Une drôle de sensation poussa Katani à se redresser pour découvrir d’où venait cette lumière. Quand elle tourna la tête, elle découvrit deux yeux rouge sang qui la contemplaient.

Aiguillonnée par la peur, elle se leva d’un bond en déployant son aura bouclier. Comme si cela était un signal, un corps se matérialisa autour du regard grenat. Bientôt de longues griffes raclèrent le sol. La bête occupa très vite tout l’espace de l’ouverture. La source de lumière se tarit. Elle ne fut plus qu’un trait blanc découpant la silhouette massive de l’être couleur de nuit qui s’avançait vers eux, toutes dents dehors.

Le bouclier de Katani grandit jusqu’à épouser les contours de la pièce où ils se trouvaient. Le monstre n’en eut cure, il continua d’avancer. Arrivé devant la barrière violette, il se redressa sur ses deux pattes arrière pour griffer avec violence ce rideau qui le tenait loin de ses proies.

Une vive douleur irradia les bras de Katani, de grandes estafilades sanglantes y apparurent mais son bouclier tint bon. Elle recula pour échapper aux attaques du monstre.

Elle buta sur Rafa qui s’était relevé aussi.

• Nous n’allons pas pouvoir reculer ainsi longtemps. Elle va nous acculer au mur.
• Je sais, grogna Katani. Qu’est-ce que c’est que cette chose ?
• Aucune idée, répondit-il en passant à son tour à l’attaque.

Des jets de flammes traversèrent l’aura de la princesse pour finir droit sur le torse de la bête. Cette dernière poussa des cris déchirants à leur contact. Elle se débattit avant de retomber sur ses pattes. Quand elle releva la tête, ses yeux brillant de rage et de haine déversaient des larmes acides qui laissaient des traces fumantes sur son museau. Elle dévoila une rangée de dents acérées avant d’ouvrir grand sa gueule. Une onde stridente d’une intensité tranchante en sortit. Elle ébranla l’Aura de Katani comme un séisme pour remonter jusque dans les os, la colonne vertébrale, le crâne de la princesse. Elle eut l’impression qu’une avalanche de roches dévalait sur son corps.

Elle hurla à son tour de douleur. Les larmes aux yeux, elle tint debout. Elle perdit du terrain mais son bouclier ne céda pas.

• Elle a l’air tellement furieuse, nota Katani pétrifiée par la façon dont les regardait le monstre.
• Elle imaginait peut-être que nous serions une proie facile.
• Je ne crois pas. Tu as vu son regard. Il est si haineux. On dirait qu’elle nous déteste du plus profond de son être, si fort que cela la fait souffrir.

La créature recula puis s’élança pour venir donner un coup de tête d’une force colossale dans le bouclier de Katani. Puis, elle recommença telle un butoir vivant. Katani hurlait de terreur à chaque coup. En sueur, elle tenait le coup mais à chaque impact, elle sentait ses membres trembler et faiblir un peu plus. Elle percevait aussi chaque coup porté en son for intérieur, comme un reproche brûlant dont elle ignorait la raison.

Rafa unit à nouveau son aura à la sienne pour la soutenir dans son effort.

• Tu as raison … je le sens quand elle touche nos auras. C’est un condensé de rage et de haine qu’elle déverse sur nous. Comme si elle nous en voulait à mort.

La jeune fille fut vite convaincu qu’ils ne pourraient endiguer ce flot encore longtemps. Imperceptiblement, ils perdaient du terrain. Ils finiraient écrasés entre son bouclier et le mur.

Au coup suivant, au lieu de résister, elle laissa son aura s’assouplir pour amortir le choc et envelopper la bête. Le monstre s’échappa.

Il revint à la charge aussitôt. Katani tenta à nouveau sa manœuvre soutenue par Rafa qui, cette fois, avait pu accompagné son changement de stratégie. Ils parvinrent à envelopper la créature toute entière. Cette dernière, le regard fou, ruait en tous sens.

• Tu te trompes, lui dit Katani. Nous ne sommes pas des ennemis. Nous ne te voulons pas de mal et nous ne sommes pas ceux que tu crois…

Le monstre ne parut pas l’entendre et continua de se débattre manquant à plusieurs reprises de se libérer. Les deux auras étaient agités de remous et d’éclairs comme s’ils reflétaient les violentes émotions de la bête.

• Calme-toi. Nous ne te blesserons pas. Cet affrontement est néfaste pour nous tous, persévéra Katani en essayant à son tour de diffuser son état d’esprit dans leurs auras.

Elle insista de longues minutes malgré la fatigue qui, peu à peu, s’insinuait dans tous ses membres, malgré lesestafilades, les ecchymoses et les bosses qui couvraient peu à peu son corps.

Alors qu’elle perdait espoir et envisageait avec tristesse une solution plus douloureuse pour eux tous, la créature cessa de bouger. Elle tourna lentement sa tête triangulaire vers Katani et Rafa. Ses yeux avaient perdu leur couleur écarlate, deux billes vertes aussi claires que l’eau d’un ruisseau se posèrent sur eux. Le corps de l’immense créature s’évanouit dans les airs. Les yeux contemplèrent la jeune fille encore un instant avant de disparaître à leur tour.

Katani baissa les bras puis tomba à genoux. Aussi épuisée que soulagée, elle laissa libre cours à la pluie de larmes qui s’échappaient de ses yeux pour finir leur course sur le sol.

Rafa s’agenouilla auprès d’elle et passa un bras autour de ses épaules.

Après avoir pris le temps de se reprendre, ils se relevèrent de concert. Rafa et Katani s'entre-regardèrent, ils étaient tous les deux parés de multiples griffures et d'hématomes violacés. Cependant, ils étaient debout et encore capable de marcher. Il était temps d’aller vers cette source de lumière.

L’ouverture en forme d’arche par laquelle était arrivé la créature donnait sur un gouffre dont les profondeurs ne laissaient pas deviner le fond. Une mince bande de pierres permettait de le traverser.

• Crois-tu que le monstre soit passé par là ? demanda Katani perplexe.
• Peut-être est-il plutôt arrivé de là, suggéra Rafa en désignant les noires abysses du gouffre. Mais trève d’hypothèses invérifiables, la vraie question est …

Katani ne lui donna pas le temps de finir. Tant qu'elle sentait le courage, elle s’engagea sur la fine bande de pierre.

• En route vers ce petit soleil, Rafa ! lui lança-t-elle d'une voix qu'elle voulait brave, en lui désignant l’arche qui se dessinait de l’autre côté du trou béant.

La clarté qui s’en échappait était si intense qu’il ressemblait à un astre miniature.

Avec prudence mais d’un bon pas, ils eurent tôt fait de traverser la cinquantaine de mètres qui les en séparait.

Ils durent mettre les mains en visière pour se protéger de l’éclat de la source lumineuse. Ils s’en approchèrent aussi près qu’ils le pouvaient.

• Ceux sont des flammes, murmura Katani. D’étranges flammes blanches.
• Oui, confirma Rafa. Un mur de flammes glaciales.

En effet, tout près de ce rideau, la roche se couvrait de cristaux de glace. Katani sentit le froid s’insinuer sous ses vêtements pour piquer sa peau. Elle jeta un coup d’œil derrière elle, où régnait l’obscurité. Elle balaya aussi du regard les alentours. Elle ne repéra aucune autre issue.

• Il va falloir traverser, décréta-t-elle d’une voix peu assurée. Hors de question de faire demi-tour.

Rafa se posta à côté d’elle en silence. Sur ses bras et ses mains, apparurent les ardents feux folets. Katani tendit les mains et les ouvrit. Son aura, comme mue d’une volonté propre, se déploya en volutes tout autour d’eux pour former comme un cocon. Dans cet écrin, le Feu Ardent parvenait à les réchauffer. Pour l’instant.

• Allons-y, décréta la jeune fille avant que la peur ne la paralyse.

Quand ils entrèrent dans le brasier, ils furent aveuglés mais aussi cloués sur place par l’intensité du froid qui y régnait. Il était si coupant que Katani eut l’impression d’ingérer des aiguilles à chaque respiration. Rafa claquait des dents. Malgré cela, l’Ardent parvint à augmenter l’intensité de son feu. Suivant l’exemple de son protecteur, Katani tachâ d’insuffler plus d’énergie dans les filaments de son aura qui tissaient le cocon. Cela parut porter ses fruits. Leur enveloppe protectrice prit une couleur plus sombre à mesure qu’elle épaississait. Ils réussirent à entamer leur avancée dans les flammes.

Katani comptait leur pas en silence afin de rester concentrée. Après mille et des poussières, elle perdit le compte. Rafa lui aussi était à la peine. Le regard fixé sur le sol, le visage blême et les lèvres bleues, chaque pas lui arrachait un rictus de souffrance. Elle aurait voulu lui parler mais sa bouche refusait de bouger depuis belle lurette. Elle se décala légèrement pour que son épaule touche le coude du grand guerrier. Ce contact la rassura car elle ressentit aussitôt la chaleur du corps de l’ardent.

Il perçut lui aussi le contact car il tourna tout de suite la tête vers elle. Leurs yeux se rencontrèrent. Elle perçut toute la détermination de ce dernier mais pas seulement. Toute l’affection qu’il lui portait passa dans son regard. Cela la réchauffa mieux que le plus grand des brasiers. Et soudain, elle en eut assez. Assez d'être le jouet de l'entité volcanique, assez d'être le jouet du destin. Elle était la descendance d'Amari, l'une des plus puissantes sorcières du monde. Sa soeur n'avait de cesse de lui répéter qu'elle se devait d'être à la hauteur de ses origines. Qu'il en soit ainsi !
Elle s’arrêta net. Les poings serrés, elle leva les bras.

• Cela suffit ! cria-t-elle, se déchirant les lèvres et la gorge. Dévoreur de Vie, tu m’as appelée, moi l’unique seconde de la lignée d’Amari ta créatrice. Je suis là ! Et j’en ai assez ! Tu n’as que trop joué avec moi ! Montre-toi et dis-moi ce que tu attends de moi maintenant !

Son aura avait repoussé le mur à quelques mètres d’eux.

• Katani, ce n’est pas comme ça que …
• Les ardents parlent à leur maître, je sais. Mais je ne suis pas une ardente, lui répliqua-t-elle. Prends-moi le bras. S’il ne se montre pas, nous partons ! Cela a assez duré !

Rafa obtempéra en la regardant d’un air étrange.