Parc de la révolte,

Jeudi 13 Octobre 1843, Début d'après-midi

-G-

Voilà une heure qu'ils avaient quitté les égouts, par une sortie que peu de gens trouveraient conventionnelle. En effet, les plaques d’égouts n’étaient jamais ouvert d'ordinaire. Alors quand les riverains virent s'ouvrir l'une d'elle, au beau milieu de la chaussée, avec en plus de cela, un elfe et un nain en sortir, nombreux étaient les regards interrogateurs, moqueurs, ou alors dédaigneux, tournés vers eux.

Grundal entendit les petits commentaires de certains sur l'odeur, la saleté ou l'explication de leur présence dans les égouts. Ce besoin irrémédiable de juger les gens le fatiguait... C'est pourquoi ils remirent la plaque en place puis marchèrent en direction de l'Académie.

Simbad voulait absolument rejoindre Molok, pour le prévenir qu'ils avaient fini d'enquêter, mais aussi pour préparer les papiers pour le musée.

Grundal profita alors de ce temps d'absence pour nettoyer son manteau ainsi que son pantalon. Leur court séjour sous terre avait laissé quelques traces de suie, de rouille et de terre. Le temps se faisant long, il put également sortir son tabac pour fumer tout en admirant les larges grilles de l'Académie.

Au bout de la rue, un jeune orc, debout sur une caisse de bois, criait les dernières nouvelles, tout en désignant la première page d'un journal.

A ses pieds, une petite humaine l'accompagnait, parée d'un chapeau gavroche et des vêtements beaucoup trop grand. Elle pliait soigneusement les journaux, accroupi sur le sol, avant de les donner aux citoyens qui passaient.

Le détective s'approcha en cherchant au fond de ses poches quelques pièces. Il remarqua le regard joyeux de la jeune fille, ainsi son application dans sa tâche. Elle était contente d'être au beau milieu d'une rue détrempée à plier des tissus d'inepties. D'Être payée trois sous par des compagnies qui en gagnait cent fois plus...

« Navrant ! » pensa le détective.

Son brule-gueule entre les dents, il donna un "Arian" dans l'urne prévue pour le journal et lâcha deux autres pièces directement dans la main des travailleurs. Surpris, les enfants acceptèrent sans rechigner et lui offrirent leur plus beau sourire en plus de leurs remerciements.

C'était surement tout ce qu'ils pouvaient lui offrir, mais ça lui suffisait.

Rejoignant son poste devant les grilles, il déplia la gazette, crachant un large nuage de fumée entre ses dents. Les nouvelles n'étaient pas aussi joyeuses...

En effet, les premières pages parlaient uniquement des fameux monstres qui sévissaient en ville, gratifiant au passage de dessins tous plus rocambolesque les uns que les autres. Tous avaient des proportions démesurées : des bras immenses, des dents aussi longues que des doigts, des griffes aiguisés. Aucun ne ressemblaient à une espèce connue...

Seulement un détail concordait entre chaque... Les yeux... L'imprimerie avait réussi, par un procédé ingénieux, à les colorier d'un rouge vif.

Soufflant à nouveau son tabac, il tourna la page afin de lire les fameux témoignages.

-  Deux agressions... Qui se sont passées durant la nuit dans le quartier des artisans, marmonnait Grundal en lisant l'article en diagonale. Près de la grande fontaine. La police soutient qu'aucun mort n'est à déplorer. Certains riverains ont tout de même aperçu un blessé, brulé au 3e degré, transporté immédiatement à l'hôpital de l'éternel.

Le nain stoppa sa lecture, gêné par un point : les agressions semblaient à chaque fois différentes. Le lieu, les dégâts causés, le type de personne impliquée. Mais jamais l'agresseur... Ce fameux monstre, comme tout le monde s'accorde à penser, revenait à chaque fois. Et par-dessus tout, il disparaissait au nez et à la barbe de la garde républicaine. Grundal referma le journal sceptique.

-   Les nouvelles sont bonnes ? Demanda Simbad enthousiaste.

-   Deux agressions la nuit dernière dans le quartier des artisans ! Aucun mort, une personne sérieusement brulée ! Et voilà le coupable ! Dit-il sèchement en montrant son journal. Sous ses différentes facettes.

-   Qu'est-ce que ces choses ?

-   J'espérais que tu me donnerais la réponse... Ce journal déclare ouvertement que c'est l'une de vos expériences cachées !

-   Pardon ?! Lâcha le professeur surpris.

Simbad lui prit le journal des mains, puis le balaya des yeux. Quand son regard se releva sur la rue, son air changea l'espace d'un instant. Comme s'il cherchait aux alentours, celui qui avait écrit ces lignes.

-   Rassurez moi, reprit-il, vous n'allez tout de même pas croire ce tissu de mensonge !

-   Mais non... déclara sérieusement Grundal en reprenant le journal. J'ai du mal à croire en l'existence de cette chimère ! Alors que ce soit vous qui l'ayez créée relève de la fantaisie. En revanche, l'utilisation de magie dans ces agressions est troublante.

-   Un éthérien n'a pas le droit de se servir de son pouvoir contre autrui ! C'est la loi !

-   Il est possible que certains d'entre vous n'aient pas saisi le message !

-   Vous pensez à Aurelius n'est-ce pas ?

Grundal, ne répondit pas immédiatement, se contentant d'un signe en direction dans la rue pour faire comprendre à Simbad qu'ils devaient se mettre en route.

-   Vos témoignages m'amènent à penser que non... Il est beaucoup trop visible, et puis d'après vos dires, il est suffisamment occupé entre l'Académie et ses recherches.

Ils traversèrent la route, évitant quelques voitures et leurs projections de boues.

-   Maintenant, reprit-il une fois sur le trottoir, je vais être honnête avec toi. Je n'écarte pas cette éventualité car rien, pour l'instant, ne nous prouve qu'il soit innocent !

-   Je connais Aurelius ! Je vous assure qu'il n'est pas du genre à faire du mal aux...

Grundal s'arrêta brusquement puis attrapa le col du professeur.

-   Comment explique-tu sa disparition ? Et ces corps, dans un lieu que lui seul connais, murmura le détective sur un ton sec. Ton ami n'est peut-être pas celui que tu pensais...

Un silence pesant s'installa. Grundal regardait l'elfe dans les yeux analysant chaque expression de visage. Il voulait être sûr que son partenaire ne lui cachait rien. Et de toutes évidences, Simbad semblait perdu et choqué par ce qu'ils avaient trouvé, car aucun mot ne sortait de sa bouche. Le détective lâcha le costume du professeur, tapota deux fois sur son épaule, puis reprit sa route en direction du musée.

-   Je crois... déglutit Simbad en remettant sa chemise en place. Qu'il est parti pour éclaircir la situation... de lui-même.

-   Possible... Souffla le nain trois mètres devant.

Ils longèrent, dans un silence gênant, un immense grillage qui donnait sur un grand espace vert. Un grand parc qui avait pris des teintes d'automne, où plein d'enfants venaient jouer sous la surveillance de leur gouvernante. Certains s'amusaient à se lancer des feuilles mortes qui tombaient des platanes, sans prêter attention aux personnes qui marchaient.

Quelques tirs fusèrent non loin de nos deux enquêteurs, ce qui provoqua un long souffle de Grundal ainsi qu'un regard sombre envers les adultes responsables les "surveillant". Mais ils n'avaient cure de leur jeu car ils jacassaient assis sur leur banc.

-   Pourquoi as-tu été si long ? demanda Grundal. - Comment ? Demanda le professeur qui sortait de sa rêverie.

-   A l'Académie, pourquoi ça t'a pris autant de temps ?

-   Ah ! Il fallait bien convaincre Molok de nous faire un laisser-passer pour la zone de recherche du musée. Et avec le temps, le vieux bougre est devenu sacrément têtu...

-   Je suppose que tu lui as rendu le sceau, supposa le nain en regardant le manteau du professeur.

-   Oui ! je sais qu'il pourra le remettre à sa place sans soucis. Et puis on ne va pas se mentir, ce sceau en cuivre est beaucoup trop encombrant.

-   Ton ami a déjà réalisé des papiers de ce type ?

-   Il fait partie des personnes qui communiquent avec les externes. Il a d'ailleurs son propre sceau vous savez ? Vous pouvez me croire, le document sera convaincant.

-   Nous verrons cela bientôt, conclut le nain.

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-S-

Continuant leur marche, ils arrivèrent devant la grande statue qui marquait le centre du parc. Usée, elle représentait un guerrier d'un autre temps. Masqué et en armure, il regardait le ciel, l'épée plantée dans le corps d'un orc... Cette sculpture avait toujours fait polémique car elle représentait pour les orcs du sud le souvenir du grand massacre...

Simbad ne put s'empêcher de lire la plaque commémorative à son pied.

"Quant au milieu du fléau, l'Eternel envoya son Hérault,

Unir les baronnies jusqu'alors ennemies,

Pourchasser l'envahisseur aux confins de leur demeure." -1351-

L'histoire revint alors à sa mémoire. Il était fait mention de la grande croisade que les humains menèrent contre les orcs du sud. C'est là que la première archimage battit sa funeste réputation, en rayant de la carte une ville entière, ainsi que les armées qui s'y battaient.

Ce fut l'élément fondateur de la république mais également celui de l'Académie. Un passé mystérieux, idolâtré par les hommes, honteux pour les habitants des steppes qui durent vivre avec le souvenir de leurs ancêtres morts...

Simbad, leva la tête et regarda autour de lui. Tous, comme Grundal, passaient devant ce vestige du passé sans faire attention à ce qu'elle représentait. Le nain avançait d'un pas décidé et s'éloignait petit à petit. Le professeur souffla puis se remit en route.

Ils traversèrent un grand portique en pierre, finement sculpté, donnant sur la cour du musée. Une grande place qui voyait se rassembler nombre de citoyens, pour des rencontres, des foires, ou même des démonstrations scientifiques. Une immense fontaine marquait son centre et représentait la diffusion du savoir avec ses multiples jets d'eau émanant d'un livre.

Le musée qui se trouvait face à eux, était impressionnant avec toutes ces baies vitrées. Les premiers étages avaient été bâtis il y a des décennies. C'est pourquoi le style était plus ancien avec des colonnades et des façades sculptées... Mais en regardant le large squelette de métal qui composait les étages supérieurs, et le toit en verre, on pouvait penser que l'architecte fut remplacé au milieu du chantier par quelqu'un de plus jeune, plus au courant des nouvelles innovations.

Un petit regroupement de personnes était rassemblé autour d'un parleur de rue. Curieux, ils s'approchèrent afin d'entendre ce que l'homme proclamait.

-   Oui chers frères et sœurs, hurlait l'homme en montrant le portrait d'un monstre entre les mains. La bête rode chaque nuit dans nos rues... Invisible aux yeux de tous. NON !!! Personne ne se battra pour vous !

Certaines personnes lâchèrent un petit cri d'effroi à la vue du fameux portrait.

 « Qu'est-ce que c'est mal joué ! » pensa Simbad.

Il fallait être simple d'esprit pour ne pas voir la supercherie. Un bon parleur et quelques ambianceurs cachés parmi l'audimat et hop la foule était dans sa poche. Le professeur regardait les autres boire ses paroles sans même se faire leur propre avis sur le sujet.

-   La bête ! Qui est née de l'éther, a été créée par les membres de l'Académie ! Et envoyée pour nous tuer afin de terminer le travail qu'a commencé leur fondatrice !!! Le gouvernement met son mouchoir sur toutes ces agressions et ils ne font rien !

Simbad cessa d'écouter après ça, les yeux levés au ciel. Un tel flot de bêtises et d'ignorance le désolait.

-   A l'écouter tout était la faute des éthériens... marmonna-t-il. La sécheresse, les mauvaises récoltes, et pourquoi pas les problèmes de licenciements tant qu'il y est...

Il pouffa puis s'écarta, laissant Grundal devant l'attroupement... Par réflexe, il sortit deux petites billes de métal de sa poche qu'il fit virevolter autour de ces doigts. Cela lui permettait de se concentrer sur autre chose.

Après quelques secondes, il se retourna pour voir si Grundal le suivait. Mais surpris, il se rendit compte que la foule le suivait du regard.

-   ...Regardez mes amis comment ils cherchent leurs nouvelles victimes ! clama l'orateur en se rapprochant de lui. Ils envoient un de leurs suppôts !

Les regards de la foule se durcirent à l'égard du professeur.

-   Et quelles sont tes preuves de ce que tu avances ? retorqua Simbad en s'avançant à nouveau. Des journaux tous plus fallacieux les uns que les autres.

-   Il n'y a pas de preuves à avoir « sorcier », les agressions parlent pour vous ! interpela un citoyen dans la foule.

-   Parce que brûler des gens n'est pas à la portée du premier venu ? Trouvez une torche et de l'huile, je vais vous montrer votre magie ! Lâcha Simbad énervé.

-   Les gens de votre espèce ont déjà créé des monstres par le passé, Cria un autre citoyen. Regardez votre fondatrice !

-   Mon espèce ?!

-   Le gouvernement ne vous protègera pas éternellement ! clama une autre voix dans la foule.

L'orateur, dos à la foule, arborait un sourire malsain... Tous avaient été manipulés, comme il le voulait.

-   Laisse tomber fiston... Déclara Grundal en lui tirant le bras. Tu ne peux gagner cette bataille...

-  Mais enfin Grundal, on ne peut pas laisser ces gens proférer de telles sottises !

-   Ecoute ton ami, monstre ! Rajouta le parleur.

-  Laisse ces imbéciles, je te dis, conclut Grundal en l'éloignant de la foule.

Simbad lui rendit un regard noir... Mais le détective avait raison... Ils ne pouvaient empêcher ces moutons de panurge de s'abreuver de sottises.

-   On se reverra bientôt, l'Elfe ! hurla le parleur. On te préparera un beau bucher rien que pour toi !!!

C'est alors que deux coups de sifflet retentirent du portique. Deux membres de la maréchaussée s'incrustèrent au milieu du regroupement.

-   DEGAGEZ de là ! On ne veut pas de rassemblement comme ça dans la cour du musée ! cria l'officier. Dispersez-vous !

Surpris, le bonimenteur attrapa ses tracts à toute vitesse, son caisson et ses effets puis décampa comme un rat.

-   Vous aviez remarqué que la garde était arrivée sur les lieux ? demanda Simbad en gravissant les marches du musée.

-   Oui ! Cet imbécile n'était pas discret... Mais toi, tu n'aurais pas dû rentrer dans son jeu !

-   Vous avez raison, je me suis laissé emporter, j'en suis désolé... Je ne comprendrai jamais leur haine envers notre communauté... L'Académie aide pourtant la société de diverses manières. Pourquoi nous considérer comme des ennemis ?

-   Tu sais, répondit Grundal en attrapant la poignée, la plupart des gens sont tellement pris par leurs problèmes qu'ils ne cherchent pas à comprendre... Ils prennent le premier bouc-émissaire qui vient... Le gouvernement, L'Académie, les riches... Tous ceux qui, à première vue, ont une vie plus simple, ou, dans votre cas, qui leur font peur.

-   Pensez-vous que cela pourrait changer à l'avenir ? demanda Simbad en pénétrant dans le hall.

-   J'en doute...C'est tellement facile de haïr un parfait bouc-émissaire plutôt que de chercher la vérité !

(à suivre...)