Avril
C'était la haine. Il avait plu sur mars comme il pleuvait sur avril. Et moi, j'étais toujours soldat. J'étais toujours un couard. J'étais toujours un moins que rien. J'étais toujours en vie. A la pisse qui imprégnait mes draps se mêlait désormais la merde. Mon chef avait décrété que mon lit ferait désormais office de toilettes pour lui, et que je n'avais pas à protester si je ne voulais pas qu'il demande à l'un de ses hommes de m'agenouiller et de m'ouvrir la bouche de force pour qu'il me chie directement dans le gosier et que je doive tout avaler.
Je ne dormais plus du tout. Lydia et son père me hantaient toujours, me crachant mon ignominie à la face, mais le visage d'Alicia ne se superposait plus à celui de cette pauvre gamine. J'avais la rage au ventre : en mai, je serai un opposant ! Je crierai haut et fort que je suis un partisan de l'amour ! Je ne me cacherai plus ! Grâce à moi, la paix reviendra, et ces sombres salopards crèveront comme ils ont crevé tous ces innocents !
Andorra ne m'envoyait plus de signes. J'étais sûr que ça signifiait qu'Alicia était morte, et qu'elles n'attendaient que moi là-haut. A quoi bon me soumettre si je n'avais plus rien à perdre, mais tout à gagner à mourir ? Et si je devais quitter ce monde, que j'avais chéri si longtemps, je voulais que ce soit en martyr et au prix d'une liberté et d'une paix retrouvée pour l'avenir de l'humanité tout entière !
Avant, mon but était de survivre. Puis il y a eu la haine, et j'avais découvert un nouveau but, mourir le plus tard possible pour sauver autant que possible le peu qu'il restait d'humanité en chacun de nous. Et si, malgré tout, il y avait un espoir ? Un espoir infime ? Et si, quelque part au plus profond de nous, au nord de nos âmes noircies par l'horreur, il restait un peu de douceur et de bonté ? Cela ne vaudrait-il pas la peine de lutter ? D'oser enfin être à l'extérieur ce que j'ai toujours été à l'intérieur de moi ? De déserter la guerre pour embrasser la paix, quitte à fuir quelques temps ?
C'était la guerre. Il pleuvait sur avril, quelque part au nord de ma vie de soldat de la haine.
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