Une tension étrange balaya le vide. Deux yeux d’un noir abyssal la fixèrent avant de disparaître. Katani crut entendre l’écho lointain d’un rire satisfait.

Tout se mit à tourner autour d’elle. Elle se trouva soudain au cœur d’un tourbillon. Des voix, des odeurs, des couleurs familières s’y dissolvaient.

• Réveille-toi, Reine-Sorcière ! résonna une voix grave et puissante suivies par d’autres plus cristallines.

Des multitudes de voix la sommaient de se réveiller tandis que la tornade gagnait en puissance.

Soudain, les voix se turent. Le gigantesque typhon lui fonça droit dessus. Elle ouvrit la bouche pour hurler. Il la percuta avec une violence inouie avant de s’engouffrer dans son corps.

Elle ouvrit les yeux, à nouveau paralysée, les mains prisonnières de la table.

En son sein, grondait l’ouragan. Elle le sentait palpiter. Il abritait une énergie colossale.

« Ta Magie, petit chat sauvage, lui murmura une voix douce et féroce. Ouvre-lui la porte. »

Mû par un instinct venu du fond des âges, elle s’exécuta. Une gigantesque onde de chaleur la secoua. Son aura brillant comme un soleil dans et autour d’elle, elle se libéra instantanément de sa prison de glace. La table trembla sous ses doigts.

Dès qu’elle put bouger, elle se tourna vers Rafa, toujours inerte.

• Katani ! Laisse-moi faire, lui enjoignit Ayevi qui s’était relevée.

La princesse hésita lui lança un regard méprisant.

• Je n’ai pas besoin de toi, siffla-t-elle d’une voix acide.
• Katani ! s’insurgea Ayevi.

La jeune fille ne lui prêta aucune attention. Elle avait déjà retiré ses mains de la table pour les diriger vers Rafa.

• Attends ! Je vais te donner la formule adéquate, abdiqua Ayevi.
• Pas la peine.

Son Aura fluide se déployait déjà autour du guerrier tandis qu’elle murmurait en une langue qu’elle n’avait pourtant jamais apprise auparavant.

Quelques minutes plus tard, Rafa se trouvait debout devant elle, en pleine forme.

• Katani, souffla la Reine d’une voix tremblante d’effroi.

La princesse surprise, se tourna vers sa sœur. Le visage de cette dernière pâlit. La peur se lisait dans ses yeux. Jamais Katani n’avait vu Ayevi si désemparée.

Malgré cela, la jeune fille resta habitée d’un calme aussi solide que saugrenu. Elle peinait même à réfréner l’étrange sourire qui voulait étirer ses lèvres.

Avec tranquillité, elle fit volte-face pour voir ce qui effrayait tant sa sœur.

Les flancs du Dévoreur de Vie ruisselaient de lave. Katani frissonna. D’excitation. Le spectacle était magnifique.

• La terre tremble, entendit-elle murmurer sa sœur. Katani, il faut que…
• … Vous répondiez à l’appel du Dévoreur. Il vous attend, trancha Rafa.
• Une minute, Rafa. Qu’est-ce qui t’inquiète tant, ma sœur ? voulut savoir Katani.

Les tremblements de terre n’étaient pas rares aux abords du Dévoreur, elle savait que sa sœur en avait vu d’autres.

• Toi, Katani ! Tu fais une crise de Sauvagerie… Le Flux te possède… tu dois reprendre le contrôle avant de faire des choses que tu pourrais regretter.

Une bouffée de fureur s’empara de la jeune princesse. Folle de colère, elle sentit le Flux crépiter sur sa peau telle une nuée d’arcs électriques.

• Quoi que je fasse, cela ne te convient jamais ! cracha-t-elle en adressant un regard meurtrier à sa sœur. Pas assez ceci, trop cela !
• Tu te trompes. Rappelle-toi, nous en avons déjà parlé. Calme-toi !
• Des exigences ! des ordres ! À ton tour d’écouter !

Une explosion assourdissante satura l’atmosphère. Le Dévoreur de Vie entrait en éruption.

• Katani, s’il te plaît, sois raisonnable !
• Pour la dernière fois, tais-toi ! cria la princesse hors d’elle.

Elle était déçue et en colère. Il fallait qu’Ayevi le comprenne. Cette fois, elle ne donnerait pas le choix à la Reine.

Elle leva les bras, deux éclairs blancs et grésillants en sortirent.

Fascinée, elle les regarda danser dans le ciel tels de gigantesques fouets. Elle fit jouer ses bras pour créer des arabesques de plus en plus complexes.

L’une d’entre elles finit sa course sur la table des messagers. La dalle massive explosa sous l’impact. D’innombrables projectiles jaillirent en gerbes assassines tout autour d’eux.

Le fracas des brisures de roches sortit instantanément Katani de sa transe.

Elle tituba, terrifiée des pensées qui venaient de la traverser. Rafa qui, par miracle, se tenait indemne à ses côtés, la soutint. Il scrutait le nuage de poussière soulevé par la chute des roches et les fumées du volcan qui envahissaient petit à petit l’atmosphère.

• Votre Altesse ? appela-t-il. Où êtes-vous ?
• Je suis là, répondit une voix faible tandis que la silhouette de la Reine émergeait du rideau opaque qui les entourait.

Sa belle robe était déchirée en de multiples endroits et une lègère entaille entâchait sa joue de sang. Rafa jeta un œil à Katani qui hocha piteusement la tête. L’ardent se porta aussitôt au devant de la Reine.

• Je vais bien Rafa. J’ai juste quelques égratignures, lui dit-elle en s’appuyant tout de même sur le bras qu’il lui offrait. Katani, est-ce que tu es blessée ?
• Non… je suis désolée, Ayevi.

La Reine ne lui répondit pas. D’un geste de la main, elle libéra un flux de lumière qui leur dégagea la vue sur le Volcan. Elle observa les gerbes de laves qui s’en échappaient puis les panaches noirs qui obscurcissaient le ciel, l’air préoccupé.

• Il se passe quelque chose d’inhabituel.
• Ce n’est pourtant pas la première fois que le Dévoreur entre en éruption, ma Reine.
• Elles sont rarement aussi soudaines ou aussi fortes… et puis, ce n’est pas ça. Katani l’a senti, n’est-ce pas petite sœur ? interpella-t-elle soudain la princesse.

Katani qui se sentait désormais fiévreuse, fut pris au dépourvu par la question d’Ayevi. Elle peinait à tenir debout alors mettre des mots sur ce qu’elle venait de vivre…

Elle n’avait pas perçu quoique ce soit provenant du Volcan.

• Qu’as-tu senti quand tes mains étaient prisonnières de la Table ? insista Ayevi.

Après ce qu’elle venait de lui faire subir, Katani devait bien des réponses à sa sœur.

• J’ai cru que j’allais mourir… que j’étais morte. Et puis, j’ai entendu des voix, des milliers de voix qui m’appelaient… j’ai eu peur pour… vous, pour Éphémia. Cela m’a ramené avec assez de Magie pour me libérer.
• Oui, le courant Sauvage s’était emparé de toi… Et puis ?
• Tes mots …
• Tu étais furieuse…
• Oui… j’étais hors de moi. Tu n’écoutes pas ! Tu juges sans savoir ! Tu dois me laisser faire ! Je suis ton alliée, pas ton ennemie ! s’écria Katani.

Les mots étaient sortis de sa bouche sans qu’elle puisse rien contrôler. Elle toucha sa bouche, elle avait l’impression d’avoir les lèvres en feu.

• J’ai compris. C’est d’accord, répondit doucement Ayevi en s’approchant de sa sœur.

La chaleur qui assiégeait Katani la quitta si brusquement qu’elle se mit à trembler de froid. Elle se sentit sombrer dans l’inconscience. Alors qu’elle allait tomber à genoux sur le sol, Ayevi la rattrapa. Elle l’enlaça avec tendresse.

• Tiens bon. Cela va passer.
• Qu’est-ce qui m’arrive ? demanda la princesse épuisée.
• Je ne sais pas exactement, petite sœur. Voilà ce que je crois. Comme j’ai délibérément choisi de ne pas écouter les messsagers du Dévoreur alors il a fait en sorte de s’emparer du seul être qui pourrait m’obliger à l’écouter… toi.
• Il aurait dû choisir Matâm, cela aurait été plus rapide, ne put s’empêcher de rétorquer Katani sur un ton amer.

Un gros soupir traversa la Reine.

• Combien de fois devrais-je le répéter ? Que tu le crois ou non, tu es la personne qui m’importe le plus au monde ! et une sorcière puissante et impulsive, capable de me faire exploser une table gigantesque à la figure. Le Dévoreur a vu juste. Tu es la seule personne qui ait de l’influence sur mes décisions… La seule que je fasse passer avant tout, même avant mes devoirs de reine protectrice d’Éphémia.
• Mais …
• Trève de bavardages ! Allons voir Gregan, la coupa Ayevi en lui tendant la main.