Naissance
Loris couru une dizaine de kilomètres dans le matin frais d'automne. Le souffle court et les jambes tremblantes, il était temps de faire une pause. La forêt sentait l'humidité et la terre noire. Il avait plu toute la nuit. La satisfaction se lisait sur son visage, aussi bien pour la distance parcourue que pour l'endroit où il respirait. Il s'assit sur son banc rongé par le temps, là où l'on pouvait observer dans toutes les directions des feuilles bariolées. Il regarda sa montre et vis qu'un message l'attendait. Assis en tailleur, il respirait profondément, les yeux plein des couleurs chaudes de la saison. Il était certain qu'il ne s'était jamais senti aussi bien physiquement. Puis il passa en revue quelques autres facettes de sa vie. Son compagnon et lui formaient un couple plutôt épanoui, leurs deux filles paraissaient heureuses chacune à leur façon - même si leur départ de la maison fut une épreuve - et une meute de chats le comblait de tendresse. Son métier lui apportait également satisfaction. D'une façon qu'il ne s'expliquait pas, depuis quelques mois, il avait quasiment retrouvé la santé de sa jeunesse malgré l'arrivée prochaine de ses 51 ans. Même si la reprise de la course à pied avait dû participer à ce regain d'énergie, elle n'expliquait pas tout. Ce moment de calme et de sérénité paraissait idéal pour dresser le bilan de cette remise en forme néanmoins sa réflexion fut interrompue par le bruit des feuilles qui craquaient sous les sabots d'un cerf. Il ouvrit les yeux, sans même pivoter les épaules ni la tête et le vit le regarder. Ses bois s'entrecroisaient en un amas complexe. L'animal n'était qu'à une vingtaine de mètres de l'homme immobile. De la vapeur s'échappait de sa bouche ouverte ainsi que de son dos brûlant. Chacun semblait fasciné par son observateur. La scène dura plusieurs minutes, jusqu'à une vibration infime du poignet. L'animal s'éloigna sans panique. Un second message obligea Loris à consulter son contenu. Jade confirmait sa venue au repas dominical avec le dessert. Sa sœur Faustine lui souhaitait de profiter de la matinée dans les bois. Il était temps de repartir. Après avoir rencontré la faune sauvage et reçu les messages agréables de ses enfants, il ne manquait plus d'énergie ni de souffle. Il bondit du banc avec un sourire béat mais une douleur derrière son sternum, comme une pointe, le fit vaciller. Puis il se sentit écrasé de l'intérieur, la mâchoire et les bras irradiaient. Il ne connaissait pas cette sensation terrible. Il tenta de s'étirer. Son cri traversa la nature. Loris pensa alors mourir. Incapable de garder l'équilibre, il tomba lourdement en contrebas, descendant la butte la tête la première, faisant voleter des feuilles mortes.
Le son lointain qu'il entendit d'abord fut la voix particulièrement grave de son mari. Il perçu qu'il était allongé, couvert, presque coincé et au chaud. Impossible d'ouvrir les yeux. Christophe parlait de leurs chats et de la forêt de Fontainebleau. Loris eut l'impression qu'il parlait dans un long tube en plastique avec un accent étranger. Un tuyau encombrait sa trachée. Jade répondait mais des sanglots empêchèrent son père de comprendre. Son crâne n'était que douleur, il y entendait son propre cœur. Le respirateur emplissait et vidait ses poumons. Les quelques secondes d'attention dépensées eurent raison de sa volonté et Loris perdit connaissance.
Paniquée, Faustine arriva peu après dans la chambre d'hôpital. Christophe et Jade tentèrent de la rassurer mais ce fut difficile tellement Faustine était sensible. Ils s'assirent sur le lit inoccupé à côté de Loris et l'observèrent en silence. Le blanc immaculé des draps, des bandages et des murs le rendaient fantômatique. Les résultats d'examens médicaux se faisaient attendre et la situation entretenait visiblement l'anxiété de Faustine jusqu'aux tremblements. Le blessé avait la tête bandée car dans sa chute, elle avait heurté de petits rochers cachées sous les feuilles. La blessure qui en résultait le fit saigner abondamment et provoqua la peur de sa vie à la joggeuse qui pensa alors trouver un cadavre. Le traumatisme crânien avait plongé l'homme dans l'inconscience plusieurs heures. Pendant cette inconscience, il fit des rêves malaisants, eu des pensées étranges : une femme enveloppée de noir courant avec lui sur un chemin herbeux, ses chats tous devenus obèsent ne pouvaient plus marcher, des racines d'arbres millénaires qui ensserraient des domaines entiers de leurs racines, une créature visqueuse, noire et véloce venait le mordre dans son lit d'hôpital, une biche aux yeux embrasés parfaitement immobile au seuil d'une grotte sombre... l'impression d'oppression et la multitude d'images avaient rendu l'expérience angoissante.
On lui pressa l'avant-bras. Ses yeux s'ouvrirent instantanément, provoquant la surprise des membres de sa famille. Le visage gigantesque de Faustine le fit sursauter ainsi que le cri suraigu émit la seconde suivante. Le lit fut précipitamment encercler dans un bruit excessif qui frappa sa tête. Chacun lui posa des questions mais seuls des clignements d'yeux pouvaient répondre. Un moment passé, Christophe sortit de la pièce et appela l'infirmier qu'il avait déjà salué lors de son passage dans la chambre. L'homme rondouillard accouru soudain. Il mettait en valeur la taille et la largeurs d'épaules de Christophe. Il planta ses yeux clairs dans ceux de Loris. C'était invraissemblable qu'il ait repris connaissance et tout le monde le compris à sa réaction. Comme par reflexe, il vérifia le respirateur et le poul malgré le moniteur patient puis, sans dire un mot ni même regarder qui que ce soit, disparu dans le couloir. Cette scène suspendit la chambre dans le temps qui se demanda si c'était une bonne ou une mauvaise nouvelle. Loris esquissa un sourire ce qui détenda l'atmosphère en petites plaisanteries bien que les mots restèrent en l'air, faute d'échange. L'infirmier revient quelques minutes plus tard avec le souffle court pour demander à Christophe de le suivre, seul, dans le but de voir le médecin. Il n'hésita pas. "Je reviens" dit-il machinalement. J'espère que c'est pour me dire à quel point c'est un miracle et qu'on rentre à la maison bientôt, pensa Christophe. Le calme régnait de nouveau dans la pièce. Les jeunes femmes eurent l'envie de se poser sur les côtés du lit de leur père, empoignant chacune une main égratignée dans la leur. Loris leur serra pour bien leur faire comprendre qu'il avait les idées plus claires qu'il n'y paraissait. Elles lui rendirent la pareil, glissant leurs doigts fins entre les siens.
- On est là papa, lâcha Faustine, émue.
- Oui, ça va aller, ajouta Jade, le médecin arrive pour nous dire combien tu es costaud !
Elles crurent de nouveau percevoir un sourire malgré le tuyau déformant sa bouche. Loris hocha de sa tête blanche et une larme vint barrer sa joue. Il serra à nouveau les mains de ses enfants, fort. Les sœurs perçurent une tonicité étonnante sans en faire la remarque mais elles s'interrogèrent l'une l'autre du regard. De longues minutes passèrent dans un calme chaleureux, l'homme réconforté par ses filles auprès de lui, jusqu'au retour de Christophe précédé du médecin en charge du cas extraordinaire et suivi de l'infirmier curieux aux yeux écarquillés.
- Il est conscient, tu vois ça ?! cria l'infirmier en montrant le lit la paume ouverte.
- Calme-toi Guillaume, dit le médecin d'un ton arbitraire. Excusez-moi, je suis le docteur Leroux, je suis neurologue dans cet établissement.
Il marqua une pause, dissimulant maladroitement que la suite sortait de l'ordinaire.
- J'aimerais m'entretenir avec messieurs Faure. Je vais vous demander de sortir mesdames s'il vous plait.
Il se tourna vers l'infirmier, toujours aussi abasourdi.
- Tu peux les accompagner dans la salle d'attente.
Les trois jeunes gens sortirent calmement non sans des regards interrogatifs. Faustine était inquiète, Jade esquissa un sourire confiant et Guillaume ne dissimulait pas sa surprise. Le silence de la chambre pesait lourdement sur chaque homme. Le médecin ne savait pas vraiment par où commencer. Loris avait les yeux clos. Plusieurs dizaines de secondes passèrent sans qu'un seul mouvement ne brise le tableau puis Christophe éclata :
- Docteur ! Vous avez des choses à nous dire, dites-les !
Docteur Leroux se racla la gorge, prit un stylo dans la poche de sa blouse et commença à nerveusement appuyer sur le bouton poussoir. Un coup d'œil vers le lit confirma que son patient le plus passionnant de sa carrière dormait. Il chuchota presque :
- Monsieur Faure, votre mari, Loris Faure est... comment dire... il est parasité.
- Pardon ? lança Christophe en mettant les mains sur ses hanches, d'une voix sonore.
- Monsieur Faure est victime d'un parasite... enfin je dis "victime" mais en réalité...
- Un parasite ? le coupa-t-il.
- Il est l'hôte d'un parasite cérébral mais ce corps étranger...
- Dans son cerveau ?!
- Oui, oui... heu. Laissez-moi vous expliquer, insista le médecin d'une voix claire en accélérant le pouce sur son stylo. Un parasite s'est logé dans son cerveau. Nous l'avons repéré avec l'IRM. On ne sait pas comment il est arrivé là. Il a étendu des sortes de ramifications dans quasiment toutes les zones cérébrales ce qui me pousse à croire que ce n'est ni un ver ni une amibe.
- C'est quoi alors ? Comment il a pu l'attraper ? On peut l'enlever ? Et depuis combien de temps il a ça ? mitrailla Christophe, stupéfait par cette révélation.
- D'autres examens sont en cours mais nous n'avons pas opéré donc nous n'avons pas d'échantillon. Nous ne savons pas comment il est arrivé là comme je vous ai dit ni depuis combien de temps mais probablement depuis plusieurs mois, peut-être plus. Il ne ressemble à rien que je connais pour tout vous dire.
- On peut lui enlever ?
- C'est là où je suis ennuyé... dit-il à nouveau à voix basse.
- Pardon ?
- Je pense que ce parasite l'a aidé à reprendre conscience, et éventuellement à le maintenir en vie.
Christophe fut envhit pas des sentiments contradictoires ce qui le rendit muet. Pour dissiper la tension, le médecin apporta d'éventuelles explications :
- Nous allons le garder en observation le temps qu'il faudra et je vous fais mettre au courant dès qu'il y a du nouveau. Pour être honnète avec vous, il n'aurait jamais pu se réveiller du coma après un choc pareil, sans parler de l'infarctus du myocarde qui aurait dû avoir raison de lui même sans le traumatisme crânien... il a été chanceux dans son malheur et vous aussi par conséquent. Il n'est pas informer de son état. Je pense que ce serait mieux de ne rien lui dire encore.
Son interlocuteur était ailleurs. Il n'entendit que quelques mots du médecin et ne pouvait penser qu'à une chose : un parasite dans le cerveau. Il imaginait une petite créature répugnante aux commandes du corps, des pensées, des sentiments de son compagnon, baignant dans un milieu gluant et humide. Il voyait de petits yeux malveillants qui s'alignaient avec ceux de Loris.
- Je dois vous laisser, dit le médecin après un petit moment, je vous tiens au courant, ajouta-il en lui touchant maladroitement l'épaule du bout des doigts.
Loris n'avait pas bouger et Christophe resta figé à réfléchir dans la chambre morte. Ce dernier se tourna de trois-quart vers le lit et l'observa comme on ferait d'un animal sauvage qu'on voit en face pour la première fois. Un mélange de dégout et d'angoisse lui pressa la poitrine. Il se demandait comment il allait gérer ça. Ses pensées furent interrompues par le retour chargé de questions de ses filles mais elles se turent instantanément à la perception de son regard lourd. Elles n'osèrent débuter quoique ce soit, ni parler, ni se déplacer. Figées par un froid glaciale, les pensées les plus funestes envahirent leurs têtes et leurs cœurs. Faustine ne pu retenir de grotesques sanglots qui rappelèrent Christophe au monde tangible. Sans un mot, il avança lentement en direction de Faustine, les bras accueillants, le regard humide sur un visage redevenu humain. Faustine fondit en larmes sur le large torse, vite rejointe par une sœur tout aussi ébranlée. Le père compris que ses enfants imaginaient une condamnation irrévocable mais fît durer cette étreinte malgré tout. Il ne savait pas comment aborder la vérité sans exprimer la répulsion que l'état de Loris lui procurait. Dans un murmure, il leur confia :
- Papa va vivre, les filles. Papa va vivre.
Il les serrait fort pour éviter que l'une d'elle n'ait l'idée de relever la tête. Il doutait de ses capacités à dissimuler son anxiété. Il décida de rentrer immédiatement, prétextant qu'il fallait aller voir les chats et proposa à ses filles de rester pour la soirée. Loris dormait. Ils embrassèrent son front. Faustine lui caressa la joue. Ils quittèrent la chambre. Une fois chez eux, il ne pu aborder ce sujet si répugnant à ses yeux et broda autour des révélations du médecin pour rassurer sa famille, aidé par une meute de ronronnements apaisants. Faustine et Jade rentrèrent tard chez elles après le repas, le cœur plus léger, pressées de retourner à l'hopital après leur journée de travail. Christophe dû prendre quelques verres supplémentaires pour trouver le sommeil. Sa nuit fut envahit de rêves malaisants. Il fut réveillé par un appel à l'aube du docteur Leroux qui lui demandait de venir au plus vite suite à un changement soudain de l'état de santé de son mari. Il resta vague et raccrocha promptement, ne laissant pas une seconde pour répondre quoique ce soit. Le médecin n'était pas aussi rassurant et calme que la veille. Une inquiétude pesante vint lui comprimer les tempes, probablement appuyé par l'alcool. Il eu l'idée d'apporter Miche, le chat le plus attaché à Loris. Le gros matou était une pâte. Ancien assistant d'un zoothérapeute, il avait prodiguer ses calins dans des maisons de retraites, des classes d'écoles spécialisées et des établissements médicaux pour réduire l'anxiété des patients. Christophe remit ses vêtements laissés au sol, bu une grande quantité d'eau avec du paracétamol et partit pour l'hôpital avec la caisse contenant un Miche calme et consentant. Le quart d'heure qui le séparait de sa destination fut difficile. La migraine était sous-jacente et les idées noueuses. Il se demandait ce qui avait pu se passer dans le nuit. Pour raccrocher aussi vite, le médecin doit avoir un truc grave à me dire... pas la mort bordel, j'ai dit aux filles que leur père n'allait pas mourir... Comment je fais sans lui... C'est l'espèce de parasite à tous les coups ! C'est dégueulasse d'imaginer un truc dans sa tête ! Ca me dégoute... Ca peut changer son comportement, j'en suis sûr... Si faut que je m'occupe de l'enterrement, je vais pas tenir...
Garant sa voiture au même emplacement que la veille, Christophe la ferma machinalement, en oubliant un instant le chat resté discret dans sa caisse. Il pesta et récupéra Miche qui somnolait. Ses pensées devinrent plus rationnelles, plus scientifiques et il se convainquit que Loris était entre de bonnes mains, qu'il était solide et pugnace, qu'il n'avait pas tous les éléments pour s'inquiéter et qu'il devait être - ou paraitre - fort pour l'aider au mieux. Les maux de tête avaient disparu, il était prêt à encaisser. Il monta dans le service après avoir signalé son arrivée à l'accueil et eu l'accord pour y emmener le chat. Au bout du couloir, docteur Leroux faisait le pied de grue devant la chambre. Dès qu'il apperçu l'homme, il s'élança vers lui, le salua rapidement et lui proposa de le suivre. Ils se retrouvèrent dans un petit bureau sans fenêtre, vide de toute décoration. Il ferma la porte et exposa la situation :
- Monsieur Faure, votre conjoint est tombé dans le coma cette nuit.
- D'accord, fît Christophe comme un robot.
- Nous avons fait une IRM et une SRM à la suite de cet évènement.
- Une quoi ?
- Une spectromètrie. Elle permet l'observation de certaines molécules. Nous en savons un peu plus sur le corps étranger qui occupe une place non négligeable dans l'organisme de votre ami.
- C'est à dire ? Vous savez ce que c'est ?
- Une chirurgie légère a été entreprise à la base du cou. C'est un être vivant à mi-chemin entre champignon et algue. Il est très gourmand en glucose. C'est à peu près tout ce que je peux vous dire pour l'heure. Des échantillons sont en cours d'examens en ce moment-même.
- Mais pourquoi Loris est dans le coma alors ? interrogea Christophe.
- On ne sait pas vraiment. Il est sous surveillance accrue en ce moment.
- Une opération ? Mais vous disiez que c'était dans le cerveau.
- Oui mais le corps étanger se développe et des ramifications apparaissent à fleur de peau.
Les deux hommes se regardaient dans les yeux, sans rien attendre l'un de l'autre. L'atmosphère lourde ne facilitait pas l'échange. Christophe comprenait que la situation s'agravait encore mais que le spécialiste en face de lui était dépassé. Le chat miaula faiblement, sortant le bureau de sa torpeur.
- Je... je peux le voir ? bafouilla Christophe.
- Oui oui... Et le chat, c'est une bonne idée je pense. Comment il s'appelle ?
- Miche. C'est le chat de Loris, enfin, un des chats qui habitent chez nous.
- Vous en avez combien ?
- Sept. Quatre filles, trois gars, tous récupérés à gauche à droite.
- Ah oui ça commence à faire pas mal !
- Il a l'habitude des hôpitaux, il aidait un psychologue lors de séances de zoothérapie, précisa-t-il en se levant de sa chaise.
Le médecin l'imita, contourna le bureau pour ouvrir la porte et l'invita à sortir. Christophe comprit qu'il n'allait pas l'accompagner jusqu'à la chambre de Loris. Lui et Miche remontèrent le couloir vide sans précipitation. Une fois entré, Christophe posa la caisse au pied du lit et ouvra la grille puis prit sur lui et embrassa le front de Loris. Ce dernier affichait un teint rose et, en l'absence du tuyau du respirateur, un sourire à peine perceptible aux lèvres. Il paraissait en meilleure forme que la veille. Miche se faufila en un mouvement fantômatique comme seuls ces félins savent faire, ondulant son pelage sable jusqu'au visage endormi. Un ronronnement sonore vint réchauffer les cœurs tandis que des coups de tête affecteux frottaient le menton à la barbe naissante. Christophe s'assit sur le bord du lit et carressa leur chat étalé de tout son long sur le torse qui montait et descendait régulièrement.
"Tu es trop mignon toi, chuchota Christophe au chat, toi aussi mon chéri, dit-il vers Loris en souriant. Je ne sais pas ce qu'on va faire. Le doc m'a dit que tu étais dans le coaltar. Pourtant tu as l'air bien là. Tu rigoles même. Il ne m'a même pas dit tu n'avais plus besoin du respirateur. Il avait l'air largué... Il ne sait pas ce que tu as. Et là je parle tout seul..."
Soudain, Miche, posé sur le flanc, se figea, les yeux rivés sur le visage de Loris. Le chat se redressa à la hâte sans bouger sa tête comme s'il était mécanique puis recula en miaulant, face à un danger. Loris ouvrit grand les yeux ce qui eut pour conséquence de faire bondir Christophe du fauteuil puis le figea. Au pied du lit, le dos rond, le poil hirsute, crachant et feulant tout ce qu'il pouvait, l'animal vivait la pire expérience de sa vie. Loris garda le regard droit, sourire aux lèvres, sans prononcer un mot, se redressa sans difficulté et tendit les bras vers la bête sauvage qui jaillit comme une balle de pistolet au visage du malade. Christophe se précipita à son tour pour saisir le diable déchainé qui lacérait le visage du pauvre homme visiblement insensible à la situation et à la douleur. Le chat s'affola tant qu'il finit projeté dans le couloir après avoir déchiqueté la chemise de son second maître et disparu. La chambre retomba dans le silence. Le sang coagula instantanément tout comme Christophe, bloqué en tentant de comprendre ce qui venait d'arriver.
- C'est quoi ce bordel ! Putain !
Loris tourna la tête avec le même sourire que lors de son coma, la peau du visage gravée d'un rouge foncé qui ne coulait pas. Il regarda ses mains puis fit des signes approximatifs : il voulait écrire. Son sourire périt tandis qu'il pivotait pour mettre les jambes dans le vide. Christophe trouva un stylo et une enveloppe déchirée et lui tendit à bout de bras. Il ne pouvait masquer son dégoût devant ce regard sans émotion et les multiples marques carmins. Cela n'a pas eu l'air de toucher Loris qui commençait à écrire, s'appuyant sur sa cuisse. Le stylo bougeait lentement. Christophe tourna le lourd fauteuil pour lui faire face et ne put s'empêcher de regarder les lignes tracées par les fines griffes. Après plusieurs minutes où Christophe remarqua que son compagnon n'avait pas cligné des yeux, ce dernier lui rendit le papier. JE ME SENS BIEN. JE NE RESPIRE PAS. JE CROIS QUE JE SUIS MORT.
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