Lieu commun n°17 : Pour vivre heureux, vivons cachés.
Autour de moi, le vide, le silence rampant et la grêle incessante des chuchotements qui tremblent et qui menacent. Autour de moi, un déluge de verbe aux couleurs flamboyantes dont diverses industries réclament les droits. Ce verbe brille au soleil et crachote, toussote, chevrote lorsque les ténèbres l'encerclent et le plongent en désarroi. Ce verbe est la langue des forts et des vaincus, la langue des premiers de classe, des rois, des princes et des capitaines de navire aux boutons nacrés, aux épaulettes gonflées à l'hélium, à la carrure plastique et à la mâchoire rachetée huit fois son prix aux enchères sur ebay.
Autour de moi, j'existe à travers les inconsistances et les raclements de tiroir. On me fouille sans me toucher, sans m'approcher, sans adresser la parole à aucune de mes charognes. Je les sème au gré des vents comme autant de collets et d'alarmes. Lorsque l'indélicat se noue dans l'encolure, il s'agite tant et si bien que les arbres autour frissonnent, la neige glisse et tombe, un barouf que moi seul peut ouïr résonne dans la casbah. Les scolopendres fuient les secousses et les araignées se cramponnent à leur toile.
Je veux partir, me dis-je. Je veux quitter cet îlot, ce jardin que je croyais inviolable, cette forteresse que j'imaginais solide, hermétique, à jamais close pour mon ennemi. Et l'ennemi, c'est l'autre, celui dont le verbe porte visière et flambe le soir au casino. Celui dont les mœurs interlopes ont droit de cité dans les plus rustres magazines à la couverture flambée au rhum ou au grand Marnier. Celui dont les photos de vacances alimentent les ragots les plus drôles, les plus strass, les plus judicieux pour les pages de pub qui l'encadrent. Celui dont la braguette enfle en concomitance avec l'épaisseur de son larfeuille, la courbe de croissance de ses actions, de sa semence, de tout ce qu'il croit posséder là où rien ne m'appartient.
Je veux partir, me dis-je encore. Il est temps d'affréter la chaloupe et d'affronter le large. Ici, rien ne protège et rien ne masque.
Parce que justement, tout est masque et protection.
Nous sommes lisses et détergents, antiseptiques et décapants. Nous exsudons des biocides et nous devons nos dermes diaphanes à de clinquantes émulsions. A l'extrémité de nos membres fongicides, nous éliminons les bactéries et rejetons tout organisme. Nous sommes la gouache du photoshop et nous nous effaçons de nous-mêmes.
Pas d'issue pour l'hirsute, le fauve, le renégat.
Pour nous autres, un cul-de-sac, un bac de granit et des chaînes autour du cou.
Nous ne nous cacherons plus. Ou alors en pleine lumière, parce qu'il faut vivre dans la lumière et mourir en plein chaos.
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