Chapitre 5
Avant l'exploration du système solaire
800ème UT, TU 35987 de l’UIG
Centre de l’UIG sur மையம்01센터
Début de l’expertise de l’artefact étant entré en collision avec le vaisseau காலை25에요
Asobalarava, dans sa cuve, regardait attentivement le démontage de cet objet « extra-galactique ». Toutes les précautions avaient été prises quant à cette expertise. Les Chtchinions qui procédaient étaient équipés de combinaisons étanches et l’Ablonienne, quant à elle, se trouvait dans un local contigu séparé par cette vitre très épaisse.
Un objet venant d’un autre monde… Quel mystère fantastique ! Elle espérait que cette analyse allait donner des indications sur l’espèce ayant envoyé un tel « truc » dans l’espace. Elle se laissait aller à toutes sortes de rêves… Qui sait, une nouvelle espèce aquatique peut-être ?
Derrière elle, la porte s’ouvrit dans un chuintement. À contrecœur, elle se retourna afin d’identifier le perturbateur.
— Oh, bien le bonjour, Secrétaire. Quel bon courant vous amène ?
— Bonjour, Asobalarava, un courant chaud, visiblement.
Sa formation quant aux usages et idiomes des différentes espèces de l’UIG lui permettait de se comporter « comme un poisson dans l’eau », en particulier lors de ses échanges avec les Abloniens.
— Je suis curieux, je viens voir ce qu’il en est de ce mystérieux objet volant, reprit-il.
— Ils n’ont pas encore commencé le démontage. Ils le visualisent sous tous les angles pour en faire une image 3D, tout d’abord.
— Du nouveau sur l’identification de l’envoyeur ?
— Non, rien pour le moment. Il y a des sortes de dessins noirs à moitié effacés sur la surface extérieure, mais ils ne signifient absolument rien, enfin, on n’a pas réussi à en avoir suffisamment pour qu’on y trouve un sens.
Peut-être qu’en regardant à l’intérieur, la provenance leur apparaîtrait ? C’est ce qu’ils souhaitaient tous les deux. Ils étaient face à la plus belle énigme de l’Univers de tous les temps. La vie semblait donc possible ailleurs dans l’univers, en dehors du monde connu... Quelle fabuleuse perspective !
Les prises de vue 3D terminées, ils virent se former derrière eux un hologramme de l’objet. Ils se tournèrent vers l’image en relief pour l’examiner en détail. Ils pouvaient le faire tourner sur lui-même à volonté, grossir ou réduire des portions. Ils le regardèrent minutieusement, mais leurs nombreuses questions restaient sans réponse. D’autres experts scientifiques les rejoignirent, eux aussi restaient dans l’expectative. Ils ne voyaient toujours pas l’utilité de ce « machin » ni pour quelle raison quelqu’un avait bien pu l’envoyer dans l’espace…
La compréhension de l’objet n’ayant pas pu avancer grâce à l’analyse des images 3D, les deux Chtchinions photographes avaient été remplacés par des congénères équipés d’outils, afin de démonter ce « truc » venant de si loin.
Un par un, les panneaux extérieurs qui devaient servir de protection furent déposés. Il fallut en enlever plusieurs couches pour enfin arriver au cœur de ce « machin ». Ils découvrirent tout un fatras de morceaux de carbone et de métal, ressemblant par endroits à une ville miniature. Des fils d’aluminium semblaient relier tout cela à un système contenant du plomb[1], une sorte de cylindre métallique protégeant une espèce de cartouche de ce métal très dense. Quelle curieuse idée de mettre du plomb dans un objet à envoyer dans l’espace. Généralement, on cherche à gagner du poids, pas à en rajouter, se dit Brixtral, même si ses connaissances en spationique étaient limitées.
Ils se posèrent aussi longuement la question de la source d’énergie de ce « bidule ». Comme il n’était pas équipé de moteur, il avait sans doute été lancé avec une vitesse initiale importante et, depuis, poursuivait son trajet sur sa lancée. Qui sait même s’il n’avait pas été accéléré dans son long trajet par l’énergie d’une nova ?
Quand ils firent l’analyse isotopique du plomb, ils « tombèrent au fond [2]» devant les résultats. Les scientifiques Chtchinions étaient stupéfaits :
— Vous réalisez ? 99% de l’isotope 206[3] ! Incroyable
— Comment est-ce possible ? Normalement, il y a un quart du plomb en plomb 206, pas plus !
— On dirait que ce matériau a plusieurs milliards d’années de plus que tout ce que nous avons dans l’UIG, ce n’est pas possible !
— Non, totalement impossible…
— Donc, vous n’avez pas d’explications ? se fit confirmer Asobalarava.
— Non, aucune. Cela reste un mystère total, durent-ils convenir.
Les plus grands chimistes et physiciens de l’UIG furent sollicités, mais soumis au secret. Tant qu’on ne savait pas de quoi il s’agissait, inutile d’ébruiter cette découverte bouleversante. Leurs réponses furent toutes similaires : incompréhension totale du phénomène et surtout de son intérêt technologique. À quoi cela pouvait-il bien servir d’enrichir du plomb en un seul isotope pour le mettre dans une « chose » envoyée dans l’espace ?
Puis, plus tard, l’un des chimistes, un Oosat, se posa la question de l’utilité de ces petites quantités de matériaux semi-conducteurs, Germanium et de Silicium[4]. Il remarqua que les deux composés étaient couplés sous forme de tellures et que de là partaient ces fameux fils allant vers l’ensemble de carbone et de métal. En recherchant dans de très anciennes archives iixtrienne datant de bien avant l’UIG, il tomba sur une utilisation de semi-conducteurs, permettant de générer des impulsions d’électrons qui se propageaient au sein de fils de cuivre ou d’aluminium.
Un très vieil Iixtrien, un historien des sciences, mis au courant de ces questions sans réponse, se souvint qu’il avait lu quelque chose à ce sujet, dans sa jeunesse :
— Je me rappelle avoir appris ça, il y a plusieurs dizaines de TU, leur dit-il. Il me semble bien qu’il y a très longtemps, on utilisait un tel système pour se chauffer ou s’éclairer. Il s’agissait d’ailleurs, dans les deux utilisations du même phénomène puisque l’éclairage était créé par l’échauffement d’un filament dans un gaz.
— Vraiment, vous êtes certain ? demanda l’Ablonienne.
— Non... Vous savez, à mon âge, ma mémoire commence à me faire défaut, mais ça me parle ces histoires d’électrons. Et puis c’est tellement vieux que je n’ai rien trouvé de précis dans les banques de données des archives.
— On n’utilise pas les réseaux neuronaux depuis la nuit des temps ? pensa Brixtral tout haut.
Il ne ratait aucune évolution de ces recherches qui le passionnaient et oublia un instant le devoir de réserve auquel il s’était astreint depuis le début de cette histoire.
— Si ma mémoire est bonne, mon cher, non, il semble bien qu’il y a eu un temps où ceci était inconnu… répondit le vieux sage, ne lui tenant manifestement pas rigueur de son intervention.
Incroyable, songea le Secrétaire. Cet artefact utiliserait une technologie datant d’avant la nuit des temps ? Mais quel âge pouvait bien avoir cette espèce ? Une véritable « antiquité leur serait parvenue?
Cette information amenait tellement de questions totalement incongrues, par exemple : à quoi cela peut-il servir d’éclairer ou de chauffer un objet lancé dans le vide absolu et dans la nuit profonde de l’espace interstellaire ? Qui a besoin de lumière dans ces conditions-là ? Est-ce qu’il y aurait eu une vie dans cet engin, peut-être disparue depuis longtemps ?
Par précaution, l’Ablonienne, responsable de la sous-commission d’analyse de cet artefact, ordonna une quarantaine stricte et le port obligatoire de tenues totalement étanches pour tous ceux qui travaillaient au démontage de l’appareil. Il y avait peut-être des êtres microscopiques qui avaient utilisé ce chauffage et cet éclairage. Et si finalement, il s’agissait d’un vaisseau ?
Une nouvelle équipe de biologistes et microbiologistes prit le relais. Tout fut scruté et investigué jusque dans les moindres détails. Chaque recoin fut frotté et chaque chiffon examiné soigneusement sur les grossissements les plus forts disponibles, mais rien ! Aucune poussière de vie quelconque ! Ce « machin » était bien totalement inerte et n’abritait pas la moindre parcelle de quoi que ce soit de vivant. Il faut dire qu’il avait sans doute passé des centaines de milliers de TU, voire plus, dans le vide absolu. Il aurait fallu des stocks considérables de nourriture si un être avait été logé là-dedans. Il s’agissait donc à la fois d’une impasse, mais au moins une hypothèse, même farfelue, avait été levée.
Les analyses reprirent, impliquant de plus en plus de domaines scientifiques ainsi que toutes les espèces de l’UIG. Chacun y allait de ses supputations, bientôt contredites par la réalité des observations. Personne n’arrivait à trouver de sens à cette présence de plomb ni même à ces composants qui semblaient inertes tout en ayant certainement une utilité… Oui, mais laquelle.
Le vieux sage iixtrien ressortit un jour de ses archives avec une nouveauté :
— Je viens de découvrir que ces déplacements d’électrons, au sein de mélanges de semi-conducteurs, pouvaient créer des circuits logiques et même auraient pu être utilisés, il y a des centaines de milliers de TU, pour effectuer des calculs, annonça-t-il.
Des calculs à l’aide d’électrons ? En voilà une drôle d’idée, songea Brixtral. Depuis ce qu’il savait de l’origine du monde, il y avait les Oosats pour les calculs complexes…toutefois, avec ce « truc » venant d’outre-espace, il fallait vraiment s’attendre à tout.
Puis, le hasard mit en présence un chercheur fluuusio en pleine phase d’éclosion de germes[5] et deux points précis de cette espèce de « ville miniature ». Il s’était lui-même blessé auparavant au contact d’angles saillants du « bidule » extra-galactique. Tout à coup, un courant électrique se déversa dans les circuits. Un instant, l’engin sembla revivre, et flasha en plusieurs endroits avant de prendre mystérieusement feu. L’incendie fut vite maîtrisé, mais cette fois-ci, quelque chose de nouveau était apparu, enfin... Une nouveauté éphémère puisque toute tentative ultérieure de réinjecter un courant électrique se solda par un échec cuisant. Il ne se passait plus rien. Sans doute qu’au moins un des composants principaux de l’ensemble avait été détruit.
Ils décidèrent de tout démonter et d’essayer de déterminer l’utilité de chacun des modules de cet ensemble, de ce qui les reliait les uns aux autres, même si la fonction de ce « tout » resterait encore très longtemps hors de portée de leur compréhension. Peut-être que morceau par morceau, ils pourraient reconstituer la globalité du système et espérer en approcher l’utilité et le sens ?
Cette tâche leur fit perdre le sens global et n‘aboutit finalement à rien, si ce n’est à un gâchis de temps et d’énergie.
Tout ceci ressemblait de plus en plus à un mystère inexplicable quand le vieil Iixtrien, encore lui, sortit à nouveau de ses archives avec une information qui allait sans doute leur permettre de comprendre enfin quelque chose sur cette espèce d’Intels extra-galactiques.
— Il y a un point auquel nous n’avons pas encore pensé, mes amis ! claironna-t-il, lui-même tout étonné par sa découverte.
— Ne nous faites plus languir, mon cher Vraxbrol, lui demanda poliment Asobalarava.
Il ne fallait pas le vexer ni le brusquer. Ils avaient tous tellement besoin d’une idée, d’un trait de génie qui les aiderait à sortir du brouillard dans lequel ils étaient plongés depuis le début. Or, Vraxbrol semblait le seul qui, de temps en temps, avait une illumination permettant quelques avancées fulgurantes sur la compréhension de ce « machin » inconnu.
— Voilà, je me suis demandé quel était le blixvul[6] qui aurait pu avoir l’idée de mettre un matériau lourd dans un objet à lancer dans l’espace.
— On se l’est tous demandé…et ? l’encouragea l’Ablonienne.
— Et donc personne ne l’aurait fait… répondit l’Iixtrien semblant satisfait de son effet.
— Alors comment est-il arrivé là ? insista-t-elle.
— Il n’y était pas... fit le vieux sage, mystérieux.
Asobalarava sentait que le plancton lui montait aux branchies. Ce vieux fou faisait le malin, les sentant tous, l’Ablonienne, Brixtral et tous les autres présents, captivés par ses paroles. Il tenait son auditoire dans une de ses trois mains. C’était son moment. Il le savourait, prenant tout son temps pour dévoiler le résultat de ses recherches.
— Bon, je ne vais pas vous faire attendre plus longtemps, mes chers amis et confrères… finit par concéder l’archiviste iixtrien.
— Enfin… ne put s’empêcher de marmonner l’Ablonienne dans un chapelet de petites bulles.
Si l’Iixtrien l’entendit, il n’en prit pas ombrage, car il poursuivit sur sa lancée :
— Voilà, je pense que ce plomb 206 est issu de la filiation radioactive
— Une filiation ? laissa échapper Brixtral.
Il mit aussitôt ses trois mains en même temps devant sa bouche. Encore une fois, ça avait été plus fort que lui, il n’avait pas pu s’empêcher d’intervenir. Il fallait qu’il comprenne comment le plomb pouvait être le fils de quelque chose d’autre. Sans faire plus attention que cela à cette interruption, le vieil Iixtrien poursuivit son explication :
— La filiation radioactive est le résultat de la transformation d’un isotope radioactif en un autre élément. En l’occurrence, le Plomb 206 est le « fils » du Polonium[7] 210 par émission d’un noyau d’hélium.
— Il y avait donc du Polonium initialement ? demanda un des Chtchinions présents.
— Peut-être, répondit l’archiviste des sciences, mais cela me semble peu probable. En effet, j’ai retrouvé que la période de décroissance radioactive du Polonium 210 était d’une centaine d’UT. Du coup, vu l’âge de cet engin, on peut supposer que la « phase Polonium » n’a été que transitoire et qu’il faut remonter encore plus loin dans l’origine.
— Mais… Je vais peut-être poser une question idiote, osa Asobalarava. Quel est l’intérêt de cette filiation ?
Brixtral savait bien « qu’il n’y a jamais la moindre question idiote, seules les réponses le sont parfois », comme le disaient ses enseignants de Droit intergalactique. Il supposa qu’il en était de même dans les sciences physiques, ce qui au vu de la réponse du vieil Iixtrien, s’avéra.
— Eh bien, on peut supposer que si l’on trouve une réaction nucléaire qui a une période suffisamment longue pour fonctionner durant tout le trajet supposé de l’objet, cette réaction dégageant de la chaleur, alors ils devaient avoir prévu de transformer celle-ci en courant d’électrons pour faire fonctionner ce qui a visiblement subi une surchauffe de nos « amis végétaux » en pleine germination.
Le « coupable » n’était plus présent, mais un de ses congénères vit son feuillage devenir bleu vif de confusion. La solidarité interne aux espèces n’était pas un vain mot au sein de l’UIG.
— Ne vous inquiétez pas, mon cher, le rassura l’Ablonienne, personne n’aurait pu imaginer ce qu’il s’est passé.
Sans un mot, le Fluuusio agita son feuillage en signe de reconnaissance et celui-ci retrouva progressivement sa teinte verte d’origine.
— Donc, si nous poursuivons votre raisonnement, il y a plusieurs de ces fameuses filiations entre l’état de départ et ce que nous avons devant nous ? interrogea Asobalarava.
— Tout à fait. Si je ne me suis pas trompé, j’en ai identifié plus d’une dizaine, répondit gravement Vraxbrol.
— Plus d’une dizaine ?
— Absolument ! Cependant, le seul produit de départ possible à mon sens est un élément qui n’existe pas à l’état naturel. J’ai donc supposé qu’il a été fabriqué artificiellement.
Ils étaient donc en face d’un objet manufacturé. Celui-ci avait été réalisé par une espèce capable de créer des éléments n’existant pas dans la nature. Ils savaient également utiliser l’énergie des réactions nucléaires afin de produire une alimentation pour des systèmes devant fonctionner durant extrêmement longtemps. Ils étaient bien en face d’Intels, il n’y avait plus de place au doute, maintenant.
[1] Pour simplifier la lecture et la compréhension, l’auteur n’a pas renommé tous les éléments de la classification périodique des éléments avec des noms issus de l’UIG. Cependant, il est évident qu’entre eux, ils ne parlaient pas de « plomb ».
[2] Expression ablonienne qui peut parfois être remplacée par « remonter en surface ventre à l’air ». Cette expression correspond aussi à « perdre son feuillage » en fluuusio, ou « n’avoir plus qu’une jambe » en iixtrien. Il n’y a pas d’équivalent en Oosat.
[3] Le Plomb « naturel » est composé de plusieurs isotopes ayant un nombre de neutrons différents. Il est normalement composé de 1,4% l’isotope 204, 24,1% du 207, 22,1% du 207 et 52,4% de Plomb 208. Sa masse atomique standard est de 207,2. Dans le cas présent, elle était de 206,1, ce qui est tout simplement « impossible ».
[4] Même remarque que pour le « plomb ».
[5] Dans cette période particulière, les Fluuusios sont parcourus de courants électriques, qui, normalement, restent sous leur écorce, mais qui parfois peuvent s’en échapper.
[6] Sorte d’imbécile en iixtrien.
[7] Même remarque que pour le Plomb, le Germanium et le Silicium.
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