Le musée

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Maxence et Albain séjournaient pour deux semaines dans la petite ville anglaise de Whitby. Ils n’étaient pas en vacances, qui irait en vacances au mois d’octobre dans cette ville portuaire ? Ils devaient aider à installer un nouveau poste d’aiguillage électronique dans la gare et instruire le personnel local. Maxence avait 22 ans, Albain 18 et était son apprenti qui l’avait accompagné car il parlait parfaitement l’anglais, sa mère étant américaine. Maxence avait plus de difficultés avec la langue de Shakespeare.

Aucune activité n’étant prévue le week-end, les deux hommes seraient désœuvrés. Le dimanche, ils iraient visiter le musée ferroviaire d’York, le samedi ils découvriraient la ville de Whitby qui avait aussi son petit musée où ils arrivèrent à 11 heures. Le conservateur en personne, Mr Turner, un homme dans la soixantaine, les accueillit, leur demanda d’où ils venaient, puis leur dit :

— Vous avez de la chance, c’est le dernier week-end d’ouverture avant la pause hivernale et je vous offre l’entrée. Je vous servirai de guide si vous le désirez.

Ils acceptèrent avec plaisir et entrèrent dans la première salle. Ils étaient jeunes et ne furent pas sensibles au parfum de nostalgie qui se dégageait des objets exposés. Maxence pensa à un vide-grenier où les habitants de la ville se seraient débarrassés de leurs vieilleries. Mr Turner leur parla en détail des pièces maîtresses de la collection :

— Voici un pot de chambre qui provient du Royal Hotel, utilisé en 1842 par la reine Victoria lors de sa visite de la ville.
— Pourquoi est-il protégé par un couvercle en plastique ? s’étonna Albain.
— Il y avait malheureusement des étudiants facétieux qui le remplissaient lors de visites scolaires. Contre le mur vous voyez des photos de la visite de la reine Elisabeth II en 1958. Je me souviens très bien, j’avais quatre ans et c’est moi qu’on voit agiter un drapeau.
— Elle n’est jamais revenue depuis ?
— Hélas non, mais elle est âgée maintenant. Dieu la sauve !

Le conservateur leur montra ensuite une crédence :

— Elle provient du Sneaton Castle.
— Un château ? fit Albain. On peut le visiter ?
— Non, car il est hanté.
— Hanté par un fantôme ? C’est une légende.
— Pas du tout, il est hanté par un damoiseau né en 1864 et mort prématurément en 1886, un malheureux suicide. Ce jeune homme était un inverti et il importune tous les hommes qu’il croise, voulant, excusez ma vulgarité, les sodomiser.

Les deux visiteurs éclatèrent de rire. Mr Luton attira leur attention sur une réplique de la Petite Sirène de Copenhague en plastique injecté, offerte pas Mrs Smith, l’institutrice, souvenir de vacances dans cette ville en 1974. Après une demi-heure de visite, les deux jeunes gens en avaient assez mais n’osaient rien dire par politesse. Maxence avisa un objet dont le conservateur n’avait pas parlé :

— Qu’est-ce que c’est ? On dirait un…
— Oui, c’est un… phallus en érection, amulette que l’on portait autour du cou. Cela s’appelle un ithyphalle. C’est une reproduction utilisée par les figurants au théâtre de la ville lors de la représentation de Jules César, de Shakespeare, en 1995. À la suite d’une erreur de commande, le théâtre en a reçu 2000 pièces au lieu de 20. Je peux vous en offrir une, on dit que cela porte chance pour trouver une âme sœur.

Mr Luton ouvrit un tiroir et offrit deux pendentifs aux jeunes gens, ils les mirent autour du cou. La visite se termina. Albain demanda conseil pour la suite de la journée :

— Vous pouvez visiter l’église, le supermarché, j’oubliais, nous avons une très belle jardinerie. Je vais cependant vous proposer quelque chose de plus original. Ma fille et son mari font des massages, vous aurez 20% de rabais si c’est moi qui vous envoie.

Avant que Maxence et Albain ne réagissent, Mr Luton avait saisi le combiné du téléphone, modèle standard 1964 ayant appartenu au vicaire, et appelé sa fille.

— Voilà, dit-il ensuite en leur remettant des prospectus, vous avez rendez-vous à trois heures.
— Euh, merci, balbutia Maxence.

Maxence et Albain se sentirent obligés de laisser quelques livres pour l’association de soutien du musée avant de le quitter. Ils avaient faim.

— Il ferait le temps pour une bonne raclette, fit Maxence.
— Tu rêves, nous ne sommes pas en Valais. Je ne sais pas ce que cela donnerait avec du Stilton.
— Bon, alors un fish and chips ? On se fera un gueuleton ce soir, on regardera sur TripAdvisor quel est le restaurant le moins mauvais. Je te l’offrirai.

Les deux hommes s’assirent sur un banc au bord de la mer malgré le ciel gris pour déguster leur repas emballé dans une imitation de journal. Ils retournèrent chercher de l’eau brune qu’on leur vendit en leur disant que c’était du café. Albain lut le prospectus du massage :

— Massage holisitique pour atténuer la dichotomie entre ton corps et ton esprit. C’est quoi ce charabia ?
— C’est pour faire ésotérique.
— Tu as déjà eu un massage ?
— Parfois. Et toi ?
— Non, jamais.
— J’espère que ta copine n’est pas jalouse.
— Je… je n’en ai pas, dit Albain en rougissant. Je suis encore puceau.
— Excuse-moi, je ne voulais pas te mettre mal à l’aise en étant indiscret. Moi non plus, je n’en ai pas, on pourra se détendre sans arrière-pensées.

Albain espéra secrètement qu’il y aurait un happy ending, mais ce n’était pas possible pour ce prix, avec encore 20% de rabais. Il serait encore obligé de se branler seul dans sa chambre. Et se faire masser la bite par un homme pourrait être gênant, quoique… Albain banda.

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