Lieu commun n°6 : Je ne regrette rien.
Je t'admire, vermisseau magnifique parmi les cloportes, je t'admire sincèrement. Je sais de source sûre que ton existence, tout comme la mienne, ne sera jamais érigée en exemple dans les manuels scolaires, les livres de culte, les veillées de camps scouts. J'ai même l'intime conviction qu'elle comporte – et la mienne également – son lot de noirceur, de blessures et de dégringolades, sa part de sottises, d'erreurs imbéciles, imputables à l'alcool, la détresse, la solitude, un jugement altéré par l'imprévu, la contingence, les accidents de la vie. Ou peut-être encore ton incapacité notoire à te comprendre toi-même, à analyser le monde, à décider d'une voie à suivre.
Je t'admire parce que tu t'es trompé mille fois et tu as trompé les autres. Tu leur a menti, tu les as blessés, intimement parfois. Tu as peut-être frappé, démoli, éreinté, harcelé, violé, déboîté, écrasé. Tu t'es sans doute enfui plus d'une fois, après une discussion au terme de laquelle tu as dû ravaler ta honte, après un accident peut-être, dont tu es responsable, en complicité avec la bouteille qui t'accompagnait, le joint, le rail, la seringue, la suceuse à tes côtés – les possibilités sont infinies – après l'humiliation quotidienne que tu piocheras dans ta cervelle et que tu exposeras toi-même à la suite de ce texte si tu en as le courage.
Je t'admire parce que tu n'apprends jamais qu'au bout de longues et interminables répétitions des mêmes bévues. Tu recommences encore et encore. Tu aimes, tu trompes, tu te sépares et tu aimes à nouveau. Si tu ne trompes pas, alors quoi ? Tu étouffes l'autre, tu le jalouses, tu lui inventes des amants, tu le maudis parce qu'il a l'air sincère lorsque tu l'accules à répondre. Livré à toi-même, tu te fais le pourfendeur du sexe opposé, champion d'une cause perdue d'avance, parce que les erreurs, encore une fois, se répètent à l'infini.
Je t'admire parce que tu cultives dans ta petite tête l'ignorance animale de ton espèce. Tu lui fournis des excuses et du terreau, tu la sèmes autour de toi comme on sème la discorde dans les rangs ennemis. Je t'admire parce que tu ne t'arrêteras jamais. Si la raison parfois opère, si ton comportement vient à se nuancer d'un tantinet de réflexion et de distance, tu continues pourtant à te planter royalement, fier de tes incertitudes, de tes excès, de tes absences et de tes refus.
Et toujours, toujours à tes lèvres, ces mots hérités de Piaf, cette phrase aberrante au sens profondément dérangeant quand tu prends la peine de la retourner dans tous les sens.
Regrette ! Ca te fera du bien de regretter. De reconnaître que, parfois, tu fus crétin, stupide et méchant. Regrette et mange tes erreurs passées, mange-les sans tarder, en mâchant bien. Tu dois te muscler la mâchoire et les mandibules. Dévore, avale et digère.
Regretter ne signifie en rien culpabiliser.
Annotations
Versions