre armure ? Tu es sûr de ne pas t’être trompé, Tom ? Tu n'interprètes pas un peu trop les lignes et les arrondis, là ?
— Non ! Comment tu peux douter de moi comme ça ? Toi aussi, tu crois que parce que je suis différent, je suis fou ?
Là, je ne peux retenir un petit gloussement que je cache sous une quinte de toux factice, parce qu’il fait fort, le petit. On lui donnerait le Bon Dieu sans confession comme disait ma grand-mère et Miléna, gênée, s’excuse immédiatement.
— Bien sûr que non, tu sais bien que ce n’est pas ce que je voulais dire par là, Tom, excuse-moi.
— Miléna, il faut qu’on retourne voir l’armure ! s’écrie Lili, toute excitée. Peut-être qu’on a raté quelque chose, non ? Papa, tu viens nous ouvrir la porte, s’il te plaît ? Et viens voir avec nous, tu peux bien arrêter de travailler cinq minutes, non ? On va trouver un autre trésor !
Je fais mine de me stopper dans mon travail et me lève, visiblement contrarié.
— Bon, je ne serai pas tranquille tant que vous n’aurez pas terminé vos bêtises, je crois. Si quand on arrive là-haut, il n’y a rien, vous êtes tous les trois de corvée de vaisselle pendant une semaine, je vous préviens ! Et toi, Miléna, tu seras de corvée de bisous ! ris-je pour atténuer un peu mon énervement et le rendre plus crédible.
— Non, je ne voudrais pas t’empêcher de finir ton rapport, me dit-elle après m’avoir observé quelques secondes. J’irai même me coucher avant toi, comme ça tu auras tout le temps de finir ton boulot sur ton jour de congé plutôt que de t’amuser avec nous, beau châtelain. Souris, t’es plus mignon comme ça, c’est sûr.
J’exagère un grand sourire avant d’éclater vraiment de rire en voyant le regard amusé des trois amours de ma vie.
— Allons donc voir ce que ce bon vieux Nestor a à nous dire, alors. Suivez-moi ! En route pour l’opération “Nestor a un truc à nous dire !” exprimé-je avec solennité alors que mes deux gamins pouffent dans mon dos.
— Est-ce que je peux te dire que tu es bizarre, Max ? Tu ferais peut-être mieux de finir ton boulot, en fait, se moque Miléna en glissant son bras sous le mien.
Je ne réponds pas et lui vole un baiser avant de les entraîner tous vers la salle ronde de la Tour. Nous nous arrangeons pour que ce soit Miléna qui monte la première afin de découvrir le mot que nous avons caché sous le heaume. Nous la suivons et j’adore voir mes enfants ravis de la tournure des événements qui suit parfaitement le programme pré-établi.
En arrivant dans la pièce aménagée, Miléna n’a pour une fois même pas un regard pour l’horizon et la mer que l’on peut apercevoir au loin. Elle se dirige vers l’armure de Nestor qu’elle observe un moment avant de se tourner vers nous qui sommes restés un peu à l’écart.
— Vous ne venez pas voir ? Je dois me débrouiller toute seule, c’est ça ? Je ne savais pas que Nestor vous faisait peur, sourit-elle en nous tournant déjà le dos pour reprendre son inspection.
Nous nous rapprochons tous et mes enfants font mine de s’intéresser à l’armure alors que je reste un peu en retrait, en attendant qu’elle trouve le petit poème que j’ai écrit. Elle touche l’armure du bout des doigts et semble chercher une cachette où pourrait se trouver quelque chose que nous n’aurions pas vu en la lustrant. Après une étude minutieuse et alors que les enfants s’impatientent et commencent à se déconcentrer, Miléna finit par soulever le heaume pour regarder à l’intérieur. Elle fronce les sourcils en décrochant le petit papier qui se trouve à l’intérieur.
— Je suis certaine que ce n’était pas là quand on a nettoyé l’armure. C’est quoi cette histoire ?
Alors qu’elle se retourne vers moi, le papier à la main, je pose un genou à terre et sors le petit écrin que j’ai préparé de ma poche.
— Je crois qu’il y a quelque chose d’écrit sur le papier, dis-je, tout ému, alors que ses yeux vont du papier à moi, sans que son cerveau ne comprenne vraiment ce qu’il se passe.
Elle jette un œil vers les enfants qui la regardent intensément puis se décide enfin à lire le poème que je lui ai écrit. Je sens les battements de mon cœur accélérer et le stress s’emparer de tout mon être. Et si elle disait non ? Si elle n’était pas prête ? Peut-être que j’ai trop attendu après la finalisation de mon divorce ? Le silence s’est installé dans la pièce et je la vois lire une première fois les quelques lignes avant de recommencer. Je repense à ce que j’ai écrit.
Ma jolie Miléna, tu es la femme de ma vie
Il n’y a pas de plaisir plus intense que cet infini
Les Toujours que je veux vivre avec toi à tout jamais
Et les Encore dont je ne peux plus me passer désormais
Nous avons eu la chance que nos chemins se soient croisés
Alors, je te le demande avec amour et en toute simplicité
Veux-tu m'épouser ?
Je vois ses yeux aller du premier au dernier vers à plusieurs reprises encore avant qu’elle ne plonge finalement son regard dans le mien. Elle a les yeux embués et le sourire qu’elle affiche est tremblotant.
— Tu as manigancé tout ça ? Et vous, vous êtes vraiment dans la confidence ? demande-t-elle, la voix chargée d’émotion.
— Ben oui, mais tu lui réponds quoi, à Papa ? demande Tom, toujours terre à terre.
— Oui, dis-lui avant qu’il ne nous fasse une crise cardiaque, le vieux Ronchon ! ajoute sa sœur qui a pris la main de son frère dans la sienne.
— Est-ce que tu doutes vraiment de ma réponse, Max ? me demande-t-elle en s’agenouillant devant moi. Combien de fois est-ce que je t’ai dit à quel point je t’aimais ? Combien de fois est-ce que je t’ai dit à quel point je me sentais chanceuse ? C’est un oui, vieux Ronchon, un grand Oui, d’ailleurs !
Comme dans un rêve, je sors la bague de l’écrin velouté et la passe à son doigt avant de me relever et de l’entraîner avec moi. Nous nous embrassons avec une passion encore plus intense que tout ce que nous avons pu vivre jusque là, alors que les enfants crient et dansent autour de nous. L’Opération “Nestor a un truc à te dire” est un succès sur tous les plans. Le Châtelain va pouvoir épouser la Réfugiée du Château. Ils vécurent heureux et s’occupèrent beaucoup de leurs enfants, du moins, c’est comme ça que je vois la fin de ce magnifique conte de fée qui a transformé ma vie. Le bonheur à l’état pur.
FIN
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