Chapitre 17

6 minutes de lecture

Rafa et Katani traversèrent à nouveau le champ de lin d’hiver. Les jeunes épis dévoilaient leur brillance sous les caresses des premiers rayons du soleil.

Ils trouvèrent le petit hameau des maguérisseurs qui s’égayait, peu à peu, de la présence de longues robes aux couleurs variées. Un camaieu vivant de brun, de vert, de bleu, de rose et de jaune, glissant au gré des allées venues des maguérisseurs sortant de leur logis se déploya puis se dispersa tandis que chacun partait remplir ses tâches quotidiennes.

La princesse et l’ardent suivirent au hasard, un courant d’habits vert mousse. Ils se retrouvèrent alors à l’orée du village, au bord d’un champ parsemé de jeunes pousses frêles, qui semblaient tout juste sorties du sol. Katani observa avec curiosité une jeune maguérisseuse, s’engager avec mille précautions dans l’espace de culture. Elle leva sa toge, se mit sur la pointe des pieds et parcourut le champ avec lenteur. Avant chaque pas, elle inspectait minutieusement, les alentours. Elle finit par s’asseoir en tailleur à même la terre. Les mains sur les genoux, elle inspira et expira profondément avant de clore les paupières.

D’autres se livrèrent ensuite au même drôle de cérémonial.

  • Que font-ils ? S’enquit la princesse auprès du maguérisseur le plus proche.
  • Ils accompagnent les jeunes plants dans leur croissance, répondit-il.

Katani attendit qu’il développe mais, il n’en fit rien. À la place, il siffla une longue trille cristalline qui ravit les oreilles de la jeune fille.

Ce fut comme un signal. Tous les maguérisseurs assis dans le champ levèrent leurs mains à l’unisson. Aussitôt, des rais lumineux venant du ciel, vinrent s’y concentrer. Ils demeurèrent ainsi un long moment.

Une nouvelle trille sifflée par le voisin de la princesse entraina un mouvement commun de leurs mains vers le sol et les jeunes pousses. Alors, leurs auras vertes et lumineuses jaillirent pour baigner l’ensemble de la terre. Sous les yeux ébahis de la princesse, les jeunes plantes semblèrent se mettre à onduler lentement.

  • Cela leur plaît, on dirait… murmura-t-elle.
  • Cela leur apporte ce dont elles ont besoin pour profiter à plein de leur existence, lui apprit le maguérisseur.
  • C’est merveilleux… Tu avais déjà vu ça, Rafa ?

L’ardent acquiesça avec un petit sourire.

Après quelques instants passés à observer cette scène paisible, ils continuèrent leur chemin.

Ils traversèrent un bosquet de jeunes arbres aux branches chevelus. Des méguérisseurs en récoltaient la sève qui coulaient en lentes larmes sur le bois gracile. L’atmosphère résonnait des doux chuchotements adressés aux végétaux par les êtres en toge vert sombre.

  • Veux-tu que nous allions visiter leurs ateliers ? demanda ensuite Rafa. C’est là qu’il fabrique les elixirs, les décoctions…

La jeune princesse, mûe par sa curiosité, en avait très envie. Cependant, elle parvenait difficilement à faire taire sa culpabilité.

  • Il faut que j’ailles voir ma sœur, objecta-t-elle. Elle doit être morte d’inquiétude.
  • Pourquoi n’essaies-tu pas de la contacter via votre lien ? Elle serait rassurée. Nous pourrions ainsi finir notre visite avant de retourner à la Cité. C’est important Katani …
  • Bon d’accord, abdiqua-t-elle, à contre-cœur. Je vais essayer. Mais, j’ai besoin d’être seule et tranquille.
  • Entendu. Regarde, ce petit bosquet là-bas, il n’y a personne.

Katani suivit la direction que lui indiquait l’ardent.

  • Oui, cela fera l’affaire.
  • Je t’attendrai devant le hall des guérisseurs.

Il lui fit un dernier sourire d’encouragement avant de reprendre la direction du village.

Elle le regarda s’éloigner avant de se diriger vers les arbres. Ils étaient quatre. Elle entra dans leur cercle dans l’intention de s’asseoir au milieu d’eux.

Une fois installée, elle inspira profondément pour se concentrer. Elle avait peur d’échouer… d’y parvenir… de la réaction de la Reine. Son cœur s’affolait dans sa poitrine. Ses yeux papillonnaient d’un arbre à l’autre. Elle se tança intérieurement en se remémorant la tranquilité et la douceur qui émanaient des maguérisseurs quand ils évoluaient au milieu des plantes ou des arbres.

  • Vous devez certainement préférer la présence des maguérisseurs, murmura-t-elle, dépitée aux troncs rugueux qu’elle avait sous les yeux.

N’attendant aucune réponse - seul Aldor pouvait communiquer-, elle leva les yeux vers l’étang de ciel dessiné par les frondaisons. Elle s’enjoignit au calme, tout en respirant profondément.

La danse des branches animées par un ondoiement presque invisible, apaisa son esprit tourmenté.

Étonnée, elle se rendit compte qu’elle perçevait différemment la présence des arbres. Il lui semblait partager des bribes de leur conscience. Des fragments de leurs sensations venaient s’échouer dans son esprit, comme des milliers d’éclats de coquillage sur une plage. La chaleur du soleil sur un rameau, les au-revoirs aux feuilles qui se détachaient lentement, les remerciements à la terre et à ses habitants qui prenaient soin de leurs racines, la vibration lente de la sève qui s’élance vers les sommets… l’écoute attentive du cœur affolé d’une petite reine-sorcière.

Katani sourit. Son aura se déploya tout autour d’elle pour aller taquiner en petits tourbillons ses hôtes silencieux.

Après cet échange joyeux, elle se sentit prête à voyager le long du lien, ce fil invisible qui la reliait à sa sœur, où qu’elle soit.

Elle le suivit, telle une étincelle qui virevolte sur un fil de lumière. Alors qu’en son sein, grandissait une joie qui lui chuchotait qu’elle était toute proche, elle fut soudain plongée dans un brouillard sombre et gluant. Il la freina jusqu’à la stopper. L’angoisse la gagna. Elle percevait la présence d’Ayevi quelque part, tout près, sans pouvoir jamais l’atteindre.

Elle porta les mains à sa gorge, elle commençait à étouffer. Elle tenta de se raisonner, de garder son calme. Malgré cela, elle sentait une angoisse sournoise ramper tout autour d’elle.

Elle ne pouvait plus crier. Désespérée, elle appela à l’aide dans le royaume du silence. Autour d’elle, des branches ployèrent quite à presque se rompre, pour la toucher. Alors, la brume visqueuse recula, autravers elle vit apparaître les arbres qui veillaient sur elle. Ils la maintenaient avec eux, malgré la menace des effluves rampant vers eux. Ils appelaient à l’aide avec elle.

L’Arbre Sacré répondit. Son chant lumineux fit reculer les sombres remugles.

  • Katani ! Reviens ! entendit-elle son Ardent protecteur l’appeler d’une voix puissante.

Elle vit sa pierâme briller au loin. Comme un phare, elle lui éclairait le chemin du retour. La petite étincelle s’y précipita.

L’étau enserrant sa gorge se desserra, elle ouvrit les yeux. Les arbres s’érigeaient à nouveau vers les cieux. De multiples morceaux de branches brisées tout autour d’elle témoignaient du combat qu’ils avaient mener pour protéger la jeune fille.

  • Merci, murmura Katani. Du fond du cœur.

Elle se leva en sanglotant. Ses jambes flageolaient mais, elle mit un point d’honneur à aller poser son front et enlacer chaque arbre pour leur témoigner de sa gratitude.

À peine eut-elle terminé que Rafa arriva. Elle se réfugia aussitôt dans ses bras.

Quand ses larmes furent taries, elle essuya rageusement ses yeux.

  • Prends-moi la main, Rafa ! On y va.

Pressée par un sentiment d’urgence, Katani se télétransporta directement au palais, devant la porte du bureau de sa sœur, l’endroit où elle devrait se trouver en ce début de matinée.

L’antichambre était déserte.

  • Aucun garde Croc, souffla Rafa à la jeune fille, aussitôt sur ses gardes.

Katani, de plus en plus inquiète, désigna la porte du bureau à l’Ardent, en lui signifiant qu’elle voulait y entrer.

Rafa lui fit signe de se placer derrière lui. Il avança avec précaution jusqu’à la porte afin d’y coller son oreille. Il informa Katani qu’il n’entendait aucun bruit suspect puis, il entreprit d’ouvrir la porte, Katani collée à ses talons. Il jeta un bref coup d’œil rapide avant de se reculer. D’un signe de tête, il fit passer la jeune fille devant lui.

La Reine était là, assise derrière son bureau, la tête posée dans ses mains.

  • Ayevi ! s’écria Katani, soulagée du poids immense de son angoisse.

Elle ouvrit grand la porte et se précipita vers sa sœur. Elle fut arrêtée par son regard morne et triste quand celle-ci releva lentement la tête.

Elles se dévisagèrent quelques instants avant que le visage de la Reine ne s’éclaire enfin. Cette dernière se leva pour faire le tour de la table.

  • Katani ! Tu es revenue, murmura-t-elle les larmes aux yeux. Tu vas bien ?

La jeune fille, rendue muette par l’émotion, acquiesça. La reine l’étreignit alors avec tendresse.

Elles restèrent un long moment dans les bras l’une de l’autre.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Carma ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0