Coupable
J'agis comme une coupable. Je baisse la tête, je ne dis pas un mot et j'avance. Nous sommes attachés les uns aux autres, cinq gardiens, Doc et moi. Dehors le soleil est cuisant, nous ne sommes pas habillés pour lui faire face. Je penses à Côme, j'espère qu'il va bien, je sais à quel point sa peau est fragile et j'ai peur que sa combinaison ne suffise pas. Lorsqu'un de nous tombe, il entraine avec lui tout les autres tant les liens qui nous relient sont courts. Nous sommes à peine nourri et l'eau qu'on nous cède est encore plus rare, ce qui rend le trajet plus difficile encore.
Enfin nous nous arrêtons pour la nuit, épuisés. Nous avons été placés à part du camp, les mains et pieds liés avec une seule et même corde. Disposés en couronne au pied d'un gros arbre nous ne pouvons pas nous apercevoir les uns les autres. Une partie de moi en est soulagée, mais l'autre se sent terriblement seule. Mais c'est ce que je suis : seule.
Je regarde la nuit, immense océan noir clouté de diamants. A certains endroits, la toile du ciel semble délavée, comme si le peintre malhabile avait laissé tombé de l'eau par mégarde. Je regarde tous ces petits points brillants dans la nuit. Elles sont magnifiques. Le ciel du désert est de loin la plus belle chose que j'aie vue. Je m'imprègne de ce sentiment de sérénité qui se dégage de ce tableau. J'aperçois un trait lumineux balayer la nuit avant de disparaître. Je reste quelques instant à scruter l'endroit ou il s'est éteint.
Je suis réveillée d'un coup de pied dans les côtes. Je me redresse en geignant. Il est bien loin le rêve rempli d'étoile de la veille. Le soleil est à peine levé que je le maudis déjà. Avant de nous mettre en marche j'aperçois la combinaison orangée de Come. J'esquisse un grand geste, ce qui n'a pour seul résultat que de faire lever les bras de toute la rangée. Je me prends un coup de coude du gardien derrière moi.
– Mais tu es dingue ou quoi ? Ils n'attendent qu'un prétexte pour nous abattre.
Je ne réponds pas, trop occupée à me dévisser le cou pour tenter de le voir de nouveau. Je croise quelques regards d'Exclus, mais ils détournent immédiatement les yeux. Je suis blessée. Je suis l'une des leurs et ils ne prennent pas la peine de me défendre ? Je me sens trahie. Je ravale mes larmes et avance comme on nous l'ordonne.
La faim me tiraille le ventre et me vrille l'estomac. Mes pieds me semblent lourds, et mes pas plus saccadés qu'au début de la journée. Je meurs de soif. Et ce soleil qui me brûle la peau ! Je suis bien heureuse d'avoir une blouse à manches longues sinon je serais couverte de coups de soleil. Je ne sais pas depuis combien de temps je marche ainsi, mais je sens un terrible mal de crâne monter. Pour me donner du courage, de la force pour me maintenir, je pense à Côme et Ayden. Oh... Ayden... Si je t'avais écouté, si j'avais été plus prudente et moins entêtée, je me serais épargnée bien des souffrances.
Le soleil plus brûlant que jamais, est à son zénith. Sous mes yeux à demi clos, le paysage ondule. La chaleur accablante semble émaner du sol, ondoyer. La corde qui entrave mes mains me taillade les poignets, laissant la chair échauffée à vif. Je traîne les pieds et mon corps en entier, j'avance tant bien que mal. Je dois m'y résoudre, personne ne viendra me donner à boire. Je tombe à genoux, emportant avec moi les autres prisonniers, je suis allée jusqu'au bout de moi-même. Mes jambes ne peuvent plus me porter, je suis épuisée. J'ai du sable plein la bouche et je ne parviens même plus à déglutir tant elle est sèche. J'envie alors la fraîcheur de mon institut, son eau en abondance et ses caves froides. J'envie ce que je m'étais jurée de détester. Je ne parviens pas à faire les efforts nécessaires pour me lever. Aussitôt, le petit groupe derrière nous, chargé de nous surveiller, est à notre niveau, hurlant des ordres que mon oreille ne perçoit plus.
– Tu ne peux plus avancer ?
Je fais non de la tête, complètement épuisée, ignorant à qui je peux bien parler.
– Je ne peux pas me permettre de ralentir tout le monde. Soit tu avances, soit je te tue. A toi de voir si les forces te reviennent. Debout !
Mais je suis plus qu'épuisée, je suis anéantie, même la peur de la mort ne me donne pas l'énergie dont j'ai besoin pour mettre un pied devant l'autre.
– Tant pis pour toi.
Je l'entends descendre de cheval et sortir un objet tranchant de son fourreau. Je vais mourir ici, dans le désert, égorgée comme un animal. Je me mord la lèvre jusqu'au sang. Je suis tellement déshydratée qu'il coule à peine.
– Je vais la porter !
Dans cette phrase Doc mets tout l'aplomb que je lui connais, toujours calme. La tête me tourne et je suis prise de nausées. Puis c'est le néant.
Lorsque je me réveille je ne sais pas ou je suis, je flotte dans une sorte de brouillard. Mes muscles et ma tête sont douloureux. Puis les souvenirs me reviennent. Je suis vivante, j'en rirais presque si je n'étais pas si épuisée. J'ai les mains liées avec mes pieds, ce qui, pour m'assoir, ne rend pas la tache aisée. Quelle heure est-t'il ? Sommes nous le soir ou au beau milieu de la nuit ? Dame nature nous illumine avec une lune croissante. Pas un chuchotement, pas un éclat de rire, rien. Tout est calme. Je tente de me redresser mais je roule sur le coté. Heurtant ce que je pense être une jambe, j'entend un grognement.
– Séléné est ce que c'est toi ?
Trop tard, Doc pose ses yeux sur moi. Il me voit a peine dans le noir mais je sais que je n'ai aucune chance de le tromper.
– M'avez vous vraiment portée?
Il fallait bien que je lui pose la question. Je ne comprends pas cet homme. Il tue des Exclus, les enferme, les fait souffrir, et pourtant aujourd'hui il m'a sauvé la vie. Malgré moi, ce qui s'est passé hier me revient en tête inlassablement. Pas seulement le cadavre du gardien de l'ascenseur. Mais que j'ai poussé Doc à fuir. Je ne sais pas pourquoi j'ai voulu le protéger alors qu'il nous a fait tant de mal.
– Je n'allais pas les laisser t'abattre. Il y a déjà eu trop de morts pour en rajouter de nouveaux.
Le silence nous surplombe à nouveau. J'écoute le bruit de la nuit, cette mélodie silencieuse qui nous enveloppe.
– Que crois tu qu'ils vont nous faire ? Me demande Doc, rompant la tranquillité de l'obscurité.
– Je n'en ai pas la moindre idée. Mais visiblement le prix de nos vies n'a que peu de valeur.
Les jours s'enchainent avec lenteur. Marche sous le soleil brûlant, terre desséchée, maigre repas et nuit calme. De temps à autre un coup dans le dos ou dans les côtes, mais nous tenons bon. J'aperçois de temps à autre un Exclu, loin devant. Je ne peux m'empêcher de me demander si ils se font du souci pour moi. En particulier Côme. J'espère égoïstement que c'est le cas. J'aimerais qu'il vienne me voir, rien qu'une fois, mais quelque chose me murmure que ça ne sera jamais le cas.
Alors que le jour commence à peine à décliner.
– Regardez c'est la Caravane ! Crie une jeune femme avec un air ravi.
Je tourne la tête dans sa direction et tout le monde en fait autant avant de regarder le doigt pointé vers des silhouettes mouvantes ondulante sous la chaleur. Certain sont a cheval, la pluparts sont à pieds. Lorsqu'ils s'approchent je ne vois ni armes ni bâtons. Ces gens là on l'air tellement plus pacifique que ceux qui nous trainent. Pourtant, ils s'étreignent les uns les autres comme des amis pourraient le faire.
Un homme âgé me regarde, de ses deux yeux rieurs surmontés d'épais sourcils blancs et broussailleux. Il n'y a ni colère, ni dégout quand il me regarde.
– Que fais tu attachée ici mon enfant ?
Je tente de parler, mais de ma bouche ne sortent que des balbutiements étranglés. Finalement je rends le peu d'eau que mon corps possède en laissant couler mes larmes.
– Na te laisse pas attendrir, c'est une traitresse. Elle a trahi les siens.
Je secoue la tête, désespérée.
–Faux, c'est faux.
Ma voix tiens plus du coassement qu'autre chose mais peu importe. En cet instant je veux que cet homme me croit, je ne veux pas que son regard sur moi change. Je lève le visage, offrant mes larmes au ciel, priant pour qu'il me croie.
– Peu importe.
Puis tournant les talons, disparaît dans la foule mélangée.
La nuit se charge de calmer les brûlures du soleil, apportant fraicheur et réconfort.
– Tiens bois.
Je sursaute au son de la voix.
– Le patriarche a vu du bon en toi, et il ne se trompe jamais.
Versant de l'eau dans ma bouche il se présente en temps que Zadig.
– Ma femme Marie est en train de discuter avec les membres du Clan. Nous savons que tu es innocente. Nous pouvons sentir des choses que ceux qui utilisent la manière forte ignorent.
Je m'étrangle en avalant de travers et me met à tousser. Aussitôt il retire la gourde de mes lèvres et essuie l'eau ruisselante sur mon menton avec sa tunique.
– Excuse moi, je suis allé un peu vite. Repose toi et laisse nous faire. Certains de tes amis on pris ta défense. Mais le Clan est plus coriace que ça. Ils veulent voir leur chef avant de décider quoi que ce soit.
– Comment va Côme ?
Il esquisse un sourire.
– Tu as bien de la chance que je sache qui est Côme. A dire vrai c'est celui qui te défend avec le plus de ferveur dans toute cette histoire. Tu as de la chance de l'avoir pour ami. Il va bien rassure toi, il est juste désolé de ne pas pouvoir venir te voir. On le leur a interdit.
– Pourquoi en as tu le droit ?
– Rien ne te dit que j'en ai le droit... Mais tu sais la Caravane et le Clan sont deux choses différentes. Nous sommes des partisans du changement passif. Tandis que le Clan est dans l'actif. L'un ne reçoit pas d'ordre de l'autre. Les deux sont des éléments indépendants. Je dois te laisser, nous nous reverrons de toute façon.
Je repense à ce qu'il vient de me dire. Je serais peut être acquittée, mais Doc lui ne le sera pas. Et étrangement cette idée me dérange. Je m'endors sur cette pensée.
Nous passons de longues journées à marcher. Aujourd'hui le soleil est plus doux qu'à l'accoutumée, ou peut être est-ce l'habitude. Tous mélangés, Caravane, Clan et prisonniers ensemble nous faisons route. Zadig à cheval non loin devant nous, arrête sa monture pour se placer à notre hauteur.
– Les grottes du Clan sont là bas, on les vois à l'horizon, nous devrions y être demain après midi au plus tard.
Je meurs d'envie de lui poser des questions sur notre destination. Je veux savoir ce qui nous attend là bas. Mais Doc me devance.
– Qui sont ces gens exactement ?
Zadig, du haut de son cheval, lui lance un regard méprisant sans même prendre la peine de lui répondre. Et ça me fait mal pour lui. Durant le peu de temps ou nous avons collaborés ensemble j'ai découvert une autre facette de Doc. Une vision différente de son travail mais aussi de sa personne. Et je me rends compte que nous autres, les Exclus, le jugions assez durement.
Ce soir là je décide d'en parler avec mes nouveaux amis.
– Ce n'est pas un homme mauvais.
Marie semble choquée, portant la main à sa poitrine comme si je venais de lui porter un coup.
–Comment peux tu dire ça ? Regarde tout ce qu'il a fait. Regarde la douleur qu'il a provoqué chez les tiens.
Sans le vouloir elle vient d'enfoncer en moi cette douleur omniprésente. Les miens : Les Exclus. Nous sommes différents, nous ne sommes pas comme eux. Nous sommes une catégorie à part. Pourtant je suis humaine comme elle et comme tout les autres. Je sais qu'elle ne l'a pas dit dans le but de me blesser, mais je ne peux m'empêcher d'avoir mal.
– Il ne l'a jamais fais dans une intension mauvaise...
Nous parlons ainsi jusqu''a ce que la nuit soit déjà bien tombée et la lune bien avancée dans le ciel. Demain sera une journée pleine d'épreuves de toutes sortes et d'incertitudes.
La paroi rocheuse se rapproche, de plus en plus près, précisant les contours de la roche. En fait, cela ressemble davantage à une falaise qu'à une montagne. Je savoure la brûlure de mes orteils, la sensation désagréable du sable dans mes bottines abîmées et la chape de soleil qui me cuit le dos. Je sais que je les sens pour la dernière fois, bien que je les ai maudites quelques semaines auparavant. Je ne veux pas entrer là dedans. La peur d'être jugée coupable me hante.
Les derniers mètres qui nous séparent de l'entrée des grottes se font dans une lenteur accablante, en traînant des pieds comme quelqu'un qui s'avance à la guillotine.
– Tout va bien se passer Séléné.
Doc dit ça autant pour lui que pour moi en réalité. Je peux sentir sa peur dans mon dos. Dégoulinant le long de nos corps à tous, la terreur se mêle à notre transpiration, les souffles se font plus court et plus rauques.
Je ferme les yeux et continue de marcher. Je garde les paupières pressées l'une contre l'autre pour ne pas voir. Ce n'est que lorsque j'entends les voix raisonner dans l'antre caverneuse que je sais que nous arrivons. Le sol dur sous mes semelles me le confirme, nous voilà arrivés. Lorsque j'ouvre les yeux je les fixe un moment sur mes chaussures, n'osant pas les relever.
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