Chapitre 8

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64ème UT, TU35988 de l’UIG, un peu plus tard

Toujours à bord du vaisseau பாத்39선박 affrété par l’UIG

Se hâtant sur ses trois jambes, afin de ne pas être en retard, il traversa le poste de pilotage en courant et entendit à peine la boutade du pilote :

— Bonne réunion avec le poisson et son arbre, Brixtral !

Au retour, il faudrait vraiment qu’il lui dise sa façon de penser à celui-ci. Il parvint le dernier dans la salle, quelque peu essoufflé et énervé après le pilote, mais avant qu’Asobalarava n’ait lancé les débats. Elle parla brièvement :

— Bienvenue dans cette réunion, Brixtral. Avant que vous n’arriviez, Fluuusigrati nous a fait part de votre désir de ne plus être appelé par votre titre, mais par votre nom. Nous avons convenu que c’est ce que nous ferions désormais.

Il avait tenu parole. C’était quelqu’un de fiable et à qui l’on pouvait faire totalement confiance. Quand je pense que l’autre le dénomme « l’arbre » de ce ton méprisant, se dit-il.

Il inclina la tête en fermant ses trois yeux, en direction du Fluuusio, en signe de remerciement silencieux.

— Par ailleurs, renchérit Chtchinionina, vous n’avez aucune inquiétude à avoir quant à votre intégration dans notre équipe, Brixtral. Pour moi, vous êtes tout à fait digne d’être des nôtres. Vous l’avez encore prouvé tout à l’heure avec votre réflexe de prélever un échantillon pour analyse.

— De plus, compléta l’Ablonienne, vous êtes certainement parmi nous, celui qui a l’esprit le plus ouvert en direction des autres espèces. Cela nous sera, à coup sûr, d’une très grande utilité quand nous finirons par aller sur சூன்03 afin d’identifier les races Intel présentes.

Décidément, c’était son moment. Il ne put s’empêcher de se sentir touché par toutes ces marques de considération. Celles-ci étaient consécutives à sa personnalité, ses actes, plus qu’à sa fonction officielle. C’était exactement ce qu’il avait appelé de ses vœux. Il était comblé.

Il se tourna, les yeux fermés vers la Chtchinion et la cuve de la cheffe ablonienne.

— Merci à vous toutes et tous, leur répondit-il. Je suis tellement fier d’être des vôtres et vous pouvez compter sur moi pour ne pas vous décevoir.

Hochements généralisés en signe de remerciements, bruissement de feuillage et quelques éclaboussures, saluèrent les mots de Brixtral.

Ce préalable réalisé, la réunion allait pouvoir débuter.

— Bien, qui veut se lancer ? demanda Asobalarava

— Peut-être pourrions-nous entendre la première équipe, je veux dire celle qui est rentrée la première de son exploration ? suggéra Fluuusigrati.

— Bonne idée.

Se tournant vers les trois membres présents, elle les interrogea du regard.

— Je vais me lancer, fit Chtchinionina, de façon à vous présenter une vue d’ensemble de ce que nous avons observé. Mes collègues complèteront s’ils sont d’accord.

Sur un assentiment de Brixtral et d’Oosvlax, elle poursuivit :

— En préalable, je peux vous confirmer, sans le moindre doute, que nous sommes bien en présence de traces d’une espèce d’Intel. En effet, la disposition des bâtiments, en profitant la topologie de la surface de la planète, est absolument ingénieuse.

— C’est ce que nous avons constaté également, approuva Oostrail.

— Sinon, enchaîna la Chtchinion, nous avons aussi pu noter l’état de dégradation avancé de ces constructions. Cela fait des centaines, voire de milliers de TU, qu’elles ne sont plus utilisées. Il est à craindre que cette civilisation n’ait été contrainte de quitter ces installations et de les laisser à l’abandon depuis extrêmement longtemps.

Tout était vraiment en ruines, en effet, se remémora Brixtral. Il était même souvent difficile de retrouver quelles pouvaient être les fonctions exactes de ces parties.

Comme si elle avait entendu les pensées de l’Iixtrien, elle continuait à exposer ce qu’ils avaient constaté au sol :

— Côté architectural, il semble que certains aménagements intérieurs présentaient des formes de toiture assez spécifiques, quelque peu différentes de ce que nous avions pu voir sur les satellites de cette planète. Cependant, les restes n’étaient pas en assez bon état ni en nombre suffisant pour que l’on puisse en tirer un style particulier. Je le déplore, mais c’est comme cela. Nous avons tous les trois, en différents point de la zone explorée, identifié des traces de combats avec des armes énergétiques…

Devant les mines dépitées de l’assemblée, elle reprit :

— Par contre, nous avons fait une découverte qui me paraît notable et que vous détaillera mon collègue Oosvlax. En effet, il semble bien que nous ayons mis à jour une nouvelle forme d’écriture, comme une autre langue.

— Vous voulez dire une de plus par rapport aux deux types qui étaient présents sur l’artefact qui est venu jusqu’à nous ? s’enquit Fluuusigrati.

— Absolument mes amis ! répondit tout guilleret Oosvlax qui était totalement dans son élément. Sans aucun doute possible, je peux ici vous l’affirmer ! Il s’agit encore d’une écriture par idéogrammes, comme une de celles détectées sur le « truc » que nous avons démonté avant de partir, mais différente. Celle-ci présente beaucoup plus de pointes et d’angles saillants, de formes géométriques, bref, une autre langue !

— Trois langues sur une seule planète ? C’est dingue ! lâcha Asobalarava. Incroyable… Trois espèces qui se feraient la guerre, donc ?

Brixtral, bien qu’au courant puisqu’il faisait partie de cette équipe, ne réalisa qu’à cet instant la portée de cette découverte. Il y avait potentiellement trois espèces d’Intels et non plus deux comme ils l’avaient imaginé au début. Et encore, il n’était pas au bout de ses surprises. L’intervention d’Oostrail, au nom du second groupe au sol, fit l’effet d’une bombe à fusion dans le vaisseau :

— Nous aussi, nous avons découvert une autre écriture…

Il y eut un silence, bientôt interrompu par le linguiste de l’équipe.

— Basée également sur des idéogrammes ? demanda Oosvlax, passionné.

— Nous vous laisserons le soin de le déterminer, cher collègue, intervint le Chtchinion de la seconde équipe. Oostrail vient de vous transférer toutes les informations. Il semble bien que celle-ci n’ait rien à voir avec ce que nous avons pu observer jusqu’à présent.

— Merci, merci, se confondit en remerciements l’Oosat linguiste.

On ne l’entendit plus pendant longtemps, occupé qu’il était à découvrir cette autre écriture et à essayer de la déchiffrer.

Deux espèces initialement, puis trois et maintenant quatre ? Quelle mission passionnante, se dit Brixtral. Il était assurément là où il devait être, là où « cela » se passait en ce moment. Là où se déroulait ce qui allait peut-être changer la face de l’UIG. Quatre nouvelles espèces d’Intels. Comment l’UIG pourrait-elle intégrer quatre espèces en simultané ? Cela n’avait encore jamais eu lieu…

Pris dans ses réflexions, il n’entendit pas qu’on s’adressait à lui.

— Brixtral ? répéta Chtchinionina.

— Oui, pardon, j’étais perdu dans mes pensées… Quatre langues, donc sans doute quatre espèces. Cela me donnait le tournis.

— Oui, nous aussi, répondit-elle en produisant le grincement caractéristique des Chtchinions qui s’approchait d’un rire. Mais là, j’évoquais l’échantillon que vous avez extrait dans ce qu’il restait d’un dôme.

Il avait du mal à voir le rapport avec les différentes écritures observées et, tout à coup, comprit que le thème de la discussion était passé à autre chose et qu’elle abordait la portion de matière qu’il avait prélevée.

— Ah oui, excusez-moi… Toutes ces nouvelles m’ont un peu chamboulé. Sans doute est-ce dû à mon manque d’expérience dans ce domaine exploratoire, fit-il avec une sorte de sourire confus.

— Vous êtes tout excusé, Brixtral, nous aussi, cela nous perturbe pas mal, cette idée de quatre langues, répondit l’Ablonienne, compatissante. Alors, cet échantillon ?

— Ah oui, reprit Brixtral, reprenant ses esprits, l’échantillon…

Il le sortit de sous la table, là où il l’avait rangé, en arrivant presque en retard. Le remettant à Broxvrat et Oostrail, il précisa :

— J’ai prélevé cela au sol, dans un coin qui semblait relativement protégé des vents de poussière. Pour moi, vu la surface de ce qui avait dû être un dôme transparent, je pense qu’ils devaient y faire des cultures.

— Oh, mais c’est une sacrée découverte que vous avez faite là, mon ami, s’enthousiasma l’Oosat chimiste. On dirait une forme de mousse ou de lichen…

— C’est étonnant, fit son collègue biologiste, il n’y a pas d’atmosphère sur சூன்04 !

— Mais, si, rappelez-vous, répondit Brixtral, du gaz carbonique a été détecté en faible quantité. Ah non, je confonds, c’était sur son satellite சூன்04-செற்01.

— Non, non, vous avez raison, Brixtral, des traces de ce même gaz ont été décelées, ici également, ainsi que de la vapeur d’eau, précisa Oostrail.

— Ils ont aussi produit de l’hydrogène ici ?

— Non, pour moi, il s’agit plus de l’impact de ce que nous avons observé d’en haut, toutes ces zones brunes. Si cela se trouve, nous sommes en présence de grandes étendues d’une chose du même genre que ce que notre ami nous a amené.

Comment un organisme, aussi simple qu'une mousse, pouvait-il bien subsister dans un environnement tellement hostile. Brixtral se souvenait de ses cours élémentaires : pour qu’une plante pousse, il faut de la lumière, de la chaleur et de l’eau. Or là, pas d’eau ni de chaleur. Tout au plus, la lumière de l’étoile permettait-elle d'éclairer un peu la surface, mais elle semblait notoirement insuffisante pour que quoi que ce soit s'y développe.

Comme s’il avait entendu les questions silencieuses de son collègue Iixtrien, Broxvrat exposa sa théorie :

— Je pense qu’ils ont essayé, il y a très longtemps, de créer une atmosphère sur cette planète, avec divers organismes végétaux sommaires. Ils ont dû se dire que le dégagement de gaz carbonique, qui est un gaz à effet de serre, par ces plantes, aurait pour effet de réchauffer un peu la température à la surface. Ensuite, ils devaient espérer y ajouter d’autres formations végétales plus élaborées, utilisant ce gaz pour croitre en relâchant de l’oxygène.

— On peut créer de toute pièce une atmosphère sur une planète inerte comme celle-ci ? s’étonna Asobalarava.

— En théorie, oui. Mais ce processus, s’il fonctionne vraiment, durerait des milliers de TU, voire des dizaines ou des centaines de milliers. Je ne me souviens pas d’une telle réalisation dans l’UIG, conclut Oostrail.

— Donc, si j’ai bien, compris, il pourrait s’agir de restes d’organismes primaires faisant partie d’un processus réfléchi de création d’atmosphère sur ce caillou stérile, tenta de synthétiser Fluuusigrati.

— Je trouve que vous avez très bien résumé nos propos, mon ami, valida l’Oosat.

— Afin de prouver tout cela, nous devons au préalable analyser cet échantillon et nous pourrons rapidement confirmer ou infirmer cette hypothèse, compléta Broxvrat.

— Bien, j’imagine que nous avons fait le tour de ce qu’il y avait à partager ? interrogea Asobalarava. Quelqu’un a quelque chose à rajouter ?

— Peut-être faudrait-il élaborer le programme pour la suite ? suggéra le Fluuusio.

— Vous avez raison, cher ami, où avais-je l’esprit… Je crois que cette histoire de troisième puis de quatrième langue m’a un peu désorientée. Vous imaginez, non pas une ni deux, mais quatre nouvelles espèces d’Intels belliqueux ?

Toutes et tous étaient encore abasourdis et passablement perturbés par cette découverte. Il faudrait plusieurs UT pour s’en remettre sans doute. Ils allaient surtout devoir confirmer toutes ces théories.

— Comme nous tous, chère amie. Donc en résumé, Broxvrat et Oostrail essayent d’élucider le mystère de cette sorte de mousse, Oosvlax tâche de décoder ces nouvelles langues. Je pense également que les prochaines descentes sur le sol de சூன்04 devront cibler la recherche d’autres traces de ces langues inconnues, mais aussi que nous allons devoir éclaircir le mystère de ces zones marron ? Et toujours prudence tant que nous n’avons pas la certitude d’être seuls, les descentes se font toujours en armes, d’accord ?

Devant l’assentiment général, la réunion fut levée et chacun repartit vers sa cabine ou son atelier de recherche.




Passant à proximité du poste de pilotage, Brixtral se souvint qu’il avait quelque chose à dire à son occupant. S’approchant de lui, il commença par :

— Praxvor, je pourrais vous dire deux mots ?

— Mais bien sûr, répondit celui-ci jovialement, sans se douter de ce qui l’attendait.

— Tout à l’heure, vous avez prononcé des termes tout à fait inappropriés…

— Ah bon, moi ? Vous savez, je dis des trucs, souvent sans réfléchir et juste après, j’oublie même de quoi j’ai parlé.

— Vous ne vous souvenez pas avoir évoqué le « poisson et son arbre » ?

— Ah si, c’était drôle, non ?

Mais quel abruti ! Il ne se rendait encore pas compte de l’énormité de sa soi-disant boutade.

— Non, Praxvor, ça ne l’était pas…

— Ah bon ?

— C’était particulièrement blessant.

— Ben quoi, c’est pas vrai ?

— Vous oubliez une chose importante…

Il avait deux solutions : soit le rabaisser à sa place de pilote et lui donner un ordre, soit en appeler à son intelligence et faire confiance à celle-ci. Choisissant la seconde option, il poursuivit :

— Vous vous trouvez ici sur un vaisseau affrété par l’UIG pour une mission exceptionnelle. Le commandant de ce vaisseau appartient à l’espèce des Abloniens et n’est pas un « poisson » comme vous le dites si bien. La responsable de cette mission qui fera date dans l’histoire de l’UIG est Ablonienne également. À ce titre, elle mérite plus de respect que n’importe qui à bord.

— Bon d’accord, je ne le ferai plus, fit-il, embarrassé. En plus, personnellement, je les aime bien, les Abloniens, je m’entends même très bien avec Asilaboravi . Par contre les arbres…

Nous y voilà, se dit Brixtral. Il allait sans doute falloir lui enfoncer ces principes d’universalité de l’UIG dans son petit crâne à coups de canne de Flaxchoir[1] pour que ça y rentre et n’en ressorte pas. Finalement, l’appel à l’intelligence avait des limites.

— Je vous arrête tout de suite. Fluuusigrati, le représentant Fluuusio dans cette mission est quelqu’un d’infiniment plus réfléchi et sage que vous. Savez-vous que les Fluuusios sont l’espèce la plus ancienne dans l’UIG ?

— Euh… non.

Le ton montait, Brixtral était vraiment outré par ce comportement à peine animal.

— Vous devez vous mettre dans votre petite tête que les Fluuusios existaient de façon individuelle et intelligente nettement avant que nous arrivions à un niveau de conscience élevé et qu’ils seront encore bien présents après que nous, Iixtriens, aurons tous disparu.

Il s’agissait bien d’une tragédie annoncée au sein de l’UIG. Leur espèce allait s’éteindre sans que quiconque n’ait le moindre début de solution pour empêcher cela. Régulièrement, le nombre d’individus pour la cérémonie de communion, amenant à la création d’un nouvel être, augmentait sans que personne ne sache pourquoi. On en était actuellement à huit…

— Euh, désolé, Brixtral, fit-il penaud.

— J’espère que c’est la dernière fois que je vous fais ce genre de remarque. Je n’hésiterai pas à me plaindre auprès de votre hiérarchie la prochaine fois.

— Il n’y aura pas de prochaines fois, je vous le promets…

— Bien.

Il quitta le poste de pilotage pour sa cabine, satisfait de son intervention. En cheminant, il croisa Asilaboravi, le commandant du vaisseau, qui avait dû entendre une partie de la conversation et le remercia chaleureusement de son action avec force éclaboussures.




Épuisé par tous ces événements, il s’allongea dans sa couchette et sombra dans un profond sommeil. Il rêva d’une planète rouge au départ, devenant verte puis bleue, avec des animaux, des Intels. C’était bien sur சூன்04 qu’il était dans son songe puisqu’il avait revu ce fameux affaissement de terrain qu’il avait exploré un peu plus tôt. La vie était belle et seuls trois Iixtriens suffisaient pour créer un être. Son espèce n‘était plus menacée d’extinction.




[1] Jeu typique des Iixtriens dans lequel il s’agit de faire passer une brouxbral (sorte de balle en matière rebondissante) entre les jambes d’un adversaire pour marquer un point. Ce jeu se pratique par équipes de sept joueurs et il se joue à sept équipes. La brouxbral ne doit pas être touchée autrement qu’avec une canne qui fait la taille de trois bras Iixtriens. Celui qui a eu une balle entre ses jambes ne doit plus bouger et doit tenir sa canne verticalement. Le jeu s’arrête lorsque tous les joueurs, sauf un, ont leur canne en l’air. L’équipe gagnante est celle correspondant au dernier joueur encore en lice.

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