Lieu commun n°15 : Y a rien à comprendre.
A tes yeux, le monde s'assimile à un rébus, complexe et balancé comme une devinette de sphinx. Il se soumet à des règles que tu visualises à certaines heures, selon ton état psychique, selon la jauge de ta réserve de sky, de bière ou de rouquin, selon la fréquence des visites de ton marchand de sable perso, selon la dégaine de tes espoirs encore en lice et la coupe dernier cri de tes illusions dernières. Le mode d'emploi, le lexique et l'index, tu les as perdus, peut-être volontairement, peut-être par accident, peu m'importe, au fond. Je sais pourtant que, par la grâce d'un mécanisme fielleux qu'un architecte un peu branque a carré dans ton cerveau, tu ne te souviens de rien, d'aucune notice technique, d'aucun conseil éclairé, absolument rien de rien, et tu regardes sans voir, tu écoutes sans entendre et, sans te poser nulle question, te refuses à comprendre.
Parce que tellement plus simple, tellement plus reposant. Parce que couette, édredon et marque de l'oreiller. Parce que volets tirés sur d'anciens horizons, périmés jusqu'à la moelle, parce que l'halo artificiel de tes lumières tamisées a remplacé depuis longtemps l'éclat brûlant du soleil, la saveur des étoiles, le reflet des mines d'or dont tu rêvais, gamin, à l'heure où saisir les arcanes te semblait nécessaire, le passage obligé pour atteindre la sixième balle, le dernier barreau de l'échelle, l'ultime palier : au-dessus, y a qu'un morceau de ciel et trois pauvres échantillons de voie lactée. Parce que substances mornes, parce que traîner dans la boue, parce qu'écran somnifère et playstation qui t'assomment, parce que nager dans un puits, parce que la brasse coulée, c'est bien ce qui marche le mieux après le plongeon dans le bitume.
Les grilles de lecture s'enchevêtrent et se mélangent, les tableaux excel te fascinent, les diagrammes et les graphiques, les camemberts, les bases de données, les formules, théorèmes et maximes... Tu les snobes néanmoins d'un signe de tête altier, d'un mouvement haletant, tu leur piétines la courbe, les abscisses, les ordonnées et te contentes d'un power point démonstratif et pauvre, plus creux qu'un film français, huilé comme un blockbuster dopé à la graisse de canard. Et les articles de fond, tu as cessé de les lire, un entrefilet de quatre phrases suffit à t'envahir, une brève te paraît compliquée. Tu veux t'allonger, t'avachir, clore la boîte à idées pour que rien n'en réchappe – oses-tu prétendre.
Enfant, tu voulais tout savoir, tout saisir, tout apprendre.
Enfant, tu te projetais cosmonaute, cow-boy et voyageur.
Enfant, tu dialoguais dans tes rêves avec l'esprit d'Einstein, de Lavoisier, de De Vinci.
Enfant, tu haïssais celui que tu sembles être devenu : ballotté, emporté, docile et négligent. Une autre version de l'enfance : à peu près aussi molle que l'originale, mais amputée de son innocence.
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