Chapitre 9
Avant l'exploration du système solaire
804ème UT, TU 35987 de l’UIG
Centre de l’UIG sur மையம்01센터
Poursuite de l’expertise de l’artefact entré en collision avec le vaisseau காலை25에요
Ils avaient donc devant eux un objet manufacturé par des Intels capables de créer des éléments artificiels. Il fallait maintenant essayer de faire parler « tout ça » pour tâcher d’en apprendre plus sur eux et sur leur localisation.
Asobalarava était perdue dans ses pensées, se demandant comment avancer sur la détermination de l’origine de ce « bidule ». Elle en était là, flottant entre deux eaux dans sa cuve derrière la vitre blindée qui isolait tous les morceaux de ce « machin », quand elle fut interrompue par une des Chtchinions qui avaient procédé au démontage des différentes pièces. Celle-ci tapotait doucement avec quelques dizaines de pattes sur les parois de verre pour attirer l’attention de l’Ablonienne.
— Oui ? fit-elle en se tournant vers la Chtchinion.
— Je voulais vous faire part de quelque chose que nous avons repéré avec mes collègues.
Asobalarava les fixa avec curiosité, s’attendant encore à des informations déroutantes et incroyables.
— Je vous écoute.
— Il semble qu’il y ait des sortes de graffitis sur quelques fragments. Nous avons fait des photos en les regroupant. Vous verrez, on dirait bien qu’il y en a deux types très différents.
L’Ablonienne tapota gaiement entre ses nageoires, excitée d’avoir vu juste. Il y avait effectivement bien de nouvelles surprises autour de cet objet
— Oh, mais c’est passionnant, cela ! Merci beaucoup mon amie ! Je vais tout de regarder cela !
— À votre service, Asobalarava, répondit-elle avec modestie.
La Chtchinion ne connaissait pas les noms de tous les Intels importants dans ce bâtiment, siège de l’UIG, mais elle avait bien compris que l’Ablonienne en faisait partie. Les autres parlaient d’elle avec un mélange de respect, d’admiration et de sympathie. Elle devait vraiment être quelqu’une ici, se dit-elle en quittant la salle pour regagner son logement.
Asobalarava se plongea dans la lecture des différents fichiers-images qui s’affichèrent sur les parois de sa cuve. Il y avait en effet deux systèmes distincts. Ils présentaient des signes qui avaient des tailles similaires, mais des formes totalement dissemblables. Le premier code semblait toutefois plus simple, les traits avaient tous la même épaisseur. Certains étaient rectilignes et d’autres arrondis. Certains étaient rectilignes et d’autres arrondis. La seconde structure en revanche avait l'air infiniment plus complexe. Celle-ci donnait l’impression de comporter des traits dans toutes les directions et donc, ne paraissait avoir aucun sens pour l’Ablonienne.
Elle allait devoir faire appel à des compétences linguistiques dont son espèce ne disposait pas. Peut-être chez les Fluuusios, ou les Iixtriens ? Encore que, de mémoire, il lui semblait que seuls ces derniers utilisaient un langage écrit. Ah non, c’était peut-être également le cas des Oosats qui avaient un système de codes qui s’affichaient sur eux… Il fallait qu’elle aille solliciter le président de la Commission. Il saurait à qui elle pourrait s’adresser.
Elle le surprit en pleine taille. Deux Chtchinions étaient en train de s’affairer au tour de lui, élaguant les vieux bois afin de permettre la pousse de nouvelles branches. L’apercevant, il ne put s’empêcher de faire un peu le cabot :
— Bien le bonjour, Asobalarava, comment allez-vous ? Vous ne trouvez pas que je fais plus jeune comme ça ?
Même si la jeunesse supposée du Président l’indifférait totalement, elle ne le montra pas. Il fallait être dans ses bonnes grâces. Elle avait besoin de lui…
— Bonjour, Président. Effectivement, cela vous rajeunit ! C’est certain !
— Trêve de politesses, je suppose que vous ne veniez pas me voir pour admirer ma ramure ?
— Non, en effet, je souhaitais vous demander un conseil.
— Plaxtre[1], un conseil ? Et dans quel domaine ?
— Qui pourriez-vous me recommander pour des questions de linguistique ?
— Au sujet de l’artefact, c’est bien cela ?
Prononçant ces mots, il se renfrogna. Elle savait qu’il n’avait toujours pas digéré la création de cette sous-commission et le fait que ce « truc » risquait de causer des tas de problèmes. La sève n’arrivait décidément pas à passer à ce sujet.
— Oui, tout à fait.
— Je vous écoute, Asobalarava.
Elle pinça les coins de sa bouche, hésitant quant à ce qu’elle devait dévoiler exactement. Après quelques secondes de réflexion, elle choisit de tout raconter. Sans cela, il risquait de ne pas pouvoir l’aiguiller correctement. De toute façon, il était déjà contrarié. Un peu plus, un peu moins…
— Si vous aviez des signes ressemblant à une potentielle langue, à qui vous adresseriez-vous comme linguiste pour en identifier le sens ?
— Bon, déjà, ce n’est pas très étonnant qu’une espèce capable d’envoyer quelque chose dans l’espace dispose d’une langue écrite.
— Peut-être même de deux, Président.
— Deux ?
— Peut-être, oui…
Il la dévisagea un bref instant, visiblement stupéfait, avant de se gratter les bourgeons, pensif.
— Je n’ai qu’un nom : il s’agit d’Oosvlax, un Oosat très érudit et spécialiste des langues très anciennes.
Elle frémit de joie, éclaboussant un peu autour de sa cuve. Elle n’était pas venue pour rien, elle tenait un spécialiste Il fallait juste espérer qu’il était à la hauteur de sa réputation.
— Bien, merci Président. Je vais lui envoyer un message dès que je vous aurai quitté.
— Transmettez-lui le bonjour. Je l’ai connu, il y a bien longtemps.
— —Je n’y manquerai pas.
À peine contacté, le fameux Oosvlax lui répondit un demi-UT plus tard, visiblement impatient de la rencontrer et de l‘écouter. Quand ils se rejoignirent l’UT suivant, il eut beaucoup de mal à réfréner son enthousiasme :
— Dites-moi tout, Asobalarava. Une nouvelle langue écrite? Non, même deux ! Extraordinaire, vous avez des images de la graphie ? Montrez-moi ça, je vous prie. J’ai tellement hâte de découvrir cela et de travailler dessus.
Elle songea que la meilleure solution était de lui transmettre les photos qu’on lui avait remises. Dans un premier temps, elle les fit apparaître sur les parois de sa cuve.
— Oups, excusez-moi, fit-elle, je les ai projetées à l’envers, elles étaient dans le bon sens pour moi, mais pas pour vous…
— Sinon, il aurait fallu que je saute dans votre cuve pour les voir ? répondit-il taquin.
L’Ablonienne verdit jusqu’au bout de ses nageoires, signe d’un embarras notable. Pour cette espèce, la cuve est ce qui représente l’intimité la plus stricte. Imaginer un Oosat pénétrer dans celle-ci la révulsait au plus haut point.
Comprenant qu’il avait commis un impair, Oosvlax se confondit en excuses. Il se maudit lui-même, le soi-disant linguiste, spécialiste des langues du monde entier, et donc des spécificités culturelles aussi. Certes, il n’était pas intelologue[2], mais là, il aurait quand même pu éviter cette bourde monumentale. Il espérait qu’elle n’allait pas faire appel à quelqu’un d’autre, maintenant.
Cependant, Asobalarava, en créature intelligente, avait bien compris qu’il n’y avait nulle moquerie dans les propos de l’Oosat, juste la réponse du tac au tac à une perche qu’elle lui avait elle-même tendue. Dans tous les cas, elle avait besoin de lui. Faisant donc fi de sa dignité qui aurait pu être potentiellement mise à mal, elle prit sur elle et retrouva progressivement sa couleur initiale, un gris clair, irisé sur les flancs. Elle le rassura également:
— Ne vous en faites pas, Oosvlax, c’est moi qui les avais affichées dans le mauvais sens… Maintenant qu’elles le sont correctement, qu’en pensez-vous ?
Il fallait vraiment passer vite à autre chose. Elle en avait encore des frissons dans la nageoire dorsale d’imaginer l’Oosat plongeant ne serait-ce qu’une excroissance dans son eau.
Il cessa ses excuses et se concentra quelques instants sur ce qu’il avait devant les yeux. Le moment de silence parut incroyablement long à l’Ablonienne.
— Fantastique ! s’exclama-t-il, rompant son mutisme.
— Alors ?
— C’est vraiment extraordinaire, Asobalarava. Je n’ai jamais vu une chose pareille. C’est tellement gentil d’avoir pensé à moi.
— Fluuusifrato, le Président de la Commission des Affaires InterGalactique m’a dit que vous étiez le meilleur…
— Oh, mais quel flatteur.
— Vous imaginez que vous allez pouvoir en faire quelque chose ?
Elle avait beau être habituée aux entregents des affaires de l’UIG, il fallait qu’elle sache si elle obtiendrait des résultats ou pas. Les politesses c’était bien, mais elle avait une expertise à avancer.
— Je pense qu’il s’agit de langues avec alphabet ou avec des idéogrammes, voire un mélange des deux. Mais pour ce qui est de la déchiffrer, cela dépendra de la quantité d’items que vous me livrerez.
— Je vous fournirai tout ce que nous avons, n’ayez crainte.
— Je ferai mon possible, vous pouvez en être certaine. Merci encore de votre confiance.
— Si vous avez besoin de quoi que ce soit pour avancer dans vos travaux, n’hésitez pas à me solliciter. Je vous envoie dès maintenant l’ensemble des données collectées.
— Merci, Asobalarava !
Oostrail trépignait d’impatience intérieurement. Il était devant l’énigme la plus passionnante et la plus fantastique qui ait jamais été posée à un linguiste de l’UIG depuis plusieurs milliers de TU, voire depuis la nuit des temps.
Il y passa une cinquantaine de TU et utilisa les fabuleuses capacités de calcul de plusieurs de ses congénères pour essayer de décoder ces langages étranges. Il expliqua la démarche suivie à sa commanditaire un peu plus tard.
Mince, cela ne débutait pas aussi bien que ce à quoi elle s’attendait. Mais que s’imaginait-elle ? Qu’il allait être possible d’établir un glossaire vers le myxolydien à partir de ces deux langages écrits ? Elle se souvint qu’elle n’avait pas donné énormément de matière au linguiste.
— J’ai pu avancer un peu. Je vais vous montrer.
Il fit s’afficher en grand deux fragments de pièces de l’artefact sur lesquels était inscrit :
« 日本製 »
« Made in Japan »
— Comme vous pourrez le noter, on voit nettement deux écritures absolument distinctes. Je vous confirme donc sans hésitation qu’il y a bien deux langues différentes.
— Ah oui, c’est très net !
Les deux lignes ne semblaient effectivement n’avoir aucun point commun…
— Est-ce que cela pourrait être… deux espèces ?
Elle se souvint qu'elle s'était elle-même posée cette question lorsqu'elle avait découvert les images.
— C’est possible, en effet, répondit l'Oosat.
Les deux espèces distinctes étaient la seule explication envisageable. Si l’objectif est la communication, autant simplifier les choses et limiter au maximum les obstacles aux échanges et donc n’avoir qu’un langage unique. C’est ce qui s’était passé avec le myxolydien, moyen d’expression standard de l’UIG, qui était à la fois simple et porteur de multiples nuances. Ces dernières permettaient le respect des habitudes et façons de penser propres à chaque espèce. Donc deux langues impliquaient forcément deux espèces.
— J’ai autre chose, si vous voulez bien regarder :
Il envoya sur l’écran :
« Made in USA »
— Si l’on reprend la première image et qu’on suppose que, sur le premier fragment, les termes dans les deux langues signifient la même chose, on commence à obtenir des correspondances entre les deux.
— Oui, qu’est-ce que cela veut dire ?
— Je n’en ai aucune idée, mais ce qui est intéressant, c’est que ces deux langues semblent avoir des similitudes, des points communs et permettent sans doute, à ces deux espèces de communiquer ensemble.
— Deux espèces qui coopèreraient donc et qui fabriqueraient du matériel pour elles deux, puisque les deux écritures cohabitent. C’est passionnant, Oostrail, poursuivez.
— Malheureusement, le reste des inscriptions est incompréhensible,
— Cruxztalut [3]!
Quand elle était déçue, Asobalarava employait parfois des expressions iixtriennes familières
— À part peut-être ceci qui a été photographié, visiblement sur la face inférieure d’un petit morceau ressemblant à un genre d’insecte en modèle réduit. :
Il envoya sur l’écran la mention :
« Intel Corp. ».
— Et cela signifie ?
— Je n’en sais rien. En fait, cette écriture-ci est vraiment très effacée et il n’en subsiste pas grand-chose. Par contre, pour l’autre, on a un peu plus d’éléments comme par exemple…
Il fit apparaître un nouvel affichage :
三菱商事株式会社のライセンスを受けて製造されています。
— Comme vous pourrez le noter, il y a un caractère similaire, le dix-neuvième, identique au troisième dans la première vue que je vous ai montrée. Mais je n’ai pas assez de matière pour en déduire quoi que ce soit de notable. Toutefois…
— Toutefois ?
— Ce qui me perturbe c’est que cette langue semble être un mélange de vluxique[4] comme l’iixtrien et d’ostooliars[5], comme en oosat. Comme vous avez pu le voir, la complexité des signes n’est pas constante. Je pense que les signes élaborés sont des oostoliars et ceux qui sont plus basiques correspondent à des vlux.
— En quoi cela vous avance-t-il ? s’interrogea l’Ablonienne.
— Eh bien, cette langue-ci va être passablement plus délicate à déchiffrer que la précédente, qui, elle, paraît nettement plus simple, plus uniforme du moins. En effet, la première n’est formée que par un nombre de caractères limités, un peu plus d’une vingtaine. Il y a de grandes chance que ces signes, associés par deux ou trois forment des sons, des sortes de vlux
— Vous allez pouvoir la traduire ?
— Non, je n’ai pas encore assez d’éléments concrets. Je n’ai que les signes que je vous ai montrés. Dès que nous en aurons plus, cela ne devrait pas nous résister longtemps. Peut-être que si nous parvenons à faire des parallèles supplémentaires entre les deux langues, nous percerons également les secrets de la seconde ?
Asobalarava lâcha un bref chapelet de bulles de soulagement. Elle n’avait pas obtenu les résultats escomptés, mais les conclusions d’Oosat s’avéraient porteuses d’espoir. Il manquait juste de données pour le moment, afin de comprendre ces signes et ces langues.
— Je vous ai transmis tout ce que j’avais pu récupérer comme inscriptions.
— C’est vraiment dommage que les traces du langage en syllabe soient nettement plus effacées que les autres…
— Je sais, Oostrail, je sais. Cet objet vient sans doute de très loin et a dû voyager extrêmement longtemps, ce qui explique son état de dégradation.
— En tout cas, si vous avez de nouveaux éléments, un jour, n’hésitez pas, je serai ravi de me replonger dans cette passionnante quête.
— Merci beaucoup, mon cher. Vous m’avez déjà été fort utile.
Utile à quoi ? Elle ne savait pas trop, cependant la question qui lui était posée sur l’origine de cet artefact, au lieu de se résoudre petit à petit ne faisait que se complexifier de plus en plus. Maintenant, elle avait deux espèces sur les nageoires… Au moment où ils allaient se séparer, l’Oosat l’interpela :
— Asobalarava, si vous avez besoin, un jour, de très puissantes capacités de calculs, par exemple pour estimer d’où provient ce « machin », vous pouvez compter sur les Oosats. Nous serions collectivement ravis de vous aider avec cette énigme.
— Merci Oosvlax. Je m’en souviendrai…
Finalement, peut-être qu’une des seules pistes restant à explorer pour l’instant était une sorte de datation de l’engin pour évaluer son trajet et donc son origine? Elle irait voir Vraxbrol, le vieux savant iixtrien, pour en parler avec lui.
[1] Interjection iixtrienne passée dans le langage commun de l’UIG et qui évoquait, à l’origine, une forme de nuages très particulière, annonçant des précipitations importantes, sur la planète où est apparue l’espèce des Iixtriens.
[2] Intelologue : spécialiste des études des civilisations Intels et de leurs évolutions dans le temps.
[3] Expression familière iixtrienne signifiant la déception.
[4] Vlux : équivalent de syllabe dans la langue d’origine iixtrienne. Vluxique, formé à partir de vlux.
[5] Oostoliars : équivalent d’idéogrammes.
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