Chapitre 12: L'invitation
JAMIE
— Non mais est-ce qu’au moins tu te rends compte de la chance que tu as de vivre sous le même toit que cette nana ? !
Chase, les yeux ronds, me fixe d’un air outré. Sa mâchoire a presque touché le sol quand il est entré dans la maison ce matin et qu’il est tombé sur une Hannah en pleine séance de yoga dans le salon.
— Remets-toi un peu bon sang … Tu baves tellement que tu vas finir par glisser sur ta propre salive !
Il ricane comme un ado attardé et continu.
— Je ne m’en remettrais ja-mais ! Sérieusement ! Cette meuf est carrément canon ! Qu’est ce qui t’a pris de me cacher une chose pareille ?
Je lève les yeux au ciel tout en évitant une branche au milieu du sentier. L’hystérique qui me sert de meilleur ami se prend évidement les pieds dedans et se rattrape distraitement à mon bras. Ma yoguiste de colocataire a totalement accaparé son esprit d’obsédé et la randonné pour laquelle il était venu me tirer du lit ce matin, ne l’intéresse plus le moins du monde.
— Alors ? Est-ce que le petit traître que tu es a déjà réfléchi à une plaidoirie ? Qu’as-tu à dire pour ta défense ?
— Je ne t’ai rien caché du tout crétin. Je t’ai annoncé qu’elle avait emménagée à la maison le jour même de son arrivée.
— Rectification ! Tu m'as dit que la petite fille d'Annie avait emménagé. La petite sœur mignonne, chiante et timide. Mais tu ne m'as rien dit de la bombasse à tomber par terre que j'ai découvert ce matin ! La vache, je pouvais presque voir son chakra sexuel dans cette position là... Chienne cul en l'air... Mon dieu, ces petites fesses rondes et parfaites...
— C'est la position du chien tête en bas, abruti.
Il ferme les yeux en souriant comme un niais, se remémorant visiblement avec beaucoup de nostalgie la scène en question, ses mains malaxant l’air devant lui. Il a vraiment une imagination débordante. Ecœurant.
Si seulement il savait que mes mains se souviennent parfaitement de la forme de ces fesses.
Je grommelle et lui frappe l’épaule. Il pousse un petit cri de douleur et me regarde, faussement offensé avant de frotter sa peau en souriant, à l’endroit où mon poing s’est écrasé quelques secondes plus tôt. Je déteste la façon dont il parle d’Hanna. Elle n’est pas un objet sexuel, ni une de ces filles faciles qu’il ramène dans son lit tous les soirs. J’ai envie de l’envoyer balader, lui et ses remarques de macho, mais je m’abstiens de tout commentaire. Mon emportement me vaudrait une journée d’emmerdes. Il me pourrirait jusqu’au coucher du soleil pour que j’avoue enfin la raison de mes sautes d’humeur. Ses commentaires sexistes me font rire, la plupart du temps du moins, mais pas aujourd’hui. Pas avec elle.
— Sérieusement mon gars. Cette fille, c’est un ange tombé du ciel. J’aimerais comprendre pourquoi tu ne m’as rien dit ?
— Cette fille n’est pas un ange, mais Lucifer en personne. Si tu veux un conseil, restes loin d'elle ! Elle n’aurait aucun mal à te botter le cul, crois-moi, je lui rétorque en ricanant. Je croise les doigts pour qu'une fois dans sa vie, cet imébcile m'écoute, même si la vision d’une Hannah très énervée fourrant son poing dans la trachée de Chase est carrément jouissive.
— Tu parles... J’en fais mon affaire quand je veux ! Et effaces ce sourire de ta tronche tu veux ?
Je ris de plus belle et accélère le pas. Le sentier est de plus en plus escarpé et j’agrippe les branches à portée de mains pour m’aider dans mon ascension. Le bruissement des feuilles, balayées par la brise, couvre nos respirations. Les brindilles craquent sous nos semelles. Quelques oiseaux s’envolent sur notre passage, et je me sens pousser des ailes moi aussi. Mon souffle devient erratique, la brûlure dans mes cuisses s'accentue, mes bras sont parsemés d'éraflures, mais je continu de grimper. Je ne réfléchis plus et me contente de me laisser porter par mon propre corps, qui avance tel un automate. Il nous faut pratiquement une heure pour terminer notre parcours et l’espace d’un instant, j’oublie la réalité qui m’attend en rentrant. Quand nous atteignons enfin le parking, mes poumons sont en feu, et la dopamine qui court dans mes veines me donne envie de rebrousser chemin pour que la sensation de bien-être ne s’arrête jamais. L’ivresse du coureur dit-on. C’est exactement ça. Je veux continuer à être ivre. Ces dernières semaines, à l’instar d’un alcoolique qui boit pour anesthésier son cerveau, je cours dans l’espoir d’oublier Hannah. Après toutes les conneries que je lui ai dites hier soir, elle ne voudra plus jamais m'approcher, c'est certain. Alors autant essayer d'effacer de ma mémoire toute trace de mon addiction dès maintenant. Les jambes flageolantes, nous nous asseyons sur l’herbe humidifiée par la rosée matinale pour reprendre notre souffle. J’attrape la bouteille d’eau dans mon sac, en bois une gorgée et la tend à Chase qui a déjà dégainé son portable.
— Steve vient de m’envoyer un message. Emilie et lui organisent un repas ce soir. Fajitas et Nachos au menu. Il demande si tu seras là ?
— Pourquoi pas, je réponds en haussant les épaules.
Je n’ai rien de prévu de toute façon. Si ce n’est épier Hannah comme un névrosé. Plus loin je serais d'elle, mieux ce sera. Impossible de tenter une désintoxication lorsque votre drogue se trimbale sous votre nez.
— Tu pourrais inviter Chuck Norris ? J’ai hâte qu’elle me botte l’arrière train. Et j’aimerais surtout découvrir pourquoi cette fille te fout une trouille bleue, ajoute-t-il, un sourire démoniaque peint sur son visage.
— Dans tes rêves, je rétorque en ricanant.
Dans la liste des choses à éviter, situé dans le top dix, se trouve l’idée de présenter Hannah à mes amis. Plan foireux assuré. Ils passeraient la soirée à la questionner et à faire des allusions débiles sur notre cohabitation. Chase finirait par se prendre un râteau - parce qu’il essaierait de la chauffer, c’est certain - Et moi je finirai avec sa main dans ma face, ou pire, son pied dans mes bijoux de famille, pour l’avoir embarqué dans un guet-apens pareil.
Jamais de la vie.
Quand j’arrive à la maison, une demi-heure plus tard, Hannah est couchée dans l’herbe, un bouquin à la main. Je m’apprête à remercier Chase pour m’avoir ramené lorsque j’entends le moteur de la voiture se couper et la porte côté conducteur s’ouvrir. Non mais qu’est-ce qu’il fout ? Il descend de la voiture et s'avance droit vers Hannah. Il ne va quand même pas aller lui parler ? Si ? S'il ne l'a pas déjà mise mal à l'aise ce matin, aucun doute qu'il y arrivera cette fois! Choqué, je le regarde la saluer et lui tendre la main. Elle lui sourit - Bon, c'est déjà ça, elle n'a pas dû remarquer qu'il l'avait maté comme un détraqué - Elle s'assoit, saisi sa main et lui répond quelque chose que je n'entends pas.
Bon sang mais à quoi il joue ? Tout ça est déjà bien trop compliqué, la dernière chose dont j'ai besoin, c'est qu'il vienne y rajouter son grain de sel.
Furieux, je claque ma portière et m'avance vers eux à grand pas. Quand j'arrive à leur hauteur, Hannah ri timidement avant de se tourner vers moi.
— Salut James.
Etonnamment, elle n'a pas l'air de me faire la tête.
Je la fixe en hochant la tête, les sourcils froncés. J'arrive à ta rescousse, n'ait crainte !
— Hannah. Est ce que cet imbécile t'importune ? Je lui demande, très sérieusement. Voilà que tu joues les preux chevaliers maintenant? De mieux en mieux...
— Absolument pas, me répond-elle en me souriant poliment. Il s'est simplement présenté. Ce qui était inutile d'ailleurs. Je l’ai aperçu ce matin et je savais bien que sa tête me disait quelque chose ! On s’est croisé plusieurs fois à l’époque où je suivais encore mon frère partout !
— Tu entends ça Jamie ? Cette jolie demoiselle se souvient de moi, me lance Chase d'un air totalement réjouie.
Hannah rit d’un air embarrassé et il lui rend son sourire en arborant sa tête de petit saint. Inconscient des intentions malhonnêtes de ce petit sournois hypocrite, Hannah renchérit en m'expliquant qu'il était un pote de son frère et qu'ils s'étaient vus quelque fois en soirée ou sur la plage lorsqu'elle et Clark allaient surfer. Bizarrement, elle a l'air de l'apprécier, ce qui m'exaspère encore plus. Est-ce que je délire ou bien cette fille est sympa avec tout le monde, sauf moi? Soit elle le fait exprès pour m'emmerder, soit ma tête ne lui revient vraiment pas. Je repense à la nuit dernière et mon cœur se serre à l'idée que la deuxième théorie soit la bonne. J'ai vraiment envie de remettre ça, et le fait qu'elle m'apprécie - même un tout petit peu - m'aiderait grandement... Chase interrompt mes pensées en reprenant la parole.
— On organise une soirée entre pote ce soir. Ça te dirait de passer ? Un petit truc tranquille, juste Jamie, moi et deux couples d'amis. Tu me raconteras comment va Clark, j'aimerais savoir ce qu'il devient !
Petit enfoiré ! Tu ne perds rien pour attendre !
— Merci pour l'invitation mais je ne veux pas déranger...
— Ne dit pas n'importe quoi ! Et puis, j'aimerais en savoir plus sur la colocataire de Jamie! ajoute-t-il avec un clin d'œil. Allez viens, nos amis sont sympas, tu verras.
Choqué, je suis debout au milieu de ces deux-là, à tenir la chandelle comme un idiot et je les regarde échanger comme si je n'existais pas. Hannah a l'air mal à l'aise, elle fixe son livre en riant pendant que Chase lui sort son baratin à deux balles.
— Merci, vraiment mais... je ne sais pas.
Dis non Hannah ! Par pitié, refuses son invitation !
Chase joint ses deux mains et supplie Hannah du regard en papillonnant des cils. Son petit numéro ridicule la fait rire et je fulmine en voyant ses mignonnes petites joues virer au cramoisie. Ce salaud est vraiment doué.
— D’accord, d’accord, finit-elle par abdiquer. Mais je ne resterais vraiment pas longtemps.
Génial…
— Super, tu ne le regretteras pas ! Lui répond Chase, absolument ravi. Je peux venir te chercher si tu veux ?
Hors de question ! Faut pas abuser !
— ça ira, J'ai ma voiture. Et James m'expliquera le chemin ?
Hannah tourne la tête vers moi et me regarde avec un sourire perplexe. Tiens donc, j'existe de nouveau ? Elle a l'air tout aussi mal à l'aise que moi et me fixe en attendant ma réponse. Elle fini par rire en constatant que j'ai perdu momentanément la faculté de parler. Je dois avoir l'air d'un demeuré. Cette fille me déstabilise complètement. Elle fini par se lever tout en continuant à me regarder droit dans les yeux, visiblement amusé par cette situation totalement gênante. Je l'observe épousseter ses fesses et ajouter en reportant son attention sur Chase.
— Je suppose qu’il est d'accord, dit-elle en riant. On se voit ce soir alors.
Et elle s'en va, en nous laissant plantés là comme deux idiots. Complètement hypnotisés, Chase et moi la regardons se diriger vers la maison d'un pas léger. Sa longue chevelure brune ondule à chacun de ses pas et ses jambes élancées et bronzés semblent flotter sur l'herbe tant sa démarche est gracieuse. Et ces fesses rebondies… je suis un homme fini.
Je tourne la tête et me rend compte, sans grand étonnement que Chase est dans le même état que moi. Il a l'air d'avoir été piqué au sédatif. Reprenant le fil de mes pensées, je lui frappe l'arrière du crâne en le fusillant du regard.
— Non mais c'était quoi ce plan ?
Je suis furax qu'il ait osé me faire ça et j'attends son explication en le regardant ronchonner et se frotter la tête.
— Mais de rien... répond-il en me toisant à son tour.
— Je ne t'ai pas remercié, pauvre crétin.
— Oui, mais tu devrais ! me crie-t-il. Tu crois que je n'ai pas remarqué ton petit cirque ? Cette fille te plait et ce soir sera l'occasion de voir si tu lui plais aussi.
— Chuuuut ! Parles un peu moins fort bon sang. Je jette un regard angoissé vers le porche de la maison, mais aucun signe d'Hannah. Chase me regarde comme si j'étais un alien et siffle en hochant la tête.
— Je vois... Ton cas est plus désespéré que je ne le pensais.
— Quoi ? N'importe quoi !
— Ecoute mon vieux, je ne suis pas complètement stupide. Je ne sais pas ce qu'il se passe exactement entre vous, mais c'est en train de te rendre fou. Je t'ai écouté geindre sur ta colocataire ces trois dernières semaines, et j'ai été plus que patient. Il est grand temps de passer à la vitesse supérieur.
Je souffle bruyamment, et me passe la main dans les cheveux, nerveux.
— Cette invitation ne m'aidera pas. Elle me hait. Clairement! Partager un repas ni changera rien. Ce qu'il me faut, c'est l'oublier.
Chase tousse et ricane avant de me lancer, moqueur.
— Ce que j'ai vu était loin d'être de la haine. Crois-moi.
Je me frotte la joue, pensif et dépité. Bon sang, j'aimerais tellement qu'il ait raison. Mais pour je ne sais quel motif, Hannah et moi ne pouvons-nous retrouver dans une pièce sans déclencher une guerre mondiale. Je l'énerve, elle m'insulte, je l'énerve encore plus et on finit par s'ignorer. Ma routine ces dernières semaines. Jusqu'à hier du moins. Aujourd'hui, mon état d'énervement et d'excitation a dépassé la limite du supportable. Car aujourd'hui, je sais ce que je loupe. Je ne peux pas fermer les yeux deux secondes sans repenser à son corps sur le mien et à mes lèvres sur les siennes.
Je jette un dernier regard à Chase qui secoue la tête, et me regarde avec un air qui veut tout dire.
"Tu es navrant, mais mon dieu ce que tu es drôle".
Il me tapote le dos, le regard plein de compassion et je grogne pour toute réponse.
— Bon, j'y vais. On vous attends pour 19h30. Et ne te dégonfles pas.
Prenant mon courage à deux mains, je me décide enfin à rentrer à la maison en entendant sa voiture démarrer.
Okay mon gars. Chase a raison. Il serait peut-être temps de passer à la vitesse supérieure...
***
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