Chapitre 25 : Cours de conduite
HANNAH
- Premièrement, les mains sur le guidon.
James attrape mes doigts et les enroulent autour des poignées.
- Tiens-le fermement, sois sûr de toi. Comme ça.
J'avale ma salive et écoute attentivement ses instructions.
- Deuxièmement, assure-toi d'être au point mort. Ton embrayage est sur ton guidon, à gauche. Serre-le chaque fois que tu passes une vitesse. Le sélecteur de vitesse est à tes pieds, à droite.
Mon cœur a un loupé lorsqu'il passe sa main sous ma cuisse pour soulever ma jambe et la poser sur le levier en question.
- Embrayes à fonds, appuies sur ton sélecteur pour passer la première vitesse. Bien. Maintenant tournes légèrement l'accélérateur vers toi en débrayant.
La moto sursaute brusquement avant de caler deux mètres plus loin. Je pousse un petit cri étouffé et bafouille une excuse.
- C'est pas grave. Tu as lâché l'embrayage trop vite. On recommence.
Sa voix est calme et profonde. Son souffle caresse mon oreille. Est-il possible d'ovuler rien qu'en entendant la voix d'une personne ? Je pourrais l'écouter m'expliquer patiemment l'art de conduire une moto pendant des heures. La sensualité qu'il dégage à cet instant est insoutenable.
Deux tentatives plus tard, j'arrive enfin à démarrer et faire rouler la moto sur plusieurs mètres. Nous faisons quelques tours dans le parking avant de nous éloigner un peu de la foule pour pouvoir passer la seconde. La proximité de son corps me limite considérablement dans mes capacités. Je crois que je m'en tirerais bien mieux s'il n'était pas serré contre moi. Mon équilibre est précaire et ma concentration, pitoyable.
Nous nous arrêtons finalement après un quart d'heure de cours de conduite et James coupe le contact avant de me servir le sourire le plus éblouissant qu'on puisse imaginer.
- Tu as été parfaite.
Je suis sur le point de me liquéfier. Une flaque d'Hannah.
Mon cœur bat la chamade, ma vision se brouille et je sens la chaleur envahir mes joues.
- Merci. Je bafouille en soutenant son regard, incapable de le quitter des yeux.
Je ne saurais deviner ce qu'il pense à cet instant. Son regard est pétillant de fierté mais ses pupilles n'ont jamais été aussi sombres et impénétrables. Pour une fois, son sourire semble authentique, dépourvu de sarcasme ou d'humour.
Il me fixe de longues secondes, ses yeux parcourant mon visage comme si j'étais une œuvre d'art. Son sourire heureux est contagieux et je lui souris en retour avant de détourner le regard, les oreilles sifflantes et les joues en feu.
Je suis à deux doigts de m'évanouir.
Nous quittons le parking, quelques minutes plus tard, et la tête contre son épaule, je me laisse bercer par le ronronnement du moteur en appréciant au maximum les dernières secondes de bonheur pendant lesquelles j'ai une excuse valable pour être collé à son corps.
***
Couché sur mon lit, je palpe ma poitrine, les sourcils froncés. Je pense avoir fait ma première crise de tachycardie aujourd'hui. Mon corps ne s'est toujours pas remis de ses émotions. J'ai les mains moites. Mes jambes sont flageolantes comme si j'avais couru un marathon et ma poitrine est sur le point d'exploser au simple souvenir de notre petite promenade.
Je préfèrerai me raser les deux sourcils plutôt que d'avouer à James que cette virée a été une des après-midi les plus agréable et intense de ma vie. Sentir la puissance du moteur, le vent sur ma peau. La chaleur de son corps robuste si près du mien.
L'odeur divine de son parfum est encore imprégnée dans mon tee-shirt.
Si James se reconvertissait en professeur d'auto-école, le taux de réussite de ses élèves féminines serait quasi-nul. Tout d'abord parce qu'il est impossible de se concentrer ni de retenir quoi que ce soit lorsqu'un homme comme lui vous susurre à l'oreille des instructions d'une voix aussi sexy.
Et surtout parce que toutes les nanas louperaient volontairement leurs examens histoire de bénéficier de cours de conduites supplémentaires.
Résister à l'envie de l'embrasser cette après-midi a été une véritable torture.
Il y a des jours comme aujourd'hui où je déteste ma conscience.
Moi et mes bonnes résolutions... Je mériterai des baffes.
Je grogne, attrape mon téléphone et m'assois sur mon lit. Je dois agir pour remédier à cette situation avant que toute cette histoire ne dérape et échappe définitivement à mon contrôle. Je déverrouille l'écran et fixe mon fond d'écran d'un air torturé. Pourquoi est-il si difficile de composer dix petits chiffres. Mon pouce flotte au-dessus de l'écran, à quelques millimètres de la touche d'appel. Après une profonde inspiration, j'appuie sur le bouton vert. Cinq tonalités, six, sept, avant qu'il ne décroche enfin.
- ... Allo ?
- Salut Justin. Je te dérange ?
- ... Hannah ?
Bien sûre Hannah, qui d'autre est inscrit dans son répertoire au nom de "chaton"? Je ne réponds pas, irritée.
- ça fait une éternité...
Je ne saurais dire si son ton est empreint de culpabilité ou de reproche.
- Ouais, j'ai eu pas mal de choses à régler en arrivant à Hervey Bay. Comment ça va toi ?
- ça va. Je suis... content de t'entendre. J'allais justement t'appeler pour te demander comment s'était passé ton déménagement.
Mais bien sûr...
- Tout s'est bien passé, je mens. Je suis contente d'être rentré. Même si c'est bizarre d'être ici sans Annie.
- Oui, j'imagine...
Le silence à l'autre bout du fil est oppressant.
- En fait, je t'appelle parce que je voulais qu'on discute d'une chose importante.
- Ouais... le truc que je suis un peu occupé là. Est-ce que je peux te rappeler plus tard ? J'ai un compte rendu à rendre et j'ai rendez-vous dans 1h avec un client.
Je soupire, agacée.
- Justin, je n'en ai pas pour longtemps. On doit vraiment discuter. On ne s'est pas vu depuis des mois. Tu ne réponds jamais à mes messages. On ne s'appelle plus, je crois ...
- Je te rappelle ce soir, promis.
- Attends, Justin, je ...
- Je t'embrasse poussin. Je t'aime.
Je fixe la fenêtre face à moi, hébétée, le téléphone toujours collé à l'oreille.
Je t'embrasse poussin ? Je lui en foutrais des poussins. S'il était en face de moi, je lui balancerais mon iPhone dans les dents. Ce type a l'art et la manière de me raccrocher au nez poliment. J'ai besoin de clore ce chapitre de ma vie, de tourner la page pour pouvoir enfin redémarrer à zéro. Je voudrais être capable de rompre avec mon petit ami de longue date comme un être humain décent, mais l'intéressé ne me facilite pas vraiment la tâche. Puisque le face à face et le téléphone semble impossible, il ne me restera bientôt qu'une seule option. Le SMS.
Pas de silence gêné. Pas de crise de larmes ni insulte à gérer.
Cette possibilité me semble soudain très alléchante.
Exaspérée, je me laisse retomber sur mon lit et hurle une brochette de grossièretés, le visage collé à mon oreiller en tapant des pieds. Ce soir, j'étais censée être de nouveau célibataire, apaisée et libre comme l'air. Au lieu de ça, je suis frustrée et toujours piégé dans ce couple qui n'en est plus un depuis des lustres. Je lui accorde un délai de 24h pour me rappeler, faute de quoi, il devra se contenter d'une rupture inhumaine par message.
Je pose mon portable sur ma table de chevet en pestant contre mon imbécile de petit ami, le met à charger et file sous la douche. L'eau brulante apaise ma colère, ma frustration et mes angoisses. Je reste sous le jet plus longtemps que je ne le devrais et coupe finalement l'eau en pensant à la douche froide que James risque de savourer ce soir par ma faute. Lorsque j'arrive au rez-de-chaussée, celui-ci est en train de déballer des sacs de courses pleins à craquer sur le comptoir de la cuisine. Il me regarde arriver et me salut d'un sourire.
- Tu fais une crise de boulimie ou quoi ?
Les poches débordent de cookies, briquettes de jus de fruit, marshmallow, bonbons au caramel et chips en tout genre. Il rigole en contournant le comptoir pour aller récupérer des verres et assiettes en plastique dans un des placards.
- Ma sœur organise un feu de camp sur la plage. Ce soir, mes nièces jouent les chefs cuistot. Marshmallows grillées au menu. Ajoute-t-il en secouant la boite de pic à brochette dans sa main comme des maracas.
- Beurk. Je rétorque en fronçant le nez.
J'ai horreur de marshmallows grillés.
- Ça te dirait de venir avec nous? Continue-t-il en ignorant ma grimace.
- Merci mais non merci. Je ne connais pas ta sœur. Je ne voudrais pas m'incruster.
- Tu ne t'incrustes pas. Je viens de t'inviter. Ça fait du bien de rencontrer de nouvelles personnes de temps en temps tu sais ? Et puis, je suis fatigué d'être le seul à me faire tresser les cheveux. Mon cuir chevelu te serait reconnaissant si tu acceptais de venir pour souffrir à sa place.
Je glousse en m'asseyant sur un des tabourets. J'observe James s'affairer dans la cuisine en l'imaginant avec des dizaines de petites couettes sur la tête.
- Est-ce que je peux savoir ce qui t'amuse ? M'interroge-t-il avec un sourire en coin.
- Je t'imagine avec des élastiques multicolores dans les cheveux. A la réflexion, je vais peut-être accepté de venir, à la condition que je puisse participer à ta torture moi aussi.
- Je suis sûre que mes nièces accepteront de te faire une petite place. Il me jette un regard espiègle avant de s'en aller vers la buanderie. Lorsqu'il revient avec une petite glacière dans les bras, son sourire s'étire largement en croisant mon regard.
Par tous les saints, être aussi mignon devrait être interdit.
- Thé glacé ? Soda ? Café ? Tisane ? Je crois que le thermos est par là... Ajoute-t-il en s'agenouillant pour ouvrir une des portes sous l'ilot central.
- Ne t’emballe pas. Je ne t'ai pas dit oui.
- Je sais. Mais j'essaie de te convaincre là. Avec un peu de chance, tu vas finir par céder. Rétorque-t-il, sa tête toujours enfouie dans le placard.
- Il se peut que j'accepte de faire l'effort de te supporter encore quelques heures...
Sa tête émerge au-dessus du plan de travail, son regard plein d'espoir.
- A une seule condition : JE choisis la prochaine ligne sur la liste. Et j'apporte mon maquillage pour que tes nièces puissent assortir les élastiques de tes cheveux à ton fard à paupières.
Son sourire s'étire jusqu'aux oreilles.
- Marché conclu.
***
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