Chapitre 2 - Juste un verre entre ami

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Agence de détective IronHead, Orée du « Terrier »

Mercredi 12 Octobre 1843, début de soirée

-G-

Les derniers rayons de soleil fusèrent derrière les bâtiments de la ville, laissant le bureau du détective dans une luminosité précaire. La pendule sonna dix-neuf coups, signe qu'il était temps de partir de l'agence. Grundal encore assis à son bureau, regarda l'heure interpelé par la sonnerie qui retentissait.

Les fichiers sur le bureau furent joint à une sacoche en cuir que le détective prit avec lui. Juste le temps de mettre une protection devant la cheminée et il avait quitté la pièce pour rejoindre le petit meuble orné de patères à l'entrée.

C'était là que son vieux manteau marron était accroché, ainsi qu'un autre plus petit. Ne pouvant se résoudre à le jeter, ce dernier présentait quelques impacts de balles au niveau de la poitrine. Il enfila son habit tout en observant les marques de sang séché qui imprégnaient l'autre vêtement.

Le tapis retrouva sa place derrière la porte, une habitude que Grundal avait prise pour s'assurer à son retour que personne ne s'était introduit dans l'agence. Une mesure de sécurité simpliste mais efficace car personne ne pensait à ce détail. Son chapeau melon posé sur sa tête, il s'élança dans la rue.

Les vieux mendiants, que l'Aristocrate avait dévisagé, étaient toujours là, autour de leur feu, scrutant avec insistance le rat qui cuisait doucement. Il les reconnaissait tous, chacun gardant un stigmate de leur vie passée, comme l'un d'eux qui portait un vieux haut de forme troué.

Fut un temps, les miséreux se cachaient dans les petites allées, mais maintenant, ils ne prenaient plus la peine de se cacher, signe de l'échec d'un système aujourd'hui obsolète.

Grundal avait au fond de lui la naïve impression d'apporter un peu de justice au milieu de ce chaos.

L'une des voitures qui passaient dans la rue aperçut le détective au bord de la chaussée, la main levée. Doucement le cochet tira sur ses rênes, stoppant les chevaux à quelques mètres, puis fit signe d'entrer. Le nain jeta un dernier regard aux alentours, tout en tassant son tabac au fond de sa vieille pipe en bois.

- Ou allez-vous monsieur ? Demanda poliment le cochet.

- Le comptoir à Dédé, dans le Terrier, répondit-il tout en rentrant dans la voiture.

Les vagues de fumée qui émanaient de son brule-gueule s'échappaient par le hublot, voilant légèrement le paysage qui changeait petit à petit.

Pendant son trajet, le détective eut le temps de repenser aux derniers évènements : des manifestations qui s'étaient produites près des mines de charbon. Les mineurs avaient protesté pour la première fois contre leurs conditions de travail. Jusqu'à présent, les citoyens n'avaient jamais éprouvé de rancœur aussi profonde envers la classe dirigeante, mais l'envie de faire encore plus profit dans un contexte aussi critique montrait un manque de considération notable pour la classe populaire.

Il fallait voir dans quoi ils devaient habiter.

Ici, les immeubles du Terrier étaient dans un état déplorable, et tenaient uniquement grâce à des contreforts en bois. On pouvait croire que le quartier tout entier allait s'effondrer d'un moment à l'autre. Pourtant, nombreux étaient les citoyens qui habitaient ici, en témoignaient les vêtements pendus au dessus de la chaussée et les fumées qui s'échappaient des immeubles. Des familles, des mendiants, des dépravés, Grundal pouvaient les deviner d'un simple coup d'oeil à travers la vitre.

Le quartier était bien loin du palais sénatorial et de sa luxure.

Résultat, les seuls ouvriers qui travaillaient ici œuvraient surtout pour le bien des bourgeois avec la construction de larges passerelles en fer qui surplombaient les rues, et ce depuis le projet de réalisation d'une nouvelle ligne de chemin de fer au sein de la ville.

Doucement, la calèche s'arrêta le long d'un trottoir. C'est alors que deux tocs retentirent sur le toit du véhicule signifiant qu'ils étaient arrivés à destination. L'odeur de la rue qui rappelait celle des égouts en était la preuve : les dernières pluies avaient surement fait déborder les fosses d'assainissement.

Grundal, avec le temps, n'y prêtait même plus attention. Il y était habitué à force de travailler ici. Le seul désagrément auquel rien ne pouvait l'habituer était l'état déplorable des routes. L'humidité et la fiente se trouvait dans chaque morceau de terre qui recouvrait les pavés, et il allait devoir y mettre les pieds car le cocher avait eu la « bonté » de le déposer de l'autre côté de la chaussée. Le nain laissa échapper un souffle d'exaspération avant de traverser la route.

Au moins le lieu de rendez-vous se trouvait en face de lui, un taudis qui se vantait d'être un bar, et où l'enseigne qui fût un jour suspendu au-dessus de la porte servait désormais de paillasson à l'entrée.

« Quelle est l'utilité d'avoir une belle devanture quand les seuls clients sont tous des habitués ? » pensa-t-il en soufflant à nouveau sa fumée.

L'intérieur confirma ses pensées, les tables ainsi que toute la décoration avaient un air de fait maison. Cela donnait un style très simpliste voire campagnard, très à l'image de la psychologie des citoyens du quartier : « se débrouiller pour survivre ». Aucune attention n'était portée au confort. Pas de coussin sur les assises, rien.

Peu de clients se trouvaient là. Surement les habitués du lieu pensa le nain, mais Mira n'y figurait pas. Quelques ivrognes rigolaient aux éclats dans un coin en jouant aux dés. Il semblait que l'un d'eux avait perdu tout son argent. D'autres, sur une table voisine, discutaient. En passant, Grundal entendit l'un d'eux expliquer un jeu dont des règles semblaient avoir ni queue ni tête. Le peu qu'il put comprendre évoquait l'utilisation de boisseaux de blé en cas d'absence de dés.

Arrivé en face du comptoir, il fit signe au gérant pour lui commander une bière. C'est alors qu'il remarqua un orc d'âge mur, assis au comptoir à quelques mètres de lui.

Contrairement à beaucoup d'orc, celui-ci avait gardé la musculature qui faisait la gloire des premiers habitants des steppes. Au delà du physique, ce qui étonna notre nain c'est que ses vêtements n'étaient pas en accord avec l'établissement. Le costume noir qui l'accoutrait était en excellent état, et le foulard qui lui entourait le cou était d'une blancheur rarement visible aussi profondément dans le Terrier.

« Encore un bourgeois en quête d'aventure », pensa le détective.

Le contenu de son verre avait l'air de le captiver car il ne daigna même pas tourner la tête dans sa direction.

Une fois servi, le détective jeta un regard à son verre. Pas la peine de s'imaginer par quel moyen le propriétaire réussissait à se fournir en alcool, et mieux valait ne pas y penser. Il prit place à une table à l'écart, non loin de l'âtre où un feu crépitant chauffait doucement la pièce.

---

-M-


Après une bonne heure, Mira entra dans l'établissement accompagnée du couinement de la porte. D'un simple coup d'oeil, elle reconnut son ami, un verre de bière à la main. Sa chevelure brune était cachée sous un chapeau gavroche. D'une carrure élancée, elle portait toutes les marques des personnes qui vivaient dans la rue : des vêtements masculins noircis par la terre et la suie cachant au passage ses attributs féminins.

A la vue du détective, son regard s'illumina. S'approchant de la table, elle saisit le verre des mains de Grundal et vida son contenu.

- Bonjour à toi aussi Mira, lacha Grundal une fois le verre reposé.

La jeune femme fit un signe au barman d'apporter deux autres verres, puis s'assit en face au nain.

- Désolé, mais j'avais la gorge sèche, répondit-elle, j'ai dû courir pour arriver à l'heure. Et puis tu fais appel à mes services, normal que je prenne un petit acompte.

- Dois-je te rappeler ma petite que ton ardoise est encore bien fournie, le premier délit couvert remontant... Hésita le détective en sortant un petit calepin de son manteau. A 2-3 ans, si je ne me trompe pas ?

- Je pensais qu'il y avait prescription avec les vieilles dettes ! dit-elle en faisant la moue. Et puis, tu pourras en rajouter une, car je risque de venir à l'Agence bientôt. Il devient difficile par les temps qui court de vivre du vol.

- Tu sais, tu pourrais travailler honnêtement pour l'agence, proposa le détective.

Mira fixa son ami dans les yeux, vérifiant qu'il ne s'agissait pas d'une blague. Mais non, il était sérieux.

- Non merci... Je sais que tu veux bien faire mais je ne suis pas faite pour rester derrière un bureau, et puis à part pour ranger ton bordel, je te suis plus utile de l'autre côté de la rue.

- Tu ne serais plus obligée de voler pour vivre, retorqua le nain. Et moi, je n'aurais plus à te couvrir.

Le barman s'approcha avec deux nouvelles chopines, que Mira scruta depuis sa place. Elle attendit que l'homme les eût posé, et qu'il s'en retourne à son comptoir, avant de reprendre le fil de la discussion.

- Bref en quoi puis-je vous être utile mon cher, dit-elle profitant de cet interlude pour éluder le sujet.

Grundal souffla un coup .Mira avait à coeur de ruiner ses tentatives de persuasion quand il s'agissait de changer sa condition.

- J'aurais besoin de toi au sujet de plusieurs disparitions. Enfants, adultes, il y a de toutes les ethnies et toutes les catégories sociales.

- Tu nous prends pour la maréchaussée Grundal ? Des gens disparaissent tous les jours, tu devrais le savoir.

- Je ne rigole pas Mira, répondit sèchement le détective. Les gens font de plus en plus appel à moi pour des affaires similaires. Et on parle pour la plupart de personnes qui n'ont pas de faits criminels, ni contacts avec la pègre du Terrier. J'aimerais donc savoir s'il existe un facteur commun, c'est pourquoi j'ai besoin d'un maximum d'informations sur les disparus.

-  Tu lis un peu trop les journaux...

La porte de l'établissement couina, un elfe maigrelet entra timidement avec un sac en bandoulière. Son manteau était beaucoup trop propre pour le quartier, détail qui semblait important car il captait l'attention du détective. Il semblait chercher quelqu'un dans la salle. Après un instant d'analyse, l'individu s'avança en direction du comptoir.

Mira, énervée, claqua des doigts devant les yeux du nain. Son regard se posa à nouveau dans sa direction.

- Oh tu m'écoutes ? dit-elle sèchement.

Grundal, à ses mots, nia d'un mouvement de tête. Cela l'énervait quand il faisait ça, mais surement qu'il ne pouvait pas s'en empêcher. En signe de mécontentement, elle s'enfonça dans son siège les bras croisés.

- Voici quelques affaires sur lesquelles tu pourrais m'aider,déclara-t-il en sortant quelques dossiers de sa sacoche. Tu pourrais faire ça s'il te plaît ?

Mira fixa le nain un bref instant, puis, après un petit grognement, attrapa et feuilleta rapidement le tout. Un mendiant, un barman, des ouvriers, un banquier... Aucun point commun en apparence.

- Écoute je vais voir ce que je peux faire, souffla-t-elle. Mais honnêtement, tu as pensé à Big B ?

- Enlever autant de personnes, sans raison apparente ? Je ne pense pas... Encore cette après-midi, on m'a signalé la disparition d'une fillette des quartiers riches, répondit le nain tout bas. Il a le gouvernement aux trousses Mira, ça m'étonnerait qu'il veuille se faire remarquer plus qu'il ne le fait déjà.

- Admettons... Mais pour ceux qui habitent dans le Terrier, dit-elle en retournant le dossier du barman, c'est bien connu qu'ils payent un impôt à Big B contre sa "protection".

- C'est pourquoi j'aurais besoin que tu te renseignes sur eux, pour démêler les affaires qui sont en rapport avec la pègre et celle qui le ne sont pas.

C'est alors qu'un grognement provint du comptoir. Le vieil orc, qui s'y trouvait, s'était levé de son siège, menaçant l'elfe chétif à ses cotés.

- Et tu oses venir avec ça ? Tu sais ce qu'il va t'arriver, hurla-t-il d'une voix rauque.

Il attrapa le pauvre au col. Le maigrelet balbutia quelques mots, complètement terrorisé par les menaces.

- Je n'appelle pas ça une excuse ! hurla le vieillard.

D'un mouvement ample, il le projeta contre une table. L'elfe s'écrasa lourdement sur le meuble qui céda.

Grundal se pencha afin de voir l'action. Mira quant à elle remarqua qu'un petit objet s'était échappé des mains du bagarreur et avait volé à travers la pièce. Le gérant qui était resté silencieux jusque-là montra alors son désaccord.

- Eh la ! Vous allez me repayer cette table ! Si vous voulez vous battre, c'est dehors que ça se passe !

A ces mots, le vétéran sortit un six-coup de son manteau et le pointa en direction du tenancier.

- Si tu bouges d'un pouce, il n'y aura pas que la table qui aura besoin de réparation, dit calmement l'orc.

L'homme leva immédiatement les mains au ciel, surpris par l'arme pointée vers lui.

- Non s'il vous plait, j'ai des enfants... supplia-t-il en bégayant .

Mira, qui n'y prêtait pas attention, se leva doucement et s'approcha avec curiosité de l'objet source de dispute. Une fois en main, elle fut étonnée et déçue de voir qu'il n'avait rien de rutilant. Au contraire, cela ressemblait à une pierre ordinaire hormis sur une face ou on pouvait y apercevoir une sculpture en métal : deux serpentins géométriques qui s'entrelaçaient aux contours d'un cercle.

Trop occupée par l'identification de sa trouvaille, elle ne prêta pas attention à l'individu qui s'approchait dans son dos. C'est quand une main vint lui attraper violemment l'avant-bras qu'elle se rendit compte de son erreur.

- Donne-moi ça poupée ! Je n'ai pas envie de te faire du mal, dit l'orc calmement.

- C'est moi que tu appelles poupée ? répondit Mira furieuse.

Elle avait horreur ce genre de propos. Et cela, le vieillard le comprit bien vite lorsqu'elle lui assena habilement un coup de genou dans l'entrejambe.

Souffrant, ce dernier tituba quelques mètres en arrière pour mettre un genou à terre, tout en profanant quelques injures. Enervé, il voulu la mettre en joue.

- N'Y PENSE MêME PAS ! cria Grundal en percutant l'orc d'un violent coup d'épaule.

Néanmoins, le choc n'empêcha pas le tir de partir. Par chance l'intervention du nain l'avait dévié, en plus de désarmer le roublard. La vitre du fond se brisa et des cris en provenance de la rue retentirent, comme en réponse à la détonation. Le barman avait disparu, surement qu'il s'était empréssé d'aller alerter la maréchaussée.

L'orc se releva rapidement pour assener un crochet au détective. Coup que Grundal détourna habilement.

Profitant de la rixe, Mira remit sa chemise en place, tapota tranquillement son pantalon, puis ramassa à nouveau la pierre pour la ranger dans sa sacoche. Il fallait qu'elle l'expertise pour connaitre sa valeur. S'ils se battaient pour elle, c'est qu'elle devait en avoir.

L'elfe maigrichon qui venait de reprendre connaissance s'approcha à quatre pattes, tremblotant, et attrapa le bras de la voleuse.

« C'est une manie ! » pensa-t-elle.

- S'il vous plaît Mademoiselle, balbutia-t-il avec une voix choquée, vous devez me rendre cet objet ! Il en va de votre vie et de celle de votre ami !

Un rugissement survint de la bataille, puis le fracas d'une autre table qui se brisait. Mira ne prêtait pas attention au combat mais l'un des combattants avait du voler à travers la pièce.

- De notre vie, carrément, répondit Mira ironiquement.

- Vous ne comprenez pas combien de personnes veulent cet artefact ! lâcha l'elfe la voix vacillante.

Malheureusement pour ce dernier, ces derniers mots ne firent qu'attiser la curiosité de la voleuse.

- Ne t'inquiète pas mon ami ! déclara-t-elle en esquissant un sourire diabolique. Ta pierre est entre de bonnes mains !

- Non... vous ne comprenez pas... lacha l'aristocrate avant de recevoir un coup de chopine sur la tête.

Le pauvre tomba au sol inconscient.

« Pas résistant ces hommes » pensa-t-elle amusée.

De l'autre coté de la pièce, le combat s'éternisait et chacun avait pris son lot de torgnoles. Quelques ivrognes les avaient même rejoint entre temps. Seulement, eux, semblaient avoir l'envie d'en découdre gratuitement, peut être pour se passer les nerfs.

Mira regardait la scène, assise sur le coin d'une table, tout en buvant le contenu de sa chopine. Elle regardait avec amusement les verres voler, les chaises se fracasser. Grundal avait l'air de s'en sortir à merveille.

Tout d'un coup, son sourire s'échappa lorsqu'elle aperçut à travers la fenêtre, une large plume rouge.

- Merde... la garde... laissa-t-elle échapper.

Son instinct de survie parla, et elle se décida à prendre la poudre d'escampette. La garde l'avait déjà coincé par le passé, et elle n'avait aucune envie de réitérer l'expérience. Surtout que quelques motifs d'arrestation planait encore au dessus de sa tête.

Ce n'est pas Grundal, dans la situation actuelle, qui allait pouvoir faire quelque chose. Un bref regard derrière le comptoir lui permit de voir une porte menant à l'arrière dans les ruelles avoisinantes. Elle se dirigea d'un pas tranquille vers la sortie, saluant par politesse son ami quand il passa près d'elle, le visage sanguinolent, pour attraper un tabouret. Mais il ne l'avait pas remarquée, son regard féroce tourné vers le vieil orc et le coup violent porté avec le mobilier en était la preuve.

C'est à petite foulée qu'elle emprunta la porte arrière pour fuir dans les tréfonds du Terrier.

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