Prologue
J’ai bientôt trente ans. Quand je regarde ma jeunesse, je constate que je ne me suis pas beaucoup amusé. Si j’ai eu ce qu’on peut appeler une période d’insouciance, ce n’a été, grosso modo, qu’entre mes dix-huit et mes vingt-deux ans. Avant ça, j’étais trop inquiet d’obtenir de la reconnaissance, et après je m’étais pris une trop grosse tarte dans la gueule. Peu importe ce qu’il s’est passé exactement. Pour beaucoup de gens, à mon avis, ça n’aurait pas été si grave, mais malgré le peu de présence que j’avais à moi-même je crois que j’ai toujours été très sensible. Même si je ne le savais pas, je ne me suis jamais tenu très loin de moi. Je dis malgré, etc., et ça peut sembler une drôle d’opposition, mais le fait est que j’ai toujours été plus intelligent que sensible. Ou du moins la sensibilité a toujours été, pour moi, englobée dans l'intelligence. Socialement, ça n’a pas été très confortable : j’ai rarement été un bon ami (quoi que cela puisse vouloir dire), et je n’ai jamais pu faire durer une relation sentimentale, mais c’est aussi ce qui m’a permis, je crois, d’apprendre beaucoup à partir de peu d’expérience. Mon intelligence me gardait en dehors de moi-même, en observation, ce qui fait que je n’ai pas été trop encombré par l’égo. De toute façon j’étais trop étrange, et trop discrètement étrange – pour moi-même comme pour les autres –, pour trouver dans le monde un miroir vraiment à mon image.
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