Chapitre 19 : Retour aux sources
HANNAH
J’observe le paysage qui défile devant mes yeux, frustrée. Nous roulons depuis pratiquement deux heures et malgré mes supplications, James refuse toujours obstinément de me révéler notre destination. Je ronchonne en reportant mon attention sur la route. Quelle mouche m’a piquée de lui laisser carte-blanche ?
— Je te jure que je t’étripe si tu m’annonces après deux heures de route que notre activité s’avère être du saut en parachute ou une virée en montgolfière.
Il rigole en gardant les yeux rivés devant lui. Une de ses mains lâche le volant pour venir se poser sur l'accoudoir qui nous sépare, et je me redresse pour tenter de camoufler le frisson qui me parcourt lorsque son bras frôle le mien.
— Relax. J’ai compris le message. Je te jure que tes deux pieds resteront ancrés au sol.
Pas de parachute ni de montgolfière. C’était ma seule condition.
La sensation de vertige me submerge et me tord l’estomac rien que d'y penser. J’augmente le volume de la radio pour me distraire et pose mon front sur la vitre froide de la voiture. Après cinq minutes à cogiter, je sors la liste de la boite à gants et la déplie soigneusement. J’aperçois du coin de l’œil la tête de James se tourner dans ma direction à plusieurs reprises, mais fait mine de l’ignorer. Moins je le regarde, moins je suis tentée. Son parfum qui empli l'habitacle m'embrouille déjà suffisamment l'esprit. Si je m'autorise un moment de faiblesse et que je laisse mon regard errer sur son corps, je suis foutue. Je parcours la page et élimine d’office toutes les lignes impliquant un voyage à l’étranger. On ne va tout de même pas prendre l’avion ? Je n’ai ni passeport, ni bagage. Impossible.
Apprendre à jouer de la guitare. Non, il ne m’aurait pas traîné à l’autre bout du pays pour ça.
Voir une pièce de théâtre. Non plus. Il m’a conseillé de porter des chaussures fermées, une tenue décontractée et d’emporter un rechange. Pourquoi aurais-je besoin d’un rechange pour aller au théâtre ?
Voir l’Ayers Rock ? Encore moins. Il nous faudrait des jours pour y aller en voiture.
Je grogne en refermant la bucketlist. Encore et toujours des surprises et des cachotteries. Non mais qu’est-ce qu’ils ont tous avec cette affreuse manie ? Annie et James s’étaient finalement bien trouvés. Ce dernier m'attrape la lettre des mains en riant avant de la poser sur le tableau de bord face à lui.
— Est-ce que tu veux bien arrêter de réfléchir et rouspéter deux minutes ? La patience, ce n’est pas ton fort hein ? Raille-t-il.
— Non, clairement, je marmonne en croisant les bras et en m’enfonçant dans mon siège.
— On arrive dans moins de trente minutes. Les heures de route en valent la peine, crois-moi, ajoute-t-il avec un sourire radieux.
Notre quota de conversation amicale s’étant épuisé au bout de la première heure de voyage, le reste du trajet se fait dans un silence total. Je jette un œil à mon portable. Presque neuf heures. Nous avons dépassé Noosa il y a dix minutes et je fais défiler dans ma tête la liste des activités potentielles dans les environs. Je soupire, résignée puis ferme les yeux et fini par somnoler. Je suis réveillée par les ballottements de ma tête lorsque la voiture bifurque sur une petite route en terre. Je me redresse, surprise, et inspecte curieusement les environs avant de me tourner vers James.
— Où est-ce qu’on est ? Je lui demande, intriguée.
— Dans l'état du Queensland, répond–t-il. Son regard espiègle croise le mien et je le toise avant de relever un sourcil. Hilarant.
— Très drôle. Où exactement dans le Queensland ?
— Buderim Forest, ajoute-t-il d’un air satisfait.
Je parcours les alentours du regard. La végétation est luxuriante. Les eucalyptus géants de l’autoroute ont fait place aux fougères arborescentes et la forêt qui borde la route est verdoyante. Je ne peux m’empêcher de sourire, émerveillée par la beauté du paysage. Buderim Forest. Ce nom ne me dit absolument rien.
—Alors, pourquoi m’as-tu traîné jusqu’ici ? Deux heures trente d’attente James. Je pense que j’ai mérité quelques précisions, j’insiste en lui servant une tête indignée.
— Deuxième page, troisième ligne en partant du haut, annonce-t-il avec un sourire amusé.
Je déplie la lettre hâtivement et reste figée sur la ligne en question.
Se baigner sous une cascade
— Se baigner sous une cascade ? Je répète tout haut, stupéfaite. Il se contente d’acquiescer d'un hochement de tête, le sourire aux lèvres.
Je souris à mon tour, soulagée. Dieu seul sait quel genre de plan foireux James Carter aurait été capable de nous pondre à la place de celui-ci. Rassurée, je reporte mon attention sur le paysage. Me baigner sous une cascade, ça, je peux faire. Et pour être honnête, l'idée me plait plutôt bien. Au bout de quelques kilomètres, nous passons finalement devant une pancarte verte à la peinture défraîchie sur laquelle est inscrite « BUDERIM FOREST PARK & WATERFALLS ». James se gare sur le parking, enfonce une casquette sur sa tête et descends de la voiture. La chaleur qui m'enveloppe lorsque je sors à mon tour me coupe le souffle. L'atmosphère saturée d'humidité est étouffante. James passe un bras dans la benne et attrape nos sacs à dos. Le sien est plein à craquer et semble peser une tonne comparé au mien, ridiculement plus petit. Il ouvre une des poches latérales pour y ranger ses clés de voiture et en extirpe une feuille, avant de le refermer pour le mettre sur son dos. J'attrape mon sac qu'il me tend à bout de bras et fixe James quelques instants avant de pouffer.
— Rappelles moi combien de temps est censée durer notre randonnée ? Je lui demande, amusée. Il ressemble à une tortue géante avec son énorme sac sur le dos.
— Une semaine ou deux, pas plus - me répond-il avec un grand sourire - Seulement une si tu ne te traîne pas trop, ajoute-t-il avant de me faire un clin d’œil. Il rigole avant de me faire un signe de tête et je lui emboîte le pas en secouant la tête, le sourire aux lèvres malgré moi.
— Est-ce que tu as bien pris quelques habits de rechange ? me demande-t-il en jetant un œil par-dessus son épaule.
J’efface mon sourire avant qu'il ne m'aperçoive et acquiesce d'un simple oui. Je rougis lorsque son commentaire sur mon appétit d'ogresse me revient en mémoire et je m'abstiens de lui préciser que j'ai aussi embarqué une bouteille d'eau, deux pommes, trois barres de céréales et un paquet de chips de patate douce. Il me voit déjà comme une maniaque du contrôle, psychorigide, prude et grincheuse, inutile d'ajouter "goinfre" à cette liste peu réjouissante. Nous nous arrêtons à l'accueil, une petite cabane peinte du même vert que les panneaux de signalisation du parc, et je reste en retrait tandis que James tend le papier qu'il tient dans sa main depuis notre arrivée à l'adolescent maigrichon assis à l'intérieur. Le ventilateur tourne à plein régime et son badge flambant neuf, où est inscrit "Connor" en lettre dorée, pendouille lamentablement sur son T-shirt quatre fois trop large. Je patiente à l'écart en observant les environs avant de me rapprocher.
— Est-ce qu'il faut régler quelque chose ? - Je lui demande mal à l'aise - Mon porte-monnaie est resté dans la voiture mais je peux aller le récupérer si ...
— Ça ira, me coupe-t-il avec un sourire détendu - J'ai déjà tout réglé sur internet. Connor nous file nos passes et on peut y aller. Est-ce que tout est okay mon pote ? Demande-t-il en reportant son attention sur l'adolescent qui a l'air d'être complètement sur une autre planète. Ce dernier, qui nous ignore royalement, fini par déposer trois feuilles sur le comptoir avant de nous énoncer son speech comme un automate.
– Vos deux passes et votre reçu. Le parc ferme ses portes à 17h00 et il est interdit d'y nourrir les animaux. Vous trouverez une carte sur le présentoir à votre droite. En cas de problème, un numéro d'urgence est indiqué au dos de votre passe. Buderim Forest Park and Waterfalls est ravi de vous accueillir et vous souhaite la bienvenue ainsi qu'une excellente visite, finit-il d'un ton morne avant de reporter son attention directement sur son smartphone.
Je jette un regard amusé à James qui semble au bord de l'éclat de rire. Nous saluons notre agent d'accueil en herbe en essayant de garder notre sérieux, attrapons deux cartes et entamons la marche.
— Merci pour l'entrée, je marmonne gênée.
— Aucun souci, répond-t-il en hochant la tête. L'idée de lui être redevable me contrarie et je ne peux m’empêcher de rétorquer d'un ton autoritaire.
— Je financerai la prochaine dans ce cas, et inutile de négocier !
Il sourit avant d'abdiquer et lève les deux mains en l'air.
— Comme tu voudras, répond-il en riant. Satisfaite de ma mini victoire, je continue en fronçant les sourcils.
— Pourquoi as-tu choisi ce parc ?
Il réfléchit quelques secondes et fini par hausser les épaules.
— J'adore marcher. Les randonnées, courir, tout ça...c'est mon truc. J'ai testé la plupart des parcs dans les alentours et j'aime particulièrement celui-ci.
Je l'observe quelques secondes, le souffle coupé par l'apollon sous mes yeux. Ses traits sont parfaits, sa peau bronzée et son allure d'une sérénité déconcertante. Je suis intimidée par son charme et sa prestance. Il semble tellement sûr de lui. En même temps, pourquoi ne le serait-il pas avec ce sourire dévastateur et ce physique à tomber par terre ? Physique entretenu par la course à pied, si j'en crois sa dernière confession. Des flashs des dernières semaines me reviennent soudains en mémoire. Je revois James rentrant le soir à la maison en tenue de sport, les cheveux humides, son corps luisant de sueur et ses muscles encore contractés par l'effort. J'avale ma salive et détourne la tête en sentant la chaleur me monter aux joues.
— Tu es déjà venu ici alors ? Je lui demande d'un ton faussement détaché pour tenter de cacher mon embarras. Je fini ma phrase et me mords la langue en percutant qu'il vient de me dire qu'il adorait cet endroit.
Non mais quelle idiote ...
— Oui, plusieurs fois. Les Serenity Falls sont magnifiques, tu vas adorer, j'en suis sûr, répond-il simplement sans relever mon manque d'attention.
Un léger sourire étire ses lèvres et il me sonde quelques instants, visiblement parfaitement conscient de la raison de ma gène. Déstabilisée par son regard inquisiteur, je rougis pour de bon et détourne de nouveau les yeux. Lorsque je retente une œillade dans sa direction, ce crétin affiche un énorme sourire et son regard pétille de malice.
— Quoi? Je lui lance en fronçant les sourcils.
Bin voyons, tu oses jouer la carte de l'innocente ? Tu t'es fait griller ma vieille, laisses tomber.
— Rien, rien… Répond-il en souriant d’un air ravi, avant d'accélérer légèrement le rythme.
Je dois me rendre à l'évidence, je suis carrément mauvaise à ce petit jeu. J'ai toujours été incapable de cacher mes émotions et à mon grand dam, James semble être plutôt doué pour décrypter mes pensées.
Au bout d'un quart d'heure de marche, il me montre du doigt un panneau bleu nous indiquant la direction des Serenity Falls et nous sortons du chemin goudronné pour bifurquer sur notre droite. Nous entamons un sentier légèrement escarpé et je le suis, en prenant soin de laisser deux mètres entre nous. Les minutes passent et j'ai beau faire tous les efforts du monde pour me concentrer sur la végétation magnifique qui nous entoure, mon regard revient inexorablement se poser sur James.
Maudits soient-ils, lui et ses fesses magnifiques.
Complètement effarée par mon comportement et ma nouvelle obsession fessière, je ferme les yeux en me rabrouant intérieurement et manque de trébucher en me prenant les pieds dans une racine. Un couinement s'échappe de ma gorge tandis que mes yeux s'écarquillent de surprise. J'aperçois le bras de James me rattraper de justesse. Il se penche légèrement en me cherchant du regard, inquiet.
— Est-ce que ça va ? S’enquiert-il.
— Oui, désolée, je ... je n'ai pas regardé où je mettais les pieds, j'avoue en bégayant. La chaleur de ses doigts enroulés autour de mon bras m'envoie une décharge électrique et ma respiration s'emballe lorsque sa deuxième main vient se poser sur mon épaule.
— Tu ne t'es pas fait mal ?
Je déglutis avant de me dégager poliment de son étreinte et me redresse, mal à l'aise et honteuse. Je me sens poisseuse. Et maladroite. Nous marchons depuis une demi-heure et je sue déjà à grosses gouttes. Mon regard se pose sur le col en V de son T-shirt gris, et suis rassurée de voir qu'il est trempé de sueur, lui aussi.
— Ouais... enfin, non ... je vais bien, merci.
— Okay. On devrait s'arrêter pour boire un peu, il nous reste environ une heure de marche jusqu'au point de vue.
Il pose un genou à terre, descend son sac de ses épaules d'un geste souple et l'ouvre pour en sortir une gourde d'eau qu'il me tend directement.
— Euh non merci, j'ai ma bouteille... je lui réponds en grimaçant.
Il me regarde avec un sourire amusé, ouvre la gourde en ignorant mon refus et me la tends de nouveau.
— Tu ne mélanges pas ta salive, c'est ça ? Je crois qu'il est un peu tard pour ça ma chère , ajoute-il d'un ton moqueur.
Je lève les yeux au ciel avant d'attraper sa gourde. Malgré ses railleries, je prends le temps d'essuyer le goulot avec mon débardeur avant de boire, puis la lui rend, comme si de rien n'était. Il secoue la tête en riant, avant d'avaler une longue gorgée à son tour.
— Est-ce que tu veux faire une pause ? me demande-t-il en se redressant après avoir ranger la gourde dans son sac.
— Non, merci, ça ira...
— Okay, répond-t-il simplement, sans insister d'avantage. Il retourne sa casquette pour la mettre à l'envers, attrape le bas de son T-shirt des deux mains et d'un seul geste, le passe par-dessus sa tête. Son torse bronzé est moite de sueur et je fixe, complètement hypnotisée, ses muscles se contracter tandis qu'il enfonce le tissu en boule dans son sac.
Oh. Mon. Dieu.
Son pantalon tombe bas sur ses hanches et mes yeux restent scotcher quelques secondes supplémentaires sur la bande de son caleçon qui dépasse de son short.
— T’es prête ? me demande-t-il avec entrain, son éternel sourire ravageur peint sur le visage.
Je sursaute et referme précipitamment la bouche avant de me pencher en faisant mine de rattacher mes lacets.
— Euh ouais, je te rattrape ... Je bredouille en gardant mon regard scotché sur mes chaussures.
Je relève la tête en l'entendant repartir et observe la bouche sèche le postérieur parfait qui s'éloigne devant mes yeux...
***
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