Tintinnabuler

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Enfant, j’ai côtoyé des enfants avec qui je n’aurais pas dû a priori jouer. De condition modeste, et c’est peu de le dire, chaque été je rejoignais, au prix d’un long périple en 4L à travers la France, un coin absolument paumé au milieu de nulle part. Et ces autres gosses. Je n’ai pas perçu de suite le décalage qu’il pouvait y avoir entre eux et moi. Nos intérêts à cet âge étaient de courir les bois de résineux, jouer dans la rivière et de gravir des montagnes comme des cabris jusqu’aux glaciers lors des randonnées avec les adultes. Nous devions être près d’une vingtaine de morveux de tous âges, dormant dans un dortoir à l’étage d’une grande baraque en bois.

C’est là que j’ai appris à faire du vélo avec un bras cassé, c’est là que j’ai tenté de monter une pièce de théâtre, c’est là que j’observais les étoiles filantes, mais aussi les aigles royaux. J’adore cet endroit, mais j’ai appris qu’il avait été revendu dernièrement, et je ne me souviens que d’un simple nom, que j’ai cherché pendant quelques heures sur une carte, en vain. Pendant un mois, j’échappais à ma vie de chat maigre, pendant un mois, je faisais corps avec la nature, le soleil, la résine, les écorces rouges et les animaux, de la biche à la marmotte en passant par la vipère. C’était mon paradis.

Aussi, je ne comprenais pas le catéchisme, les leçons de piano, de flûte traversière et de harpe. Ces cours particuliers suivis aussi assidûment. On m’ouvrait une fenêtre folle de liberté où j’échappais enfin aux contraintes et aux punitions, et eux, mes camarades d’aventure allaient s’enfermer pendant des heures bien studieuses alors qu’il y avait tant à découvrir dans les sous-bois ! C’est bien plus tard que je compris que nous n’étions pas du même monde. Ni que nous n'avions les mêmes chances dans la vie. Filles et fils d’une vieille famille aristocratique, ils se devaient d’acquérir ce patrimoine fait de conventions, de savoir-vivre que jamais je ne maîtriserais.

Je ne m’en suis pas rendu compte de suite, il m’a fallu du temps, du recul pour comprendre ce qu’il s’était joué à mon insu. J’étais trop préoccupé par mes jeux d’enfants, le méchoui, les feux de joie ! Je crois que j’ai été heureux pendant ces vacances. Vraiment heureux. Et puis le soir, cette comptine qui nous était chantée, accompagnée à la guitare, et que j’adorais, lové chaudement dans une couverture à l’abri de l’air déjà vif ! Petit garçon de Graeme Allwright et ce mot magique entre tous, si doux et pour lequel il n’existe pas de synonyme aussi beau tellement il est précieux et rare, « tintinnabuler ». Et cette jeune fille, peut-être plus grande que moi d’un ou deux ans, une camarade de jeu, une confidente et dont je devais être amoureux sans m'en rendre vraiment compte. Ses seins naissants, sa culotte de coton blanc et ce mot fabuleux sont des souvenirs naïfs d’un temps que j’aurais voulu pouvoir durer toujours.

Mais il fallait rentrer, retraverser toute cette foutue France dans cette 4L poussive, coincé entre des valises et des sacs qui montaient jusqu’au toit. Et retrouver les hlm parisiens, la grisaille et tout ce qui s’en suit. Seul souvenir de cette parenthèse enchanteresse, ma peau tannée et cette chanson. Ce mot. Et cette fille.

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