Lieu commun n°3 : Faire table rase.
Vous ne trouverez chez moi qu’un seul meuble susceptible de passer pour une table digne de ce nom : le bureau. D’ordinaire, je n’ai qu’à me frayer un passage pour poser mon assiette et je grignote mon basmati sans sauce devant un livre ouvert ou une BD. Je ne reçois pas. Jamais. Manque de place, de confort et d’envie. Cette « table » constitue mon lieu de travail, d’oisiveté, de réflexion. C’est peut-être cet aspect de la chose qui m’a frappé ce matin. Alors, j’ai retroussé mes manches.
Je me suis d’abord occupé de tous les restes qui traînaient ça et là, amas de miettes, morceaux de viande et grains de riz, noyaux de cerises et d’olives coincés sous le clavier, tasses noires agonisant depuis perpète sous le dictionnaire du Rock, un Tardi ou un Cortazar. Je me suis coupé un doigt sur les bris de verre que j’ignorais depuis plusieurs printemps et trois de mes huit cendars ont chu sans grâce dans ce pauvre remue-ménage.
J’ai empoigné ensuite un sac-poubelle dans lequel j’ai jeté papiers gras, brouillons élimés, emballages oubliés. De tabac, de chewing-gums, de capotes, des sucres récupérés dans les cafés, du ketchup emprunté à McDo, de ces ceci-cela qui nous encombrent sournoisement sans qu’on y prenne garde. Des kleenex usagés, des bouts d’ongles mordillés, des poils par milliers, des cheveux. Plus j’avançais, plus j’accordais à mes actes un sens profond, libérateur : j’accomplissais le grand ménage. J’ordonnais mon existence, me rangeais de fond en comble. Je devenais la vague qui m’emporterait au loin.
J’ai pris chacun des trois cents livres, l’ai dépouillé de sa poussière, avant de le confier à ma bibliothèque, selon un classement bien précis. J’ai glissé dans sa boîte le livret de chaque CD que j’avais oublié entre deux contes, deux pages ou deux instants. J’ai retrouvé les disques, les ai nettoyés idem et ma collection privée a repris peu à peu sa forme initiale. Stylos et capuchons se sont remis en ménage. Quelques morceaux de haschich se sont manifestés avant de réintégrer ma pauvre réserve.
J’ai démonté l’ordi, rangé l’écran, le clavier, la souris, l’unité centrale. J’ai passé un coup d’éponge sur la surface contreplaquée de mon bureau déserté.
J’ai fait table rase et je me suis senti con.
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