Chapitre 10 : interrogations

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HANNAH

 Quand j’arrive à la maison vers 19h, James est avachi dans le salon. Sans prendre la peine de le saluer, je rentre directement dans la cuisine et pose mon sac sur le comptoir. S’il m’a certainement entendu entrer, il fait mine de n’avoir rien remarqué. Notre petit tandem « je te déteste à la folie, je t’ignore plus que tout » fonctionne de mieux en mieux… Je me prépare un thé aux fruits rouges et sort mon portable avant de m’assoir sur l’ilot centrale d’où j’ai une vue parfaite sur l’envahisseur. Je l’observe discrètement en faisant défiler distraitement l'actualité sur mon téléphone.

Assis confortablement sur le canapé, la télécommande dans la main gauche, il zappe sur les chaines du câble, son bras droit posé sur le dossier, au-dessus de sa tête.

Monsieur est gaucher ? Observation numéro une : check.

Il arrête son choix sur une série débile et balance la télécommande avant de s’avachir davantage. Je peux voir un sourire se dessiner sur son profil de temps à autre au rythme des tirades d’Ashton Kutcher.

Visiblement, Monsieur a également un QI de mouette. Ou un humour à deux balles. Observation numéro deux à vérifier…

Il semble décontracté, serein, et je l’envie. Comment peut-il être aussi détendu alors que je bouillonne de l’intérieur. Tous mes sens sont en émoi, comme chaque fois qu’il est dans les parages. Quand il s’allonge et pose sa tête sur l’accoudoir, me dévoilant ses épaules nues, ma respiration s’emballe et je sens mon cœur cogner dans ma poitrine. Il passe les deux bras par-dessus sa tête, masquant ainsi son visage, mais m’offrant au passage une vue imprenable sur les muscles parfaits de ses biceps et de ses avant-bras. Je le dévore des yeux, mémorisant les ombres sur ses épaules, le brun de ses cheveux en pagaille, la forme de ses ongles, ses longs doigts fins, mais masculins. Mon esprit divague peu à peu et l'image de ses mains viriles remontant le long de mon corps me frappe. La vision est tellement claire dans mon esprit que je peux presque sentir la chaleur de ses doigts sur ma peau, lorsque le générique de la série me ramène brusquement sur terre.

Troublée, je me tortille sur mon tabourets, tentant de calmer les palpitations entre mes jambes et ferme les yeux pour m’éclaircir les idées. Non mais c’était quoi ça ? Voilà que je me mets à fantasmer sur l’ennemi en sa présence ! C’est de pire en pire !

Nom d’un chien Hannah ! Ressaisis-toi, tu dérailles complètement là !

Morte de honte, je baisse la tête et essaie de calmer ma respiration, tandis que la chaleur me monte aux oreilles. Quand j'ose enfin ré ouvrir les paupières, James n’a pas bougé d’un poil, visiblement inconscient de la démence qui me ronge. Je me lève précipitamment et me dirige vers l’évier pour laver ma tasse. Il faut que je me calme, les choses ne se passent absolument pas comme prévu.

Mission espionnage : échec. Tu étais censé l’étudier, pas le mater !

Après avoir essuyé et rangé ma vaisselle, je respire profondément et mon téléphone à la main, je me dirige vers le salon, déterminée.

Tentative d’espionnage : essaie numéro deux.

Tout en l'ignorant, je m’installe sur le fauteuil à sa gauche. D'ici, malgré la pénombre, je peux voir son corps en entier et chacun des traits de son visage.

Ce qui n’arrange rien à mon manque de concentration.

Une fois assise, je tente une œillade discrète. Il s’est endormi, me laissant tout le loisir de pouvoir l’observer sans retenue. Je passe mon temps à l’éviter du regard, mais à cet instant, je n’ai ni la volonté, ni la force de lutter. Je place mon portable devant ma tête au cas où il ouvrirait les yeux et recommence à l’épier comme une psychopathe. Je suis complètement hypnotisée par sa poitrine qui monte et descend lentement, au rythme de sa respiration calme. Ses paupières sont toujours clauses et ses traits détendus, me permettant d’observer à ma guise ses longs cils et la barbe naissante sur ses joues. Je ne crois pas l’avoir vu rasé de près une seule fois depuis que je suis arrivée et je me demande si c’est un choix ou de la simple fainéantise. Comment peut-on être à la fois agacée et irrésistiblement attirée par une même personne ? Cet homme est un mystère que je dois résoudre. Une fois l'énigme Carter résolue, mon obsession s’estompera-t-elle peut être ? Je l’espère du moins... L’écran de son IPhone s’illumine sur la table basse, interrompant mes pensées torturées. Un message s’affiche mais je ne peux rien lire d'où je suis. La curiosité l’emporte et je fini par me lever doucement, prenant soin de ne faire aucun bruit. Retenant ma respiration, penchée vers son téléphone, je jette un œil furtif à l’écran.

Imessage from Chase

Il me semble avoir entendu ce prénom plusieurs fois lors de ses conversations téléphoniques. Un de ses proches je suppose.

N’ayant décidément plus aucune retenue, je continue mon intrusion dans sa vie privée et inspecte son fond d’écran derrière la notification. Je fixe, intriguée, la bouille de deux adorables petites filles. La paire de blondinettes semblent avoir à peine cinq ans et leurs yeux pétillent de malice. Qui est-ce ? Serait-il papa ? Impossible.

Le grognement de James me fait sursauter et je chuchote un juron en portant une main sur ma poitrine. Comme une souris prise au piège, je sautille, tourne sur moi-même à la recherche d’un trou où me cacher et fini par retourner m’assoir précipitamment dans le canapé derrière moi, morte de honte et le cœur palpitant.

Bravo Hannah, pour la discrétion on repassera !

—Salut beauté. Marmonne-t-il en s’étirant.

— James, arrêtez de m’appeler « Beauté ». Je lui rétorque le plus calmement possible, alors que mon cœur menace de sortir de ma poitrine tant il bat fort.

—Quand tu cesseras de me vouvoyer et de m’appeler James. J’ai l’impression d’avoir soixante-dix ans.

Complètement effarée à l’idée qu’il ait pu me surprendre, j'ignore sa remarque et fais mine d’être absorbée par le documentaire animalier qui passe à la télévision. Horrifiée à l’idée qu’il devine mon embarras, je prie le dieu des indiscrètes pour que le rouge de mes joues soit masqué par la faible lueur de la pièce. Sans détourner les yeux de l’écran, je le vois du coin de l’œil attraper son portable.

— J’avais prévu de commander une pizza, est-ce que ça te dit Hannah ? Reprend-il au bout d’une minute de silence, en prenant soin d’insister sur mon prénom.

— Non merci, je peux encore commander mon repas toute seule.

— Allez, arrêtes de faire l’enfant, il est presque 20h, tu dois mourir de faim toi aussi. Est-ce que l’hawaïenne de Santa pizza est toujours ta préférée ?

Je le regarde les sourcils froncés et bredouille, déconcertée.

— Je … euh…oui…

— Annie. Me répond-il simplement en hochant les épaules, répondant ainsi à mes interrogations silencieuses. Cette manie qu’avait ma grand-mère de lui confier tous les détails de ma vie privée me tape sur le système. Je ne m’y ferais jamais.

Il faut croire que l’indiscrétion est une tare familiale…

Vexée par les remontrances de ma propre conscience, je reporte mon attention sur l’écran sans prendre la peine de lui répondre. Sa voix grave et suave résonne dans la pièce silencieuse tandis qu’il passe commande. Une hawaïenne et une quatre-fromage. Quatre-fromage. Je note inconsciemment cette dernière information dans un coin de ma tête, bien que sans importance. Au bout d’un quart d’heure, pendant lequel ni lui ni moi n’échangeons un seul mot, il finit par lâcher en me fixant :

— Est-ce que tu comptes m’ignorer et bouder comme une gamine encore longtemps ? Sans quitter du regard la télévision, je lui réponds :

— Je ne boude pas, c’est juste…. ma tête. Et oui, t’ignorer le plus possible fait effectivement partie de mes plans. Il sourit et continue de me dévisager. Il finit par lever les deux mains en l’air en signe de reddition et ajoute :

— Bien mademoiselle la coincée, je vous laisse à votre bouderie.

— Hey, je ne suis pas coincée ! Je lui rétorque en me redressant, froissée.

— Bien sûr que si ! Coincée, boudeuse et capricieuse !

— Tu ne me connais même pas ! Je ne suis rien de tout ça !

Il sourit en me défiant du regard.

— Coincée, boudeuse, capricieuse et visiblement susceptible.

— Ferme-la James.

Il ricane et enfile son tee-shirt en secouant la tête.

— Jusqu’ici, ton air boudeur me faisait surtout penser à mes nièces de 4 ans, mais j’avoue que ce ton autoritaire me rappelle bien plus ma grande tante Janine.

— Tu es insupportable ! Qu’est-ce que je dois faire pour que tu te taises ?

— Prouves-moi que j'ai tort et laisses-toi un peu aller Miss coincée ! Tu resteras pucelle jusqu’à la fin de tes jours si tu continues à geindre de la sorte à longueur de journée.

Sur ces charmantes paroles, il se lève et se dirige vers la cuisine. Outrée, je reste bouche bée jusqu’à son retour dans le salon, deux bières à la main.

— Je ne suis pas pucelle !

Parfait, voilà que tu ressens le besoin de te justifier maintenant ?

— Peu importe. Je voulais juste t’embêter un peu. Je n’ai rien contre les vierges, c'est un choix très honorable. Prends une bière et détends-toi. Il me tend une bouteille que je fixe quelques secondes avant de l’empoigner sans ménagement et d’en boire une gorgée.

— Tu es vraiment un gros con James Carter.

— C’est vrai, on me le dit souvent. Il rit en buvant une gorgée à son tour et me fait un clin d’œil avant de poser la bouteille sur sa cuisse.

— On a au moins avancé sur un point !

— Lequel ? Je l’interroge, suspicieuse, avant de reprendre une gorgée.

— Tu ne me vouvoies plus. Rétorque-t-il d’un air satisfait.

Me retenant de lui tirer la langue comme une fillette, je plisse les yeux et lui serre un sourire totalement faux, qui s'avère finalement être plus une grimace qu'autre chose et qui le fait pouffer. Sa bonne humeur est exaspérante, mais son rire tellement sincère que je ne peux réprimer un sourire franc et je fini par rire à mon tour. Il me sourit et tend sa bouteille vers moi comme pour porter un toast.

— A toi et à ton mignon petit rire ! Dit-il avant d'en avaler une nouvelle gorgée.

Le sourire aux lèvres, je secoue la tête et soupire, confuse. Les minutes passent et mes pensées s'égarrent. J’avale plusieurs gorgées de ma bière silencieusement, laissant l'alcool noyer mon désespoir et mes craintes. Ce type me fait complètement dérailler ! Je suis passé de la colère aux rires en moins de deux minutes. Comme si mon cerveau ne pouvait assurer la fonction "self-control" et lutter par la même contre l'envie de lui sauter dessus. Je devrais l'éviter, je le sais, mais l'attirance que je ressens en sa présence s'accroit de jour en jour et devient insoutenable. Soudain épuisée, mon esprit faible se met à se questionner. Si Annie lui faisait confiance, peut-être le puis-je aussi ? Pourquoi lutter ? Il a raison, laisses toi aller. Mon désir m’aveugle. L’alcool m’embrouille. Mon corps me pousse vers lui, aidé par mon cerveau, ce traitre, qui tente par tous les moyens de me convaincre de lâcher prise également. Je dois changer de tactique. Peut-être, suis-je une sadomasochiste excitée par le conflit. Et si nous finissions par nous entendre ? Cette attirance s'estomperait-elle avec le temps ? Je dois en savoir plus sur lui. Si je me confie, peut-être se confiera – t-il également ? A court d'idée, je tente une excuse :

— Ecoutes, je tiens à m'excuser... Pour ces dernières semaines, je veux dire... J'ai conscience de ne pas avoir été très agréable. C'est juste que... J’ai perdu l'envie de rire depuis qu'Annie n’est plus là. A vrai dire, ces derniers temps, je n'ai pas eu souvent l'occasion de me "lâcher".

Je termine ma phrase en mimant des guillemets avec mes doigts. Bizarrement cet aveu me soulage, même si à la base, le but était de m'excuser et non pas de me confesser. Il m'observe quelques instants sans rien dire, puis acquiesce et finit par me répondre doucement.

— Je comprends. Plus que tu ne le crois. Je suppose que je dois m'excuser également. Je ne t'ai pas vraiment facilité la tâche. Dit-il avec un sourire.

— Non, c'est le moins qu'on puisse dire. Tu es insupportable. Je rétorque en haussant les sourcils.

Tu me rends insupportable. Ce qui m'exaspère au plus au haut point, car les vierges ne me font d'habitude aucun effet.

C'est pas vrai, c'est plus fort que lui! Il ne s'arrête donc jamais ?

— Répètes encore une fois que je suis vierge et tu vas le regretter James Carter. Je lui rétorque en le fixant avec défiance. J'ai soudain envie de l'embrasser. Et de le frapper. Et il me faut toute la volonté du monde pour me contrôler, car ni l'un ni l'autre ne serait une bonne idée.

Boire était visiblement une connerie.

— Les menaces d'une vierge coincée ne m'effraient pas... rétorque t-il d'une voie calme mais indéniablement narquoise, avant de porter de nouveau la bouteille à sa bouche.

Il soutient mon regard plusieurs secondes, un sourire provocateur aux lèvres. Ses yeux finissent par lâcher les miens pour s'aventurer sur mes lèvres, puis mon corps. Il parcoure mes jambes, avec une infinie lenteur, sans aucune pudeur et revient ancrer son regard dans le mien. Dans ses yeux, la provocation qui a cédé la place à l'excitation, signe ma perte.

Brulante de colère et de désir, je m'avance brusquement vers lui et en deux enjambées, je me retrouve sur le canapé, assise sur ses genoux, ma poitrine collée à son buste et mes lèvres scellées sur les siennes. Immobile et figé de surprise, je sens son corps tendu se relâcher lentement et les vibrations se répercuter contre ma bouche, lorsqu'il grogne de soulagement. Ses mains se posent sur ma taille, et mon corps vient de serrer davantage contre le sien. Sans retenue, j'attrape son visage des deux mains et plonge ma langue plus profondément dans sa bouche à la recherche de la sienne. Enivrée par ses soupirs de satisfactions et par les caresses de sa langue, je cède complètement. Le plaisir m'aveugle totalement et m'arrache le peu de bon sens qu'il me reste à cet instant.

Oh seigneur, je dois m'arrêter. Je dois m'arrêter. Mais je ne peux pas.

***

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