Chapitre 9 : L'attente

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L’attente devenait une épreuve insupportable, chaque minute s’étirant avec une lenteur cruelle. Après les tests de compatibilité, le temps semblait se figer, laissant Mei suspendue entre la vie et la mort. Tout dépendait désormais des résultats que les médecins détenaient entre leurs mains, une vérité invisible qui pesait sur leurs cœurs comme un nuage sombre refusant de se dissiper.

Yong, après avoir subi ses propres tests, restait à l’hôpital aux côtés de Wei et Hua. Dans la salle d’attente, il les observait en silence, leurs visages marqués par l'épuisement et l'angoisse. Bien que les années aient passé, les liens qui les unissaient autrefois ne s'étaient jamais entièrement rompus. Aujourd'hui, ces vies autrefois liées par les défis de leur jeunesse se trouvaient confrontées à une épreuve bien plus intime, bien plus déchirante, qui allait bien au-delà des épreuves partagées autrefois.

Li Wei arpentait la salle, incapable de s’arrêter, comme si le mouvement constant pouvait l’aider à échapper à ses pensées torturées. Elles tournaient en boucle, ramenant sans cesse des souvenirs de Mei, petite fille rieuse, pleine de vie, entrecoupés par l’image cruelle de son visage émacié, blême, allongée dans ce lit d’hôpital, si fragile, si vulnérable.

Li Hua, immobile près de Yong, semblait figée dans son angoisse. Ses mains, crispées sur un mouchoir froissé, ne cessaient de le tordre, cherchant désespérément à libérer l’étreinte suffocante qui serrait sa poitrine. Depuis l’arrivée de Yong, elle n’avait pas prononcé un mot, se contentant de fixer un point invisible, son regard perdu dans l’abîme insondable de l’inquiétude.

« Les résultats devraient arriver dans quelques heures, » finit par dire Yong, sa voix basse rompant le silence lourd de la pièce.

Li Wei s’arrêta brusquement, hochant la tête en silence. Il n’y avait rien d’autre à dire. Le poids oppressant de l’incertitude étouffait toute tentative de parole, rendant même les mots inutiles face à l’angoisse qui les submergeait.

Mais un autre fardeau pesait lourdement sur les épaules des Li : la peur viscérale de dévoiler un secret dangereux. En Chine, où l’État scrutait chaque détail de la vie des citoyens avec une vigilance implacable, un simple test génétique pouvait révéler bien plus qu’une compatibilité pour une greffe. Il pouvait aussi soulever des questions imprévues, ouvrir des portes que Wei et Hua redoutaient de voir franchies. Derrière leur amour pour Mei se cachait une angoisse plus profonde, un effroi que l’ombre du gouvernement ne vienne s’étendre sur leur famille. Dans un pays où une simple irrégularité pouvait suffire à déclencher une enquête officielle, ils vivaient sous la menace constante que cette anomalie ne devienne le prétexte d’une intrusion de l'État dans leur foyer.

Cette peur, irrationnelle aux yeux des autres, mais profondément ancrée en eux, les paralysait. Passer ces tests risquait de révéler des vérités qu’ils avaient enfouies depuis des années, des secrets qui ne supporteraient pas la lumière. Refuser les tests revenait à laisser leur fille entre les mains du destin, mais c’était là l’unique option qu’ils envisageaient, un choix cruel, où la protection de leur histoire intime se faisait au prix de la vie de Mei.

Yong, après un long moment de silence, se leva lentement et se dirigea vers la fenêtre. La pluie tombait en rideaux fins, chaque goutte frappant la vitre avec une régularité hypnotique, comme une berceuse triste en écho à ses pensées tourmentées. Il observa la ville noyée sous l’eau, ses pensées dérivant vers le passé. Il se souvenait des promesses faites avec Wei, de leurs espoirs communs, de leur jeunesse marquée par la solidarité. Jamais il n’aurait pensé que leurs chemins se recroiseraient ainsi, sous une telle chape de désespoir. Et pourtant, maintenant qu’il se tenait là, une lourde responsabilité pesait sur ses épaules. Il savait qu’il ne pouvait se dérober. Mei, cette jeune femme qu’il avait vu grandir, dépendait de lui. Il devait tout faire, absolument tout, pour la sauver.

Finalement, après ce qui sembla une éternitée, la porte s’ouvrit et le médecin entra dans la salle d’attente. Il tenait un dossier contre sa poitrine, son expression sérieuse ne laissant rien transparaître de ce qu’il allait annoncer. Immédiatement, Li Wei et Li Hua se levèrent, leurs regards rivés sur lui, tendu par l’attente inssoutenable.

« Nous avons les résultats, » déclara-t-il simplement.

Le silence qui s’installa alors devint presque palpable, comme si l’air lui-même avait cessé de circuler. Yong se rapprocha, son cœur battant avec une force qui résonnait dans ses tempes.

Le médecin, se tournant vers Yong, prit une profonde inspiration avant d’annoncer : « Malheureusement, vos résultats montrent une incompatibilité. Vous ne pouvez pas être donneur. »

Les mots tombèrent dans la pièce comme des pierres dans l’eau calme, créant des ondes invisibles de désespoir. Le silence qui suivit n’était plus simplement un vide, mais une masse étouffante, remplie du poids de cette nouvelle dévastatrice.

Yong baissa lentement la tête, ses épaules ployant sous le poids accablant de la déception. Toute la détermination qu'il avait rassemblée pour affronter cette épreuve semblait s'effriter à l’instant même où le verdict était tombé. Il avait nourri l’espoir d’être celui qui arracherait Mei à la maladie, celui qui inverserait le cours impitoyable de son destin. Mais désormais, cette possibilité s'échappait de ses mains comme du sable fin. En silence, il posa une main sur l’épaule de Wei, cherchant à lui transmettre une parcelle de réconfort, bien que lui-même en soit dépourvu. « Je suis désolé, » murmura-t-il d’une voix basse, empreinte de regrets. « Il doit bien y avoir une autre solution. »

Le médecin, attentif à l’abattement qui pesait lourdement sur leurs visages, se redressa légèrement, cherchant à offrir une lueur d’espoir. « Nous pouvons élargir nos recherches, » dit-il avec prudence. « Peut-être qu’un membre de la famille pourrait être compatible. Avez-vous d’autres proches qui pourraient être testés ? »

L’atmosphère dans la pièce resta tendue, chaque mot du médecin semblant flotter dans l’air chargé d’incertitude. Yong se redressa soudain, comme frappé par une révélation. Ses yeux, un instant ternis par la déception, s'illuminèrent d'une lueur d'espoir nouveau. Il se tourna vivement vers Wei, l’urgence de sa pensée se reflétant dans son regard. « Liu, » murmura-t-il, presque avec précipitation. « Mon fils. Il pourrait être testé. Il est jeune, en pleine santé. Peut-être qu’il pourrait être compatible. »

Wei sentit quelque chose se ranimer en lui, une flamme vacillante d’espoir qui, jusque-là, avait semblé totalement éteinte. Liu, le fils de Yong, ce jeune homme qu’ils n’avaient connu qu’à distance, devenait soudain une figure centrale dans cette lutte pour la survie de Mei. « Oui, » répondit-il, sa voix tremblante, empreinte à la fois de gratitude et de prière. « Appelle-le, je t’en prie. »

Yong, sans perdre une seconde, hocha la tête avec détermination. Ses doigts glissèrent rapidement sur son téléphone, composant le numéro de Liu d'une main ferme mais fébrile. La tension dans la pièce devenait presque palpable, chaque sonnerie du téléphone résonnant comme un écho fragile de cet espoir nouvellement réveillé. Enfin, après ce qui sembla être une éternité, la voix de Liu retentit de l'autre côté de la ligne.

« Papa ? Que se passe-t-il ? » La voix de Liu, habituellement calme, trahissait cette fois une inquiétude perceptible, un écho de l'urgence qu'il devinait dans cet appel inattendu.

Yong inspira profondément, tentant de maîtriser l’émotion qui serrait sa poitrine. « Liu, c’est à propos de Mei, » commença-t-il, chaque mot pesant comme une pierre dans sa gorge. « Elle est gravement malade. Elle a besoin d’une greffe de moelle osseuse... et nous pensons que tu pourrais être compatible. »

Un silence dense s'installa de l’autre côté de la ligne. Yong imagina son fils, absorbant l’information, pesant chacune de ces paroles lourdes de sens. Il pouvait presque sentir les pensées tourbillonner dans l’esprit de Liu, l'ampleur de la situation s’imposant à lui. Finalement, la réponse tomba, claire et résolue.

« Je prends le premier train. Je serai là dès que possible. »

Yong ferma les yeux, submergé par un mélange de soulagement et de gratitude. « Merci, mon fils, » murmura-t-il avant de raccrocher, se retournant vers Wei et Hua, son visage illuminé d’un sourire ténu mais porteur d’espoir. « Liu vient. Nous allons faire tout ce qu’il faut pour elle. »

Wei, touché par cette lueur de soutien inattendue, posa une main sur l’épaule de Yong. Dans son regard, on lisait à la fois un immense soulagement et une gratitude silencieuse. Ils savaient qu’il leur restait encore un chemin ardu à parcourir, mais pour la première fois depuis des jours, une brèche s’était ouverte dans l’obscurité. L’attente se poursuivait, mais elle n'était plus aussi écrasante, désormais teintée d’une promesse fragile de renouveau.

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