" Un suicide, annonça le lieutenant Sylvie Lyster. Les médicaments ne pardonnent pas.

- Qu'a-t-il pris ?, demanda une voix perdue dans la chambre de la victime.

- Vodka et somnifère.

- Cela ne pardonne pas, en effet. "

La jeune femme sourit au vide.

" Ghost ! Montre-toi !"

La silhouette se forma dans la poussière lumineuse.

" Tiens, lis sa dernière prose."

Je suis désolé. Je ne voulais pas faire de mal.

Un sifflement retentit et la lettre vola quelques instants dans les airs.

" Une jolie lettre d'adieu. Ses victimes ont-elles déjà fêté ça ?

- Ghost, voyons. Un peu de tenue !"

Devant le sourire réjoui de l'inspecteur aux favoris touffus, le lieutenant leva les yeux au ciel. Et se mit à rire.

" Je pense surtout que de nombreuses victimes seront désolées de voir s'arrêter le procès.

- Il était ajourné de toute façon. Vice de procédure."

L'inspecteur et le leutenant regardaient la victime et eurent le même soupir. Désolé. Sur le chevet était posé le journal du soir où les nouvelles du procès étaient en première page.

" Un beau salopard, s'il en est. Combien de victimes à son actif ?

- Officiellement ? Aucune, il était innocent.

- La môme, si tu pouvais cesser de me prendre pour un jobard...

- On pense qu'il y a eu entre 500 et 2000 décès dus à son médicament...

- Et pourtant, le procès va échouer pour vices de procédure.

- Quel salopard ! Mais la présomption d'innocence existe. Elle est née à ton époque, Ghost.

- Oui, oui. Mais j'ai connu aussi la loi des suspects et le Comité de Salut Public. Alors la présomption d'innocence...

- Ghost !"

La nouvelle du décès fut publiée dans les journaux. On conclut à un suicide à cause du remords. Comme quoi, même les patrons de grands groupes pharmaceutiques pouvaient faire preuve de remords. Le médicament XXXX avait été retiré du marché, afin de permettre des examens plus approfondis sur ses effets secondaires. On l'avait accusé d'être à l'origine de graves lésions cérébrales.

Batailles d'experts et procédures étendues sur des années.

Le procès, mille fois repoussé, avait été ajourné pour vices de procédure. La Cour de Cassation attendait son heure et les avocats des Parties Civiles avaient crié au scandale.

Oui.

Mais la justice était la justice !

Et le prévenu, souriant et désolé, était bien entouré.

Il ignorait la dangerosité du médicament, il avait fait confiance. Aucun document n'était utilisable contre lui. il n'était que le patron. Pas le commanditaire.

Alors...

Suicide ?

Plus tard, alors que Sylvie Lyster défaisait le ruban retenant sa longue chevelure et se frottait la nuque, l'inspecteur fantôme vint tourner autour d'elle.

" Ghost, tu me fais du vent !"

Un éclat de rire et le vent fit voler ses cheveux, blonds et bouclés.

Puis une main glaçée glissa sur sa nuque et la massa avec soin.

" Mhmmm. Continue, Ghost.

- Notre salopard...

- Oui, Ghost ?

- Je ne crois pas que ce soit un suicide.

- Mhmmm ? Pourquoi cela ?

- Parce qu'il faut un coeur pour se suicider.

- Tu es adorable, Ghost."

Le fantôme posa ses doigts gelés sur les tempes de Sylvie Lyster et massa pour faire disparaître la douleur.

" Tu avais un coeur alors ?

- Je l'ai retrouvé aux barricades.

- Alors notre salopard a dû retrouver le sien lorsqu'il a appris l'âge de la dernière victime de son médicament.

- Le journal sur le chevet ?

- Cinq ans. Un gamin de cinq ans mort des suites d'un méningite foudroyante."

L'inspecteur fantôme sourit dans l'ombre et asséna en dernier coup :

" Quand est édité le journal ?

- Surprends-moi, Ghost.

- La victime était déjà morte.

- Hoho. Et qui te l'a dit ? La victime ?

- Les types de la Morgue.

- Suicide ?

- Meurtre."

Les mains massaient toujours. Sylvie Lyster murmura :

" Le père du gamin...où est-il ?"