Chapitre 9 : Mira, l’agence et l’Artefact
Le Terrier,
Jeudi 13 Octobre 1843, début de soirée
-M-
Des visages interrogateurs ne cessaient de se tourner vers elle dès qu'ils entendaient ses pas résonner dans le dédale des rues. Une seule image revenait dans son esprit : une tête dans un bocal à l’entrée de la boutique d’antiquité, SA tête. Sa gorge se noua à mesure que ses foulées augmentaient. Il était déjà arrivé par le passé qu’elle côtoie des personnes dangereuses, mais pas de la trempe de Big B.
Pouvait-il être déjà au courant qu'elle était en possession de la clé ? Jérémy et Ben le savaient, mais combien de temps faudra-t-il pour qu’ils divulguent l'information ? Combien de temps avant que des sbires se mettent à la suivre et la prennent à partie dans une ruelle ? Comment pourrait-elle expliquer qu'elle n'avait pas subtilisé la clé authentique pour son profit personnel ?
Toutes ses questions l'obnubilaient à tel point qu'elle heurta par mégarde un passant. Effrayée, elle s’excusa promptement en prenant soin d'échanger aucun regard puis reprit sa route.
La vie continuait autour d’elle. En plein milieu de semaine, le nombre de travailleurs qui revenaient des usines était à son maximum. Des enfants qui sortaient de l'école glapissaient autour d'un jeu de la marelle fraichement dessinée. Tout ce monde autour d'elle l'oppressait, elle se sentait noyé dans un flot ininterrompu d'agresseurs potentiels.
Après une course effrénée, elle arriva en face de l’agence. Par chance, c'était ouverte. Le salon, la cuisine, tout était éteint hormis un petit halo qui émanait du bureau. Rassurée par la présence de son ami, elle referma la porte et parcourut rapidement le couloir plongé dans l'obscurité. Un silence angoissant régnait dans toute la bâtisse, même la pendule à l'entrée avait stoppé son va-et-vient.
Elle entra dans la pièce sans se douter de la surprise qui l'attendait. Ce n'était pas Grundal qui était assis derrière le bureau, mais un elfe en train d'attendre un livre à la main. Les deux, surpris, se fixèrent un bref instant. Le nain n'était pas là, et personne n'avait le droit de s'asseoir sur son siège. Aucune chance donc qu'il s'agisse d’un client. Confuse, sa conclusion était sans appel, il s’agissait d’un des hommes de Big B.
Profitant de son effet de surprise, Mira attrapa un cendrier puis le jeta vers l'individu afin de couvrir sa fuite. Mais elle ne put faire qu'un pas avant de se retrouver complètement immobilisée. Sidérée, elle fut projetée en arrière contre le fauteuil au centre de la pièce.
Ses mains furent attachées à la chaise par un liquide argenté qui se durcissait peu à peu. Elle essaya de se débattre mais l’elfe qui était resté assis, fit un mouvement du bras afin de resserrer les liens. En même temps, un autre filet passa autour de ses chevilles la ligotant totalement.
- Pour qui est ce que tu travailles, hurla-t-elle en se débattant sur ses liens. Si tu ne me détaches pas je te jure que tu vas le regretter !
L’elfe posa son livre, se leva de son siège puis s'avança vers la forcenée. Habillé d'un costume noir du plus bel effet et coiffé comme les gentilhommes des quartiers bourgeois, il était peu probable qu'il habite les bas-quartiers.
- Pourriez-vous vous calmer et lâcher votre arme s’il vous plait ? demanda t’il posément.
Dans sa tentative de fuite, Mira avait sorti sa dague de son fourreau et la tenait fermement. L'idée de la lâcher ne lui effleura même pas l'esprit car cela reviendrait à se rendre plus inoffensive qu’elle ne l’était. L'elfe la scrutait d'un air interrogateur.
- Vous avez une bien étrange manière de dire bonjour, Mademoiselle ! Etes-vous une amie de Grundal ?
- Qu’est-ce que ça peut vous faire ? cracha-t-elle.
- Vous comptiez le cambrioler, c'est ça ? dit l’elfe en se penchant pour voir la tête de Mira.
Ses yeux clairs la scrutaient mais ne laissait pas transparaitre une once de malveillance.
- Peut-être qu’est-ce que cela change ? répondit-elle le regard plein de défiance.
Ne sachant pas à qui elle avait affaire, elle ne voulait pas donner une seule information sur elle ou sur Grundal.
- Et si j’appelais la garde pour intrusion, vous pensez que ça changerait quelque chose ? répondit l'Elfe en croisant les bras.
- Ecoutez d’accord, c’est moi qui ai votre pierre ! Mais c’est une fausse je vous le jure ! répondit-elle sur un ton effrayé.
- Ma pierre ?
Mira lui expliqua alors l’altercation au bar ainsi que la visite chez le faussaire. L’elfe ne semblait pas vraiment comprendre de quoi il retournait. Mira eut alors une idée.
- Si vous ne me croyez pas, regardez dans ma sacoche ! Vous la trouverez ! Dit-elle en désignant la fausse clé.
Avec toujours cette incompréhension, il s’approcha d’elle afin de trouver l’objet mentionnée. Cependant à peine fut-il à portée qu’elle se redressa sur ses appuis pour lui assener un grand coup de tête. Le pauvre recula de trois pas en se tenant le nez de douleur.
- Ça t’apprendra, salaud, à ligoter des femmes aux sièges, ricana t’elle en crachant au passage sur le parquet.
Ses liens qui furent dur comme l'acier coulèrent le long des accoudoirs. Sans savoir ce qu'il se passait, elle vit l'opportunité de se défaire de son assaillant. C’est ainsi toujours la dague en main qu’elle sauta au cou de l'aristocrate, l'immobilisant au sol. Elle allait plaquer sa lame contre sa gorge quand une voix gronda dans le bureau.
- Est-ce que vous pouvez m’expliquer ce qu’il se passe ici ?
En tournant la tête, elle aperçut Grundal sur le palier son manteau sous le coude. Le spectacle qu’il avait sous ses yeux devait l'amuser car un petit rictus s'esquissa au coin de sa bouche. l
La voleuse s'écarta de son agresseur, elle regardait le détective le relever son arme toujours en main. Il lui tendit un mouchoir pour panser son nez sanguinolent. C'est alors qu'elle entendit un nom : Simbad.
- Mais qu'est-ce que ce jeune elfe a bien pu te faire pour que tu le maltraites de la sorte ? demanda le nain.
- Merci Grundal ! lâcha le professeur en saisissant le tissu que lui tendait son partenaire. Je suis content que vous soyez arrivé… Vous connaissez cette harpie ?
- C’est moi que tu traites de harpie ? demanda t’elle furieuse.
- Calmez-vous ! Clama le nez en s'interposant une nouvelle fois. Réponds à ma question !
- Ecoute je ne le connaissais pas et je l’ai pris pour quelqu’un d’autres… J'allais fuir quand il s’est mis à me ligoter à la chaise, se défendit -elle les bras croisés.
- Parce que jeter un cendrier au visage des gens est une commodité bien connue pour se souhaiter le bonjour ! Suis-je bête, j’aurais mieux fait de préparer des biscuits et du thé ? répliqua sarcastiquement Simbad. Oh non, vous m'auriez sans doute poignardé !
Simbad tenait douloureusement le mouchoir contre son nez. Grundal au centre tentait tant bien que mal de les séparer mais ils se querellaient comme s'il n'était pas là.
- Je peux te parler ? Conclut Mira en coupant court à la dispute. En privé…
Le mouvement de tête non dissimulée, qui accompagnait ses paroles, pointa en direction du professeur.
- Moi non plus je n’ai pas envie de vous voir ! répondit le professeur en se posant sur le divan et en penchant sa tête en arrière.
Le détective voyait bien, à la tête inquiète que prenait la jeune fille, que quelque chose n’allait pas. Il hocha la tête et suivit la voleuse en dehors du bureau, laissant Simbad heureux de se retrouver seul pour se remettre de ses émotions !
Ils allèrent dans la cuisine, là où elle pouvait se débarbouiller un peu.
-Très bien, dans quel fourbier tu t'es encore mise cette fois, demanda sérieusement Grundal tout en s’asseyant en bout de table et les mains posé.
---
-S-
La douleur due à l'altercation le lançait et lui donnait aucunement l'envie de discuter avec qui que ce soit. Le saignement s'étant arrêté, il put se remettre droit pour observer chaque détail de la pièce qui l'entourait. On était très loin du musée et de ses œuvres d’art, cependant quelques curiosités inattendues étaient digne d'intérêt, comme la présence d’un piano à côté du deuxième bureau, près de l'âtre. L'idée que Grundal ait un talent caché traversa son esprit. Il l'aperçut furtivement dans la cuisine dans l'entrebâillement de la porte. Sa carrure et sa personnalité ne laissait pas penser un seul instant qu'un pianiste sommeillait en lui.
De plus, le nombre de dossiers et de documents, qui encombraient l'instrument, ne donnaient pas l'impression qu'il en prenait soin. Pourtant, quand le professeur laissa résonner quelques notes, il se rendit compte que le piano était parfaitement accordé.
Surpris, il continua sa visite en longeant les bibliothèques afin d'examiner les œuvres de littérature que possédait le nain. Des noms connus ressortirent comme les livres écrit par « les gens de la Fontane », un groupe d’écrivains contant de courtes histoires moralisatrices. Des œuvres plus sérieuses y figuraient également comme ceux de l’écrivain Victor Hublot.
Quelques rayonnages étaient réservés pour des larges dossiers titrés de lettre.
« Surement les affaires classées » pensa-t-il.
Etonnamment il s’agissait des choses les mieux rangées de la pièce. C'est en suivant l'ordre de rangement qu'il dénicha un petit cadre posé contre les multiples classeurs. Deux jeunes visages étaient peints, un nain et un gobelin. Après réflexion, Simbad vint à la conclusion qu'il s'agissait de la fratrie IronHead. Grundal sous ses traits juvéniles, était souriant ce qui était étrange lorsqu’on connaissait le bonhomme. Son frère, plus petit et le teint verdâtre, avait le sourire aux lèvres signe d'une époque heureuse et malheureuse révolue.
« Curieuse coutume » pensa le professeur.
Pour le peuple de la Colonne, il est courant d’affilié à la naissance un nain et un gobelin comme fratrie, et cela en hommage à l’union de leurs peuples. Les frères étaient en général choisis aléatoirement parmi les nouveaux nés, sans distinction de rang social ou de richesses. Pourtant, les grandes familles avaient toujours su garder les fratries entre "sang noble". Grundal et Shinak devaient être de ceux-là, car la famille IronHead était très influente là-bas. Il était étonnant que deux frères d'une telle lignée aient quitté leur région pour vivre à la capitale, loin de leurs privilèges et droits de naissance.
Une autre surprise l'attendait derrière le cadre : Une photographie. Chose qui l’étonna énormément car l'appareil nécessaire à sa confection n'était encore qu'un prototype dévoilé au grand jour, il y a de cela quelques années. Les deux frères, nettement plus âgés, y figuraient avec au milieu une jeune fille. Contrairement à ses deux voisins, la petite ne souriait pas à croire qu’elle ne voulait pas être prise en photo.
Il se rendit compte à quel point la mort du gobelin avait été dur pour le détective. Il jeta un autre coup d’œil à travers la porte, pour épier la discussion dans la cuisine. Ses traits étaient plus détendus en présence de cette voleuse, cela changeait du détective grognon qu’il avait côtoyer depuis hier.
Simbad souffla longuement, puis, en regagnant son fauteuil, découvrit sur le sol plusieurs documents répartis accompagnés de portraits. Curieux, il se pencha pour voir de quoi il retournait. Des visages, tous différents, des hommes, des femmes de toutes les races et tous les horizons. Choqué, un portrait l’interpela puis un autre.
- Bien fiston ! déclara le nain dans son dos. Qu’as-tu découvert au musée ?
Après un bref silence, il entendit le nain se rapprocher. L'air estomaqué du professeur devant les visages avait du attirer son attention.
- Tu le connais ? Demanda le détective en désignant l'un des individus peints.
- Je les connais, lui et la dame blonde ici… Je les avais en classe, il y a de cela quelques années… Que leur est-il arrivé Grundal ?
- Leurs familles ont fait appel à moi pour les retrouver. Cela fait des semaines qu'ils sont introuvables.
- En quoi puis je vous aider pour les retrouver ?
- Tu viens déjà de le faire, je ne savais pas que ces deux personnes étaient éthériennes avant aujourd’hui. Réglons d'abord le problème de ton ami, qu'as-tu découvert ?
Simbad jeta un regard vers Mira qui alla s’asseoir silencieusement sur le divan.
- Vous êtes sûr de vouloir parler de l’affaire devant elle ? Nos activités doivent rester confidentielles, je vous rappelle.
- Ne te fais pas de soucis, c'est une personne de confiance, quand on la connait bien sûr, déclara Grundal en fixant la jeune fille. Je me porte garant pour elle vu que Mira va nous suivre quelques temps.
- C'est vous qui voyez, fit-il le regard défiant. J’ai pu avoir accès aux recherches de l’archimage. D'ailleurs, le conservateur avait l'air de vous connaitre ?
- Nous avons eu quelques déboires dans un bar ces derniers-jours, rien de bien intéressant.
- Ah, très bien… Sinon concernant les recherches, Aurélius travaillait avec deux partenaires sur la découverte du tombeau perdu d’Asuna !
- A-su-qui ? demanda Mira.
- Asuna bon sang, la fondatrice de l’Académie ! Répondit Simbad ébahit par l'ignorance de la jeune fille.
- Fas-cin-nant, marqua -t-elle ironiquement en replongeant son menton dans sa main.
Le professeur, faisant fi de la deuxième remarque, continua son explication.
- Cependant l’un des objets trouvés durant l’expédition a été dérobé, pas plus tard qu’hier ! Et à la vue du nombre de bijoux et d'objet de collection qui remplissaient l'atelier, le voleur savait pertinemment quoi chercher !
- As-tu pu identifier l’objet dérobé ? Demanda Grundal.
- Il s’agissait, selon l’équipe de recherche, de la « clé des singularités » !
Le regard de Mira s’alluma et vint trouver celui de Grundal.
- Et tu sais ce qu’il est advenu de cette équipe de recherche ? demanda le nain.
- Le premier : Aurelius est porté disparu comme nous le savons. Le deuxième est un scientifique orc du nom de Braddock. Mais, reprit Simbad après un court silence, il s'est suicidé à son domicile…
- Et, le troisième ?
- Le, ou plutôt la troisième d’après les dires de la secrétaire, est inconnue…
- Comment ça ?
- Les documents d’archives ont été falsifiés lors de leur élaboration. Pour une raison que j’ignore, Aurelius et Braddock ont volontairement omis le nom de cette femme. Seule sa présence est avérée.
Le nain tourna dans la pièce en se grattant le menton.
- Grâce à notre amie ici présente, j’ai ma petite hypothèse sur l’identité du dernier associé ! Maintenant il ne sera pas simple de nous approcher d’elle !
- A qui pensez-vous ? Demanda Simbad curieux.
Le regard de Mira changea, elle savait ce qu’il avait en tête et cela ne lui plaisait absolument pas.
-Tu n'y penses pas Grundal ? Demanda-t-elle stupéfaite.
- Si, nous devons trouver Big B…
Annotations
Versions