Lit Vide
de Terry Torben
- Mais enfin John, c’est n’importe quoi ! Sort un instant de ta logique, merde ! Regarde où ça te mène ! Parce que c’est bien joli ce que tu dis, elle me manque, tout ça, je peux pas vivre sans elle… Ok, c’est bien ! Jusque-là pas de problème mais regarde-toi ! Regarde un peu ce que tu deviens ! Ecoute : tu pourrais rester encore avachi dans ton fauteuil pendant un siècle, à ingurgiter bière sur bière et à chougner comme un bébé sur ton sort, tu peux me croire, c’est pas comme ça que tu la ramèneras à la maison. Tu peux continuer à tourner les choses mille fois en rond dans ta fichue cervelle mon bonhomme, tes petites rêveries, ça ne te mènera nulle part…
- Ou elle revient… ou je meurs, je te l’ai déjà dit ! Ecoute : j’ai bien compris ce que tu veux me faire entendre mais voilà, je l’ai dans la peau, c’est comme ça ! Je… je suis incapable de faire quoi que ce soit sans elle, merde ! Depuis qu’elle est partie, chaque inspiration fait entrer de l’acide dans mes veines, chaque expiration me vide de mon sang … Ecoute Jean : laisse-moi crever maintenant. Sérieusement : laisse tomber… Et merci pour tes conseils.
- Et après, hein ? Parce que, même si tu n’es plus là, il y aura un après, au cas où tu ne le saurais pas ! Je vais lui dire quoi, moi, à Léa ? Ben écoute voilà : John est mort… sans se battre… Tu veux vraiment qu’elle ait cette image de toi ?... Ecoute: les choses sont ne réellement perdues qu’à l’instant où on renonce à les chercher… Et toi, tu n’es pas du genre à renoncer, du moins je ne te connais pas comme ça, je me trompe ? Toi, tu es un guerrier. Un gagnant.
- Donc, si je t’écoute, tu penses sérieusement que si je me lève maintenant et que je me mets à bouger dans tous les sens, ça va la faire revenir ? Comme ça ? Comme par… magie ?… Franchement je trouve ça un peu étrange comme raisonnement. Je n’y crois pas trop, pas son genre à la miss… Mais bon… après tout pourquoi pas… Tu as raison au moins sur un point : perdu pour perdu, hein… Au moins je pourrais dire que j’aurais essayé !
Or les choses se passent rarement tel qu’on les imagine. Je m’explique : après deux minutes de réflexion, la seule action qui m’ait semblé pertinente fut d’envoyer à Léa ce simple Short Message System : I miss you. Bon début, un peu calculé, je l’avoue. Parce qu’en secret j'espérai qu'elle comprenne que la barrière de la langue matérialisait en fait le mur de pudeur qui était en moi, et que je franchissais pour elle. Juste pour elle. Ce message catapulté dans les remous du réseau, il n’y avait que Léa pour être capable de le saisir. Et de le déchiffrer. Et en tirer tout ce qu’il ne disait pas. Elle saurait lire le roman écrit en filigrane derrière ces trois petits mots tout simples : I miss you. Du moins, c’est ce que je croyais parce que, pour tout dire, après cet acte tout à fait héroïque j’ai attendu sa réaction, relativement sûr de moi je l’avoue. J’ai patienté plusieurs minutes - peut-être était-elle occupée -, qui se transformèrent bien vite en heures – voire même très, très, très occupée -, puis en jours – où même partie en voyage sur la Lune, sur Mars, ou en direction de la galaxie d’Andromède, allez savoir - pour finir en une longue éternité silencieuse, habitée d’elle qui se fichait complétement de moi… Je me vidais de sa mémoire sans jamais voir de fin, comme une bête d’abattoir qui se viderait de son sang… Et moi, torturé, complétement anéanti, j’étais de nouveau vautré dans mon canapé, ingurgitant bières sur bières, abasourdi par la violence de son silence. Mais, poussé par un dernier élan de fierté, je me ressaisis bientôt de mon smartphone, cette fois bien décidé à faire plier le destin.
Ni une ni deux, j’abandonnais toute pudeur et autres messages cachés. Je décidais de la prendre d'une manière plus directe avant que l’alcool ne m’assomme complétement, ce serait mon dernier geste, promis, après je me laisserais définitivement sombrer dans son oubli. Nouveau SMS donc, très vite converti en Media Messaging Service par excès de caractère, ça ne s’inventait pas. Il fallait dire que je m’étais un peu lâché, Aïe, miss! J'ai mal à toi, à ton sourire, à ces attentes où tu n’es plus! Aïe miss! Je souffre d'être moi, juste moi, dans cette faiblesse qui se nourrit de ton absence. Aïe miss... Mais où est donc… cet amour… qui fait de nous… une fois passé… ces êtres… si douloureusement… séparés ?, mais ce furent, malgré tout, les derniers mots parlant de nous, Léa et John, et qui se sont certainement perdus, dilués dans l’infini de la création. Quelques malheureux octets désincarnés, sans âme ni conscience, errant, vidés de tout sens, dans l’océan d’information d’un Big Data défait du moindre sentiment. Ce qui devait être un acte de bravoure destiné à forcer le destin, se finissait pour moi en vrai cauchemar.
Car l'amour doit être ainsi, certainement : Cruel comme une phrase insaisissable, une longue phrase gigogne dans laquelle s’encapsulent tout au long des années des incompris, des quiproquos et autres mystères de l’autre, comme autant de pelures de chagrin. Jusqu’à un sale matin où, se réveillant dans un lit définitivement vidé de la moitié de sa vie, on se demande soudain, juste un peu trop tard : Mais où est donc… ? Tout compte fait chercher l’amour, c’est un peu chercher Ornicar. Il s’agit de la même quête absurde d’une chose impossible, d’une réponse illusoire à une question saugrenue, posée en rigolant à un enfant qui ne sait encore rien de la vie.
Table des matières
En réponse au défi
Mais... Où est donc Ornicar?
Plus fort encore : Peut-on commencer chaque paragraphe d'un texte par une conjonction de coordination?
Histoire, thème, genre... Tout reste libre. C'est comme vous voulez. Pourvu qu'on retrouve, à chaque début de paragraphe : Mais, ou, et, donc, or, ni car.
Je me suis moi-même amusé à cet exercice qui s'est révélé... difficile, je l'avoue. J'espère que, pour votre part, vous trouverez ça amusant. En tout cas j'ai hâte de vous lire!
Commentaires & Discussions
Lit Vide | Chapitre | 5 messages | 8 ans |
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