La chambre (1)
— Je ne sais pas pour toi, dit Maxence, je veux bien te répondre pour moi si ça reste entre nous, pas nécessaire que toute la boîte soit au courant.
— Tu peux compter sur ma discrétion.
— Ils doivent de toute façon se douter que je suis gay, je n’ai jamais parlé d’une amie ou d’une femme au boulot, alors que les hétéros mettent toujours la leur dans leur conversation.
— Je n’ai jamais entendu d’allusion à ton sujet, fit Albain.
— Encore heureux. Et toi, aussi gay ? Je le pense, sinon tu n’aurais pas posé cette question.
— Oui, enfin je le crois. Comme je te le l’ai dit je n’ai jamais couché avec un homme.
— Rien ne presse. Et cela arrive parfois plus tôt qu’on le pense.
Les Écossais s’étaient endormis devant la télévision, leur équipe ayant perdu, ils ronflaient. La patronne les réveilla :
— Il est 11 heures, je ferme. Je me lève tôt demain et vous avez assez bu. Bonne nuit !
Encore dans les vapes, les deux hommes se levèrent et quittèrent le bar.
— Vous avez encore le temps de nous montrer la chambre ? demanda Albain.
— Bien sûr, suivez-moi.
Salut Alvin / Bonsoir Monsieur de Brocas of Beaurepaire and Roche Court / Je te dis depuis plus de 130 ans de m’appeler Maxwell / Désolé, Monsieur, je ne peux pas m’y habituer / Quoi de neuf ? / C’est calme, plus beaucoup de touristes, à part deux Écossais et deux continentaux / Les Écossais on peut au moins voir leur queue en se glissant sous leur kilt / Et chez vous, Monsieur ? / Ils ont commencé à retaper le château, il y a de beaux jeunes hommes sur le chantier / Je me pose des questions sur notre condition, on en a encore pour longtemps d’être des fantômes ? / Je ne sais pas, sûrement pour l’éternité / C’est long… / Ce ne serait pas mieux au Paradis, tu serais un ange et tu n’aurais plus de bite, on s’enculerait comment ? / Vous avez raison, Monsieur. Oh, l’escalier grince, nous ne serons pas seuls cette nuit / Ne les faisons pas partir tout de suite, restons discrets pour une fois, nous avons l’éternité devant nous pour baiser
La patronne et les deux Suisses entrèrent dans la chambre sous le toit. La décoration de l’époque victorienne avait perdu de son éclat, les couleurs des rideaux et des tapis étaient passées et ternes, des chandeliers avec des ampoules à la place de bougies éclairaient parcimonieusement la pièce. Il y avait un poêle dans un coin, Maxence s’étonna qu’il fût chaud.
— Je l’allume toujours le samedi et je change les draps. Ils viennent chaque semaine, expliqua la patronne.
— Qui ? Les fantômes ?
— Oui. Ils sont peut-être déjà arrivés.
— Je ne ressens pas leur présence, mais j’aimerais en avoir le cœur net. Pourrions-nous passer la nuit ici ? Je paierais un supplément.
— Certainement, et ce sera gratuit puisque vous séjournez longtemps. Vous pourrez redescendre dans vos chambres s’ils vous dérangent. Il y a de l’eau dans la cruche sur la commode et une cuvette pour vous laver, vous trouverez des serviettes dans le tiroir. Il y a un pot de chambre dans la table de nuit, celui de la reine Victoria lorsqu’elle a passé la nuit ici en 1842.
— On nous a dit au musée qu’elle était au Royal Hotel, fit Albain.
— Ils veulent justifier leur nom, le célèbre historien Mr Fetherstonhaugh m’a confirmé que c’est bien ici qu’elle a dormi. Vous pouvez l’utiliser mais je vous prierais de le vider demain matin par respect pour la femme de ménage. Voilà, alors bonne nuit Messieurs. Vous me raconterez au petit déjeuner.
Mrs Anderson laissa les deux hommes seuls.
— Je ne t’ai pas demandé si tu voulais dormir ici, Maxence, je ne le prendrais pas mal si tu retournais dans ta chambre.
— Je vais rester, Albain, même si l’ambiance de cette chambre me met mal à l’aise.
— Tu crois aux fantômes ?
— Non, enfin je n’y croyais pas jusqu’à aujourd’hui.
Tu as remarqué quelque chose, Alvin ? / Non, Monsieur de Brocas of Beaurepaire and Roche Court / Albain, Maxence / Nos prénoms ressemblent aux leurs, Monsieur… Maxwell / Enfin, après plus de 130 ans / Physiquement aussi ils nous ressemblent, curieux / Attendons de voir lorsqu’ils enlèveront leur habits
— J’ai besoin de pisser, dit Albain, tu permets que je le fasse dans le pot ?
— Bien sûr.
Albain le sortit de la table de nuit, l’examina, le retourna.
— « Made in China », fit-il en riant, la reine Victoria ne l’a pas rempli.
— Je vais le tenir pendant que tu pisses. Sais-tu que le prince Charles demande à son valet de faire la même chose lorsqu’il doit fournir de l’urine pour une analyse médicale ?
— Non, je ne savais pas, je pense qu’il lui tient aussi la bite.
Albain ouvrit la ceinture de son jean et sortit son pénis de son boxer, il le décalotta et urina.
— Tu décalottes toujours avant de pisser ? demanda Maxence.
— Oui, pas toi ?
— Non, je ne le fais pas.
— Je trouve que c’est plus propre.
Albain secoua les dernières gouttes, rangea l’engin dans son sous-vêtement, puis se lava les mains dans la cuvette. Il ouvrit le tiroir et sortit une serviette.
— Tiens, dit-il en riant, il y a quelqu’un qui a oublié des préservatifs et du gel. Cette chambre doit être plus souvent occupée que le patronne ne veut bien le dire.
— Ouais, tous les couples de la ville doivent y venir une fois pour se faire peur.
Tu as remarqué quelque chose, Alvin ? / Oui, Maxwell, il se décalotte avant de pisser, comme je le faisais / Et sa queue ressemble à la tienne / C’est vrai / Qu’en déduis-tu ? / Je ne sais pas / Ça devient très intéressant
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