Lieu commun n°22 : On est tous le con de quelqu'un d'autre.

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Tu as vomi ta tirade et maintenant, tu reprends ton souffle.


Observe autour de toi. Regarde. Vois, l’œil amusé qui te scrute, la narine renifleuse, le coin de sourire qui se tasse après s'être attardé longtemps, trop sans doute, sur ces lèvres trop molles, taillées pour l'ennui, la médisance et le baiser dans le vide.


Observe, contemple et frémis.


Ton cri de haine, tu le voulais construit, lucide et détaché. Tu t'imaginais froid et impassible, assez du moins pour maquiller ton coup de sang en simple argumentaire, mais tu sais qu'au-delà des apparences, ta bile de cafardeux, tu l'as giclée comme une coulée de lave. Tu as évité les cris et le ton revêche des moralistes de circonstance, et tes interlocuteurs saluent tes efforts avec cette condescendance ignoble, celle que tu sentais venir comme on attend le retour de morve en crachant contre le vent. Tu t'es rêvé objectif dans ta visée et ferme dans ton intention. Ton regard, tes mots, tu les crois dotés d'une portée universelle, généreux dans leur mansuétude accablée, aiguisés, tranchants dans leur ambition obscène : prêcher le réel, exhaler la vérité, atteindre l'essence même de ce monde creux qui t'emprisonne.


Vois donc, continue d'observer les traits tirés autour de ta petite personne, les yeux qui pendent et les oreilles qui saignent à l'écoute de ton nombril. Tu as éjecté ta rogne comme on accouche d'un étron, déclenchant sans le savoir le grand ballet des moqueries silencieuses et des dos tournés. Tu ne seras pas jugé en place publique. Nul jury, ici ou ailleurs, pour condamner ton verbe et ce qui se cache derrière. Il ne s'agit pas de justice, de balance et de déesse aux yeux bandés. Je te parle de petitesse et d'esprits étroits. Je te parle de l'âme mesquine qui s'empare de chacun lorsqu'un autre joue de la voix pour évoquer l'horreur, l'erreur ou la veulerie ordinaire de nos glandes obstruées. Je te parle de ce qui, chez nous autres, humains trop humains, prend le pas sur le reste et nous rappelle, sans espoir de rédemption, à notre condition animale issue de la boue, de la poussière et de la merde.


Peut-être ton discours dénonçait-il un fait concret, une avalanche d'événements que d'aucuns déplorent la mine basse et la bouche clouée. Peut-être ton laïus de quidam nourri d'images et de lectures a-t-il tapé dans le mille. Pour dire les choses simplement, peut-être avais-tu raison, ou du moins n'avais-tu pas tort lorsque tu t'es dressé comme un coq pour caqueter ta fureur, ton agacement, ton désarroi. Tu ne le sauras jamais car autour de toi s'organisent les forces de l'entropie, l'armée des magistrats qui n'en portent ni la coiffe ni le nom.


Regarde encore, imprègne-toi de leur gestuelle. Tu ne le sais pas encore mais tu n'existes déjà plus. Tu n'es plus la voix de l'homme qui souhaitait exprimer une émotion, une opinion, un ras-le-bol ou une joie. Ta substance a changé et l'essence même de ton esprit se confond avec le ton d'un autre qui n'est déjà plus toi.


Au fond de toi, pourtant, tu couves un reste d'espoir, un vœu pieux, dira-t-on du bout des lèvres pour ne point t'enfoncer. L'espoir d'avoir touché un cœur, une âme ou un esprit et de n'être pas la moitié de l'étiquette dont tu te vois affublé.


Ca aussi, tu ne le sauras jamais.

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