Le Tombeau

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Le tunnel était froid et humide. Aussi sombre que si la lumière n'eut jamais existé. Le genre d'endroit qui laissait l'impression que le monde n'avait sûrement pas prévu que des humains puissent y vivre. Gustav songea que c'était un parfait tombeau.
Ils étaient quatre, dont trois soldats armés jusqu'aux dents. Ils étaient tous revêtus de grande redingotes noires, les rendant presque invisibles dans l'obscurité infinie de ces lieux. Agenouillé sur le sol, pieds et poings liés, Domingos Passos pleurait à chaudes larmes. Gustav soupesait un gros maillet au long manche d'acier qu'il tenait entre ses mains gantées. Ce n'était pas la première fois qu'il faisait ça, mais pour la première fois il regrettait. Non pas qu'il eut le moindre sentiment de pitié, mais simplement parce qu'il avait le sentiment que son pays ratait là une alliance des plus intéressante. Depuis l'effondrement subit des exploitation aquifères à Las Vegas, le prix de l'eau à l'échelle mondial avait subitement bondi vers le haut, d'autant que beaucoup d'autres firmes vendant de l'eau étaient dépendantes de ce centre et sa disparition avait tout désorganisé. La Commune ne pourrait survivre que grâce à des alliés puissants, et elle venait de gâcher son alliance avec l'empire de Brazillia à cause d'un stupide ministre frustré qui courait après les jeunes garçons. Gustav émit un soupir en se disant que décidément il n'osait pas imaginer comment les choses seraient si en plus ils étaient sous la domination d'un régime capitaliste et décadent.
Il leva le fer de sa masse, l'approcha doucement de l'endroit qu'il visait, la nuque, pour mesurer son coup, puis écarta son maillet et s'apprêtait à donner un coup, lorsqu'il entendit résonner l'écho d'un coup de feu.
Son cœur cessa de battre. Un des soldats cria. Puis Gustav fut aspergé d'une giclée de sang venant de la droite, et vit dans le peu de lumière qu'ils avaient avec eux la lame d'un coutelas qui transperçait la gorge du soldat. Gustav jeta son maillet et tenta de courir pour s'enfuir, mais il se cogna contre un autre pirate, un homme noir de haute stature. L'homme le saisit à la gorge, mais Gustav dégaina un couteau de combat à sa ceinture et l'enfonça si profondément dans l'œil de son agresseur que celui ci s'effondra sur le coup. Gustav enjamba le corps inerte sans se donner la peine d'arracher le couteau de là où il était. Il commença à courir, mais un coup de feu l'arrêta, comme si le simple choc du son répété par l'écho allait le frapper de plein fouet.
Quelque chose lui déchiqueta le flanc. Ce n'était pas un simple choc ni même un projectile pénétrant. Ses chairs éclatèrent littéralement et ses tripes furent déchirées sauvagement comme par les crocs d'une bête sadique. Même avec toute sa volonté, il n'aurait pas pu s'empêcher de crier. Ses genoux lui désobéirent en se pliant d'eux même, sans prévenir. Il tomba sur les genoux et resta incapable de bouger pendant une seconde. La douleur était telle qu'il avait l'impression qu'un animal cruel lui martelait le cerveau avec un maillet pour lui rappeler qu'il avait mal et l'empêcher de se relever. Mais il fit un effort surhumain pour se redresser. Ses jambes étaient déjà courbaturée quand il se retrouva debout, et il se mît pourtant immédiatement à courir dans le noir. S'il parvenait à leur échapper il pourrait soigner ça et se sauver. Il le savait. Mais une autre balle le toucha dans le dos. Sitôt que le choc heurta son plastron en cuir, il comprit qu'il ne pourrait plus s'en sortir et que courir ne servait à rien. La douleur et le désespoir étaient tels que cette fois aucun son n'en sortit lorsqu'il ouvrit la bouche alors que la balle traversait ses protections comme du beurre et traversait la partie droite de son buste en déchiquetant tout sur son passage comme un chien enragé dont les morsures sont mortelles et pourtant se multiplient à l'infini dans des degrés de douleur inimaginables.
Gustav se laissa tomber par terre plus qu'il ne chuta par lui même. Sentant son corps définitivement meurtri, perforé, explosé, il décida de se laisser mourir au plus vite pour ne pas supporter la chose horrible que son corps était devenu. Dans un murmure alors que son visage touchait brutalement le sol de pierre froide, il s'exclama comme un prophète:
- "C'est toujours par la droite qu'on se fait trahir."
Le sol glacé et humide lui faisait l'effet d'une barre de fer chauffée à blanc. Il brûlait presque de froid tant son corps était brûlant et le sol glacial. Une fraction de seconde durant, il pensa à son fils. Une fraction de seconde seulement. Puis il perdit complètement le contrôle de soi même. Malgré les souffrances inouïes que cela lui faisait subir, il agita les membres dans tous les sens et essaya de ramper en faisant glisser mollement son corps meurtri contre le sol dur. Une voix lui hurlait qu'il devait partir par tous les moyens. D'où venait-elle cette voix ? Il n'en savait rien.
C'est alors que, une lampe à la main, il vit s'approcher Domingos Passos. Le journaliste brésilien lui sourit et s'adressa à lui dans un allemand parfait:
- "Merci pour la visite de la ville. L'impératrice Maria sera enchantée de toutes les informations que j'ai collecté. Ne vous inquiétez pas pour moi, je repars comme je suis venu, avec l'aide des pirates."
Il continua de parler, mais Gustav n'entendait pas. Ses pensées, s'il en avait encore, étaient trop concentrées sur la douleur et son vain espoir de sortir d'ici; au moins sortir d'ici avant de mourir. Domingos parut comprendre ce qui se passait. Il haussa les épaules, rassembla ses papiers, et s'en alla en compagnie des pirates de tunnels. Au bout de quelques secondes seulement, la lumière disparut, et il ne resta à Gustav dans son champ de vision que la plus noire des obscurités.
Seul, le souffle froid, se vidant de son sang dans une caverne humide, dans le noir le plus complet. Un lieu où nul humain n'est censé pouvoir vivre. Gustav songea que c'était vraiment moche comme tombeau.

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