Chapitre 1

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  • Les messagers de la Reine sont de retour !

Quand l’annonce du hérault résonna dans les couloirs, Katani grimpait déjà quatre à quatre les marches de pierre du grand escalier. Ils la menaient au plus haut balcon du palais.

Essouflée, les tresses de sa chevelure de jais en bataille après sa rapide cavalcade, la jeune princesse s’agrippa au garde-fou. Juste à temps pour voir les Laïggos survoler la plaine jouxtant la Cité. Elle reconnut aussitôt Laïfa, la monture de Rafa, son garde du corps personnel. Il était un fils du Dévoreur de Vie, comme ceux qui sillonnaient le ciel à ses côtés. Leurs montures étaient le reflet de leurs âmes. Ils parvenaient à le faire naître à la matière après leur baptême. Katani trouvait le reflet de l’âme de Rafa merveilleux. Laïfa, colosse couleur de nuit dotée d’une gueule carnassière surmontée de deux yeux dorés, était le seul Laïggos sans ailes qu’elle connaissait. Il volait bien sûr mais toute sa grâce se révélait lorsqu’il courait à pleine vitesse.

« Il va descendre, pesta-t-elle pourtant à mi-voix »

Comme s’ils l’avaient entendue, la magnifique créature et son cavalier décrochèrent soudain. Ils piquaient à vive allure vers le sol. Elle les perdit de vue mais elle les avaient si souvent admirés dans leurs courses qu’elle les imaginait comme si elle y était.

Quand les pattes de Laïfa toucheraient le sol, ce serait comme une caresse. Aussi improbable que cela puisse paraître, elle accélérerait aussitôt sans aucun effort apparent, juste la joie sauvage de la monture et son cavalier.

Silencieuse, Katani accompagnait de ses pensées l’Ardent et son Laïggos. Laïfa épousait si bien le terrain qu’on pouvait croire que la terre elle-même se mouvait pour rester auprès d’elle. L’herbe s’inclinait sur son passage effleurant ses flancs pour ensuite retrouver sa place. Nulle trace du passage de l’immense créature, si ce n’est une légère vibration.

Katani entendit les lourdes portes du palais s’ouvrir. Rafa serait bientôt dans l’enceinte.

Quand il apparut dans la cour du palais, elle eut à peine le temps d’apercevoir l’ombre de Laïfa. Rafa se tenait déjà debout, seul, devant les majestueuses marches menant à la grande salle d’audience. Un léger éclat de la pierâme qui ceignait le front de l’Ardent, témoigna encore de la fabuleuse Laïfa lorsqu’il leva brièvement les yeux pour saluer la princesse.

Un sourire éclatant fiché sur les lèvres, Katani quitta en trombe la balustrade. Elle voulait être parmi les premières à saluer l’Ardent et ses compagnons. Ils devaient être reçus instamment par la Reine Ayevi afin de lui délivrer la réponse du Seigneur des Flammes Sacrées, Gregan.

Après avoir descendu une volée de marches, Katani s’arrêta brusquement devant un couloir.

Elle avait eu l’intention d’aller directement à la Grande Salle. Son ombre échevelée sur les murs de l’escalier venait de l’en dissuader. Sa sœur Ayevi avait été clair : elle l’autorisait à assister à l’arrivée des messagers, à condition qu’elle ait la tenue seyant à son rang de princesse et, que son attitude soit exemplaire. Katani grimaça à l’évocation de sa sœur la tançant doctement à ce sujet, pourtant elle s’élança à vive allure vers ses appartements.

À peine la porte refermée derrière elle, elle se dirigea vers son miroir d’apparat. Une nouvelle grimace apparut sur son visage juvénile. Sa robe était froissée tandis que la coiffure savamment réfléchie le matin même, finissait de disparaître au profit de mèches rebelles et ondulées. Elle soupira et invoqua aussitôt une troupe de fées coiffeuses pour arranger tout cela tandis qu’une armées de fées habilleuses s’occupaient de ses atours.

Elle ricana en imaginant l’air outrée d’Ayevi devant une telle débauche de magie pour un acte aussi futile.

« Mais enfin Katani ! Quand on pense qu’il te suffisait de prêter attention à ta mise, de ne pas être si brusque et indélicate ! Quel gachis ! Ne te rappelle-tu donc pas de l’histoire de notre lignée ?... gnagnagna…. Reines-sorcières…. Gnagnagna…. Sacrifice…. Gnagnagna… »

Katani soupira puis jeta un nouveau coup d’œil à son reflet. Elle était loin de l’apparence parfaite de sa sœur, jugea-t-elle d’un œil critique. Elle décida cependant que cela suffirait.

Elle repartit à une allure vive bien que plus modérée afin de ne pas gâcher ses efforts de dernière minute.

Lorsqu’enfin elle entra dans la Grande Salle d’Audience, Ayevi trônait déjà, l’air royal, sur son estrade. La Reine regarda attentivement sa petite sœur avancer puis lui faire une révérence. Après l’avoir invitée à se relever, elle l’enjoignit, d’un signe de tête, de venir se poster debout auprès d’elle.

Gagné ! s’encouragea Katani en obéissant à sa sœur.

En passant à ses côtés, elle crut même apercevoir l’ombre d’un sourire satisfait sur les lèvres de la Souveraine.

Katani se retint de lever les yeux au ciel. Ayevi répétait à l’envi qu’elle la connaissait mieux que personne, que nul, à part elle, ne savait lui faire entendre raison. Elle se trompait lourdement. Ayevi possédait une érudition sans pareille concernant leur famille et son rôle de Reine. Katani l’admirait pour cela autant qu’elle la raillait concernant ses piètres capacités à être une grande sœur. Si Ayevi était sa sœur par le sang, la jeune princesse avait choisi Rafa comme frère de cœur. Ainsi, seul lui, pouvait lui faire entendre raison. Or avant de partir, il lui avait demandé de s’efforcer de garder son calme, d’éviter de chercher querelle à la Reine et enfin de lui faire l’honneur de l’accueillir aux côtés de la Souveraine à son retour.

Elle avait promis. Elle tenait, ce jour, fièrement sa promesse.

Ainsi, elle se posta diligemment auprès de la Reine, bien droite, une expression neutre sur son visage, les mains sagement croisées sur le devant de sa robe.

  • Faites-entrer les messagers, Chambellan, ordonna alors Ayevi.

Les portes ouvragées de la salle s’ouvrirent pour laisser entrer les trois Ardents qu’Ayevi avait envoyés pour consulter le Dévoreur de Vie. Rafa occupait le centre de la procession. Il était entouré de Dila, une Ardente grande et svelte aux cheveux ambrés et de Méta, un colosse au crâne lisse.

Ils s’inclinèrent devant leur Souveraine et Katani. Celles-ci leur accordèrent un léger signe de tête en guise de salut. Katani s’efforçait d’avoir une attitude en tout point irréprochable aux yeux de sa sœur même si dans le secret de son cœur, elle piaffait d’impatience.

Elle ne quittait pas des yeux Rafa espérant récolter un regard, une mimique qui pourrait lui indiquer s’il avait pu transmettre sa requête et, peut-être même lui donner une idée de l’hypothétique réponse qu’il aurait obtenu.

Les Ardents, surtout les fils du Dévoreur, étaient connus pour leur capacité à demeurer impassibles même au cœur des plus féroces batailles. Rafa ne faisait pas exception mais, au fil des années, Katani avait appris à percevoir les plus subtils changements dans l’attitude comme les expressions de celui qui veillait sur elle jour et nuit.

Ce qu’elle devinait, derrière son visage de marbre, n’augurait rien de bon.

  • Messagers, messagère, avez-vous fait bon voyage ? s’enquit d’abord Ayevi, comme cela était d’usage.
  • Oui, Votre Altesse, tout s’est bien passé, lui répondit Dila.

Katani se demanda pour la millième fois pourquoi l’on continuait à perdre du temps avec ses coutumes desuètes. Il ne se passait jamais rien de fâcheux, ni d’inédit à Éphémia. Leur territoire avait été créé par une lointaine ancêtre de Katani, une reine-sorcière particulièrement puissante, nommée Amari. Il était écrit dans le Grimémoire qu’elle avait sacrifié sa vie pour irriguer cette Terre de sa magie et créer le Voile qui la protégerait à jamais des dangers du reste du monde. Sa fille unique s’était alors assise sur le trône afin que perdure le sortilège. Depuis, aucun danger n’avait jamais menacé leur royaume et personne n’avait jamais franchi le Voile jusqu’à ce qu’apparaisse Matâm.

Matâm, cet homme mystérieux dont s’était entiché sa sœur, représentait le premier évènement marquant depuis des siècles. Il prétendait venir d’Outre-Monde. Il racontait s’être perdu dans les brumes du Voile et avoir fini par atterrir ici. Katani avait beaucoup de mal à le croire et le prenait plutôt pour un affabulateur des marais, elle s’était très vite désinteressée de cet individu. À sa grande surprise, ce dernier avait réussi à gagner la confiance de la Reine et même son amour.

Il se disait Seigneur de l’Outre-Monde et avait prié Ayevi de le laisser tenter la traversée. Il voulait ouvrir une voie vers Éphémia pour son peuple, afin de le mettre à l’abri des multiples dangers, selon lui, qui sévissaient derrière le Voile. Ce n’était qu’à cette condition, lui avait-il expliqué et répété qu’il pourrait entièrement s’abandonner à l’amour immense qu’il éprouvait pour elle. Elle l’avait cru. Cependant, ouvrir ou affaiblir le Voile allait à l’encontre de toute l’histoire de leur lignée. La Reine avait donc envoyé ses messagers consulter le Seigneur des Flammes Sacrées, l’Oracle d’Éphémia et la Voix du Dévoreur de Vie.

Katani trouvait l’engouement de sa sœur, stupide et exagéré mais comme cela servait ses secrets intérêts, elle s’était bien gardée de le dire. Elle avait même approuver sa sœur d’un air distrait, lorsque celle-ci avait fait part de sa décision à Matâm lors d’un dîner « familial », comme la Reine se plaisait déjà à les appeler.

  • Avez-vous pu transmettre ma question au Seigneur des Flammes Sacrées ? demanda solennellement Ayevi.

Cela ramena Katani à l’instant présent et à sa propre requête nettement moins officielle.

  • Oui Majesté. Il a consulté le Dévoreur de Vie, comme vous le lui avez enjoint, assura Dila.

Katani, quant à elle, ne quittait pas des yeux Rafa qui, pourtant, l’ignorait superbement. Malgré la pénombre, elle trouvait son regard orageux.

  • Qu’a répondu le Dévoreur ? s’enquit Ayevi, une pointe de tension inhabituelle dans la voix.

Ce Matâm, même absent, avait décidément l’art de troubler la Reine plus que de raison. D’habitude, elle rivalisait haut la main avec les Ardents, dans la capacité à garder un flegme à tout épreuve.

Méta s’avança.

  • Voici ces mots, Votre Altesse : « Le Voile fut et perdure grâce à la volonté et à la foi des Reines-Sorcières. Il est ou il n’est pas. S’il est, nul ne peut le traverser. S’il n’est plus, le monde tel que nous le connaissons disparaîtra. »
  • Pourtant Matâm l’a traversé ! s’insurgea Ayevi. Ne le lui avez-vous pas dit ?
  • Si, ma Reine, nous le lui avons dit.

Katani perçut la colère sourde qui envahissait sa sœur.

  • Des paroles sybillines sans aucun intérêt, l’entendit-elle murmurer.
  • Le message du Dévoreur n’est pas terminé, ma Reine, intervint Dila.
  • Eh bien poursuivez !
  • « La première seconde de la Lignée d’Amari est appelée à venir dans la bouche du Dévoreur. Il en va de la survie d’Ephémia. », déclara Méta d’une voix grave tandis que Rafa baissait la tête.

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