Chapitre 12

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Avant l’exploration du système solaire

806ème UT, TU 35987 de l’UIG

Centre de l’UIG sur மையம்01센터


Mon cher Vraxbrol, vous tombez bien, l’interpella Asobalarava lorsqu’elle le croisa dans les allées des archives du Centre de l’UIG.

En réalité, cette rencontre ne devait rien au hasard, cela faisait deux UT qu’elle le cherchait en vain. Il n’était jamais là où on lui disait l’avoir vu. Les cuves abloniennes avaient pour défaut de limiter la vitesse de déplacement. Rien ne valait une bonne mer, mais on ne pouvait pas demander à tout le monde de vivre dans l’eau…

Oh, Asobalarava, comment se porte la Commission des affaires…je ne sais plus quoi ?

Il ne s’agit pas de la commission, vous vous en doutez bien…

Ah bon ? s’étonna-t-il faisant l’innocent et arborant une sorte de sourire.

L’Ablonienne ne put s’empêcher un mouvement de recul dans sa cuve. Il faut dire que le sourire Iixtrien, avec ses trois rangées de dents sur chacun des côtés de la bouche[MS1] , avaient de quoi impressionner. Même si le vieux sage en avait perdu une bonne quantité, il continuait à inspirer une certaine crainte.

Le scientifique, ayant noté la réaction de son interlocutrice, rangea ses dents et son rictus.

Désolé, j’avais oublié comme nous pouvions parfois être effrayants…

Tout va bien, ne vous en faites pas, Vraxbrol.

Vous vouliez m’interroger au sujet de ce « truc » venu d’on ne sait où ?

Oui, c’est exactement cela, mais comment saviez-vous…

Oh, je m’en doutais. Les réponses apportées la dernière fois n’étaient pas totalement satisfaisantes, j'en suis conscient. D’ailleurs, j’ai continué à fouiller un peu partout.

Et vous avez trouvé des choses intéressantes ?

Oui, cependant je ne suis pas au bout de mes recherches. Quelle est votre question au juste, Asobalarava ?

Voilà, je me demandais si, d’après ce que vous nous avez dit sur ces histoires de … filiations radioactives, vous seriez capable de déterminer l’âge de cet objet.

Oui, en faisant quelques hypothèses et, avec l’appui de calculateurs Oosats, cela doit être réalisable. Toutefois, je ne vois pas à quoi cela pourrait vous servir ?

Je me suis dit que si on connaissait son âge et la vitesse qu’il avait dans l’espace, on parviendrait peut-être à cibler d’où il vient ?

Elle avait pris son rôle de responsable de la sous-commission très au sérieux et ne pensait plus qu’à cet artefact depuis qu’elle avait été nommée. L’objectif n’était plus tellement de savoir ce qu’il était, mais d’où il venait. D'autant plus qu’il y avait sans doute deux espèces d’Intels derrière ce « machin ».

En effet, vous avez raison, on devrait pouvoir déterminer une sphère, centrée sur le point de rencontre entre cette « chose » et le vaisseau de l’UIG.

Une sphère ? Cruxztalut ! jura-t-elle en Iixtrien. Ça ne va pas nous être de grande utilité ça…

Non, en effet, surtout si elle fait plusieurs VluTu de diamètre.[1]

Elle était très déçue. Sa sous-commission allait se terminer en cul-de-sac, sans rien à se mettre sous la dent en termes de réflexion. Que pouvait-elle y faire ? Nul n’était tenu à l’impossible. L’espace était tellement grand…

Bon, ça veut dire qu’on n’arrivera pas à savoir d’où vient ce machin.

Attendez, je crois qu’on peut sans doute faire mieux qu’une sphère. Vous avez entendu parler des capacités innées de calculs des Oosats ?

Elle se souvint de ce que le linguiste Oosat, Oosvlax, lui avait dit en la quittant : si elle en avait besoin, elle pourrait compter sur ses congénères.

Oui, en effet. Vous pensez qu’ils pourront délimiter une zone plus précise ?

Certainement, oui. Tout d’abord, il faut que moi j’arrive à déterminer l’âge de ce truc.

Alors au travail ! lui dit-elle sur le ton de la plaisanterie

Oui m’dame, lui répondit-il avec son sourire effrayant.

Cette fois-ci, elle n’eut pas peur et se contenta de lui témoigner quelques gestes amicaux avec ses nageoires. Elle espérait qu’il allait vite avancer sur le sujet. Elle avait hâte de solliciter Oosvlax.




Quelques UT plus tard, Asobalarava reçut un message du vieux savant iixtrien :

« Bon courant, Asobalarava,

Je crois que j’ai réussi à déterminer l’âge de ce bidule. Vous allez bientôt pouvoir en faire estimer la provenance. »

Il n’avait même pas signé, mais qui cela pouvait-il être d’autre ? Elle s’empressa de lui répondre :

« Je vous attends dans mon bureau de la commission dans 2 UT.

Signé Asobalarava ».

Au moment indiqué, il débarqua dans son cabinet, la crête toute ébouriffée et l’air plus exalté que jamais :

Vous ne devinerez jamais ce que j’ai trouvé !

Dîtes-moi donc, Vraxbrol, mais prenez le temps de vous asseoir et de m’expliquer comment vous êtes arrivé au résultat. La méthode m’intéresse autant que la découverte en elle-même.

Le vieux scientifique se posa, sortit son com et commença son exposé, encore émerveillé de sa trouvaille. Sans se presser, il détailla chaque étape à sa commanditaire :

Je vous avais expliqué que le matériau, à l’origine dans ce cylindre, me semblait devoir-être un élément artificiel, non ?

Oui, tout à fait, vous nous l’aviez dit.

Parce que l’élément, a priori issu de celui d’origine est un isotope de l’Uranium, avec 234 nucléons qui n’existe qu’en très très faible proportion à l’état naturel. À ce stade de l’étude, j’avais deux possibilités.

Elle était captivée. Il avait le chic pour rendre les sciences fascinantes. Elle avait l’impression d’être au cœur d’une enquête.

Oui ? le relança-t-elle.

Cet Uranium 234 pouvait être issu de la décroissance naturelle de l’isotope majoritaire de l’Uranium, celui avec 238 nucléons, mais aussi de la décroissance de ce fameux élément artificiel que je pense être le Plutonium 238.

Comment avez-vous tranché ?

De façon finalement assez simple : la période de décroissance radioactive de l’Uranium 238 est de près 1,6 milliards de TU[2]. Vous imaginez, il n’y a plus trace de cet élément dans le cylindre, donc, il se serait écoulé au moins 10 périodes, 16 milliards de TU, soit plus que l’âge estimé de l’Univers. Cette première possibilité devait donc être écartée.

Bravo ! fit-elle enthousiaste devant le raisonnement infaillible qui lui était présenté. Et votre seconde hypothèse ?

Il restait ce fameux élément artificiel, le Plutonium 238 qui, lui, se transforme en Uranium 234 en 30 TU à peu près. Ensuite les filiations sont identiques. En gros, pour n’avoir au final plus que de plomb 206, il faut compter 1,2 millions de TU.

Cet objet serait donc si âgé que cela ?

Presque, étant donné qu’il subsiste quelques traces d’un des éléments de la chaine de désintégration, le dernier, avec une période relativement longue, le Radium 226. Je dirais entre 1 million et 1,2 millions de TU.

Les trois yeux de l’Iixtrien pétillaient alors qu’il lui annonçait cette nouvelle.

Incroyable ! se réjouit-elle en battant des nageoires. Vous êtes fantastique, Vraxbrol ! Je n’étais pas certaine qu’on arriverait ainsi à déterminer l’âge de ce machin. Mais vous l’avez fait ! Encore bravo et merci !

Il ne vous reste plus qu’à solliciter les Oosats…

J’y vais d’un coup de nageoires, répondit-elle en le quittant précipitamment.

Elle était tout impatiente d’avancer encore dans la connaissance de l’origine de cet objet étrange.

Toutefois, elle songea qu’elle ne pouvait pas « convoquer » comme cela Oosvlax. C’était quelqu’un d’important chez les Oosats et elle ne pouvait pas exiger sa présence. Cependant, elle se rappela que la dernière fois qu’elle l’avait sollicité, il avait été enchanté. Il avait même vanté les capacités de calcul «exceptionnelles» de son espèce Pourquoi hésiter ? Sans doute parce qu’elle s’apprêtait à percer une des énigmes les plus incroyables depuis l’origine de l’UIG… Elle lui envoya donc un message, finalement convaincue qu’il répondrait rapidement.




Ce fut effectivement le cas, puisque moins d’un demi UT plus tard, il se présenta de lui-même à l’entrée de son bureau.

Oosvlax ? Déjà, si vite ?

Vous m’appelez, j’accours, Asobalarava ! répondit-il d’un ton canaille.

Puis, il se remémora leur première rencontre et la maladresse dont il avait fait preuve. Il rectifia aussitôt son attitude.

Veuillez me pardonner cette familiarité, je ne sais pas ce qui m’a pris, fit-il confus.

Ne vous en faites pas Oosvlax, je commence à m’habituer à votre humour et, tant que vous ne tentez pas de vous introduire dans ma cuve, tout va bien.

Il se décomposa, ne sachant pas vraiment comment se sortir de ce pétrin. Il avait vraiment dépassé les bornes, cette fois-là.

De son côté, Aba réprima un sourire de satisfaction. Elle l’avait mis mal à l’aise, ce qui n’était pas son intention initiale, mais ce renversement de position lui serait peut-être utile, vu le service qu’elle comptait lui demander.

Vous vous souvenez de notre dernière rencontre, Oosvlax ?

Oui, bien sûr, au sujet des différentes langues que j’ai pu identifier…

Il était là dans son domaine d’expertise et commençait à retrouver une certaine assurance.

Vous vous rappelez ce que vous m’aviez proposé ?

Euh… Non, pas vraiment. Mais si je l’ai fait, vous n’avez qu’à demander…

Il était un peu inquiet. Qu'avait-il donc bien pu évoquer avec elle en dehors des résultats concernant les écritures trouvées sur cet artefact ?

Vous m’aviez parlé des capacités de calcul exceptionnelles des Oosats…

Ah oui ! Bien sûr ! Si vous en avez besoin, nous serons à votre entière disposition… Euh, pour nos dons de calculateurs, il s’entend bien.

C’est ainsi que je l’entendais, Oosvlax, ne vous y trompez pas.

Elle avait le chic pour le mettre sur ses gardes dès qu’il disait quelque chose. Il ressentait dorénavant toujours cette crainte de commettre une erreur diplomatique ou culturelle.

Si vous voulez bien m’énoncer votre problème, je verrai si je peux le poser en équations moi-même ou s’il me faudra de l’aide.

Bien, je vais essayer, fit Asobalarava.

Elle s’efforça de rassembler ses esprits afin de parler en termes simples, mais en exposant la totalité de la question.

Nous avons pu déterminer l’âge approximatif du machin extra-galactique.

Oh ? fit l’Oosat en l’interrompant. Désolé, poursuivez.

Il aurait un peu plus d’un million de TU, fit-elle, laissant sa phrase en suspens.

Elle était assez satisfaite de voir la physionomie de l’Oosat se métamorphoser sous le choc de l’information. Il sembla se dégonfler d’un coup, avant de se ressaisir et de retrouver sa forme originelle.

Autant que ça ? Comment est-ce possible ? Bien avant l’UIG ?

Oui, c’est bien cela. Vraxbrol est formel. Soit il a cet âge-là, soit il est plus vieux que l’Univers, ce qui, vous en conviendrez aisément, n’est pas possible.

Non, en effet, approuva-t-il.

Il n’était pas spécialiste de physique ou de spationique, mais la logique, il connaissait. Rien ne pouvait être plus ancien que l’Univers, sinon, tout ce sur quoi l’UIG avait bâti ses fondements s’écroulerait et ça, ce n’était pas envisageable. Déjà l’idée que ce « bidule » soit plus âgé que l’UIG elle-même, était suffisamment incroyable.

Nous avons ainsi l’âge approximatif, reprit-elle. Au vu de l’accrochage avec le vaisseau, nous devrions avoir la direction du « bidule » ainsi que sa vitesse. Nous devrions donc pouvoir déterminer son origine dans le cosmos, ne croyez-vous pas ?

En effet, cela ne devrait pas être insurmontable, je pense.

De quoi avez-vous besoin pour cela ?

De toutes ces données, les plus précises possibles, surtout concernant la trajectoire et la vitesse de l’objet. Nous avons quelques spécialistes de cartographie stellaire qui devraient pouvoir vous calculer tout cela, Asobalarava.

Il était relativement optimiste, faisant confiance, a priori, aux extraordinaires capacités de chiffrage de son espèce. Certes, un tel problème ne leur avait jamais été soumis, mais il n’y avait aucune raison qu’une, voire plusieurs solutions, ne pas soient trouvées à cette énigme.

Je vous envoie tout ça, Oosvlax. Vous estimez le temps nécessaire à ces calculs à combien d’UT ?

C’est là qu’il ne fallait pas s’engager à la légère. Il suffisait que les fameux spécialistes soient partis loin et pas joignables… Il joua donc la prudence dans son annonce.

Entre 10 et 20 UT, je pense, guère plus

Asobalarava imaginait déjà les moyens qu’il faudrait engager pour explorer cette partie de l’espace. Autant que cette zone visée soit la plus réduite possible. Souhaitant en conséquence privilégier la qualité du résultat plutôt que sa rapidité, l’Ablonienne fut satisfaite du délai annoncé.

J’attends donc de vos nouvelles dans 20 UT, Oosvlax. Tenez-moi au courant si vous rencontrez la moindre difficulté d’ici là ou s’il vous manque des données pour conclure.

Intérieurement, elle jubilait : dans 20 TU, elle saurait sans doute d’où venait ce « machin » extra-galactique. Elle en était toute excitée et patienta jusqu'au départ de l’Oosat avant d’exécuter des cabrioles dans sa cuve, une fois seule.




[1] Unité de distance astronomique de l’UIG. 1 VluTu correspond à la distance parcourue par la lumière durant 1000 unités de temps (jours) de l’UIG, soit, grossièrement 3,3 années lumières terrestres.

[2] La période de l’Uranium 238 est de 4,48 milliards d’années donc environ 1,6 milliards de TU (1 TU correspond 1000 jours ou UT)

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