XIV- De la perspective 1/2
Ainsi donc le duel s'est fait "ici et maintenant" comme l'avait dit le cavalier. Malgré cela il a donné des ordres à ses camarades pour que l'un d'eux retourne vers l'armée et la fasse monter le camp. Il a fallu attendre qu'un type à pieds vienne en courant en portant armes et armures pour le cavalier. Que ce dernier descende de son cheval et le guide plus loin et enfin qu'il revête son armure.
Il m'a regardé de loin un instant pour me crier ensuite :
"Tu as un bouclier, petit ?
- Non !" J'ai répondu sur le même ton dédaigneux.
Alors il refusa le bouclier que lui tendit ce qui aurait pu être son écuyer si le cavalier était un Chevalier. Pendant ce temps-là, j'attendais à ma place. J'ai laissé mes recrues immobiles sur la bute pour m'avancer dans le champ juxtaposant la route de Elk. La pluie commençait à rendre la terre mole mais elle était encore assez dure. J'avais la main gauche nerveusement sur le fourreau de mon épée. J'avais esquivé jusque-là toute réflexion sur ma situation. Mais c'était incontournable : qu'est-ce que j'avais fait pour en arriver là ? J'allais me battre contre ce qui ressemblait à un Chevalier chevronné. Je n'ai pas prêté attention à ses épaules pour savoir s'il porte des galons mais son comportement ressemble en partie à celui de Rollon. Il a une assurance complète et tout le monde semble être à ses ordres. S'il n'est pas Chevalier, il commande l'immense armée devant moi, c'est indéniablement quelqu'un d'expert dans les armes. Je n'ai aucune chance
Il est trop tard pour reculer. Et puis de toute façon mes pas me menaient en avant, l'un après l'autre je me présentais au centre du champ, en face du Chevalier qui était fin prêt.
"Je peux tout de même vous demander vôtre nom ?" J'osais demander, une intuition me prit, comme un doute suivant des paroles du Chevalier Rollon.
- Bien sûr ! Je me nomme Elec, Chevalier du Royaume du même nom. On m'appelait Othar avant.
- Merci
- Et toi c'est Arn, hmm, je tâcherai de m'en souvenir." Dit-il sur un ton qui suggérait l'inverse. En garde, petit !
Et le duel commençait. En même temps que je voyais le Chevalier courir sur moi, j'ai repensé à quelque chose qui m'était sortie de la tête, mon pouvoir surnaturel. En repensant à tout ce que je pouvais alors faire face à mon adversaire, j'ai souhaité gagner du temps, en avoir plus pour jauger toutes les possibilités. C'est alors que je vis ralentir le Chevalier devant moi, je commençais aussi à entendre différemment la pluie tout autour de moi et sur mon corps, le son ambiant régulier perdait en intensité, les gouttes de pluie tombaient moins vite. Le Chevalier de même, ce n'est pas qu'il avait ralenti le mouvement, ses gestes et son allure n'avaient pas bougé, tous se faisaient simplement plus lentement. Plus il avançait plus le temps ralentissait autour de moi.
Après avoir observé cela et avoir été en extase une seconde, je repris la maîtrise de moi-même et je réfléchissais à ce que j'allais faire ensuite. J'aurai pu profiter de ce temps ralenti pour m'avancer vers le Chevalier, esquiver facilement ses gestes et lui planter mon arme dans le torse. Mais je n'étais pas capable d'accomplir cet acte de lâcheté, je voulais le combattre de manière loyale. Cependant il était plus que certain que seul à seul, j'allais me faire tuer en cet après-midi pluvieux. Il fallait que je trouve quelque chose d'autre.
Quoi ? C'était la question. Et j'ai eu beau la tourner et la retourner pour la regarder sous toutes ses formes, je n'ai pas trouvé la réponse qui m'allait le mieux. Tout ce que mon pouvoir m'offrait me sembler être une tricherie immense. Plus qu'à moi, si l'armée me voyait faire, par exemple être d'une vitesse surréaliste et toucher le Chevalier au cœur d'un coup, les soldats allaient-ils l'accepter ? J'avais aussi des recrues dans mon camp, allaient-ils être heureux de ma victoire et ne pas penser à ma lâcheté, à tout ce que je pourrais faire contre eux comme j'aurai fait au Chevalier ? Non, il fallait que je garde secret mon pouvoir d'un et de deux que je remporte mon duel d'une façon insoupçonnable. Que faire alors ? La dernière solution que j'avais était en fait la première, reprendre le court correct du temps et me battre comme un apprenti Chevalier.
Cette pensée étant devenue majeure dans ma tête, la pluie sortie de son état tétanisé et le Chevalier couru de nouveau vers moi. S'il n'y avait jusque-là aucune authenticité dans son regard, j'avais l'impression d'abord qu'il pensait perdre son temps avec moi puis qu'il allait jouer au duel, à présent une rage l'animait. Je pouvais voir des flammes dans ses yeux et un rictus d'animal en chasse aux côtés de sa lèvres supérieure. Mais surtout, surtout... il arrivait vite à ma hauteur !
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