XVI- De la troisième expérience ou Du deuxième éclat 3/3
Le combat sur les murs reprenait. Le commandant sur ma droite tenait courageusement la position et le meneur des hommes sur ma gauche n'avait rien à lui envier. Mais le surnombre l'emporterait tôt ou tard. Quant au Garde Royal et moi-même, nous restions sur le sommet des portes.
"Que faisons-nous ? Je lui demandais, je restais, après tout, sous ses ordres.
- Je ne sais pas, je ne sais plus. Je n'avais envisagé vivre jusque-là... Ses paroles pénétrèrent mon corps d'une manière inattendu. Son visage blême et son expression d'horreur tenaient pour beaucoup.
- Réfléchissez ! Tant qu'il y a un souffle de vie dans ce corps, il peut servir ! Je lui criai dessus en le pointant du doigt sur la dernière réplique.
- Je ne sais pas !
- Allez seconder le commandant ! Je criais plus fort encore. Moi je saute."
J'avais dit cela parce qu'une idée m'apparut à l'esprit. Au même instant du second abandon du Garde Royal, j'ai entendu le bruit des roues du bélier roulant sur les cailloux. Ces cailloux m'indiquaient que l'arme de destruction approchait des portes. Il devait même se trouver juste en bas des créneaux de notre plateforme.
Ainsi, même si cela consistait en une chute de plus de dix mètres de hauteur, je sautais par-dessus le mur pour tomber sur ce qui se trouverait sous moi, que cela soit le bélier lui-même ou ses gardiens. Une idée folle, j'en conviens. Mais mon pouvoir vint suppléer la faiblesse de mon corps. Je ne subis aucun dommage de ma chute. Mieux encore, mes pieds touchèrent la tête du bélier qui se rompit en mille morceaux sous le poids et la résistance que je donnais à mon corps. En un instant, si je puis dire, je sauvais la ville.
Mais le combat n'était pas fini, loin de là. Je me trouvais à présent entouré d'ennemis. Ils reprirent tour à tour l'esprit en encaissant ce qu'il venait de voir et tout le monde me chargea en même temps. L'épée dégainé, j'étais prêt à vendre chèrement ma peau et je faisais siffler l'air autour de moi.
"Approchez ! Approchez ! Si vous l'osez ! Mais vous ne franchirez pas ces portes !" J'invectivais à mes adversaires.
Cela ne fit peur à personne, certains escaladait la carcasse du bélier pour mieux me sauter dessus. Alors je coupais, je tranchais et je blessais tout ce qui passa à hauteur de mon épée. Là encore, je ne le cacherais pas, mon pouvoir m'offrit une vitesse et une force supplémentaire de telle façon que les corps adverses volaient à distance en bousculant les corps derrières. Un vent nourri de mes mouvements en empêchait d'autres d'approcher.
Jusqu'à ce que j'entende un cri de guerre :
"A la Zarba !"
Qu'un bruit sourd apparu derrière moi et une voix que je reconnaissais tout de suite me donna encore plus d'énergie :
"Petit ! Je suis avec toi !" Dit le commandant en enfonçant la ligne adverse qui tentait de m'encercler.
Des cris de douleurs, des râles d'agonie arrivaient par dizaines à mes oreilles. Mais la bataille exigeait ce sacrifice humain, je tuais pour une cause juste. Même si je regrette les morts de tous ces valeureux dans un camp comme dans l'autre, puisqu'ils n'étaient coupables que d'obeir aux ordres, en cet instant précis je me sentais vraiment un élu, l'"Elu" ou pas l'"Elu", mais un élu. Je protégeais une population qui ne pouvait plus le faire par soi-même contre un envahisseur inhumain.
En effet, je commençais à m’évaluer - oui, oui, au centre la bataille, en tuant d'une main un type et en tranchant l'artère d'un autre - évaluer, disais-je, la possibilité que le Chevalier qui guidait l'armée était comme le précédent que j'avais tué en duel. Était-il possible que les flammes que j'avais aperçu dans le regard du Chevalier Elec soient le reflet de son âme, ou de quelque chose comme cela, qui ne désirait que le feu et le sang ? Il me revenait ainsi à l'esprit l'histoire de l'Elu, des Gardiens de l'Equilibre et de cet Equilibre en danger. Je me remémorais des paroles échangées entre le Chevalier Rollon et mon père. Le premier n'avait plus de nouvelles des autres Chevaliers et mon père pressentait "l'ordre ancien" en danger. J'additionnais cela à l'expression "Enfer" que j'avais employé en parlant de "bêtes" qui en venaient. J'avais parlé de cela dans cette transe que je n'avais pas maîtrisée complétement.
J'élaborais ainsi des fondations de quelque chose de mal. C'était cela, exactement cela, qui me poussait à combattre et tuer et encore tuer ces hommes et quelques femmes devant moi. A la fin de mes réflexions je n'attendais plus qu'une chose. J'attendais que le Chevalier qui menait l'assaut se présente à moi. Chaque corps qui tombait devant moi le faisait approcher, j'en étais certain.
J'espérais que sur les murs les combats se passaient bien. Et je sentais la présence rassurante du commandant dans mon dos, sans regarder je savais qu'il était encore debout et se battait comme une bête enragée, peut-être même plus enragée que moi.
Les corps ne s'entassaient pas devant moi puisque l'un ou l'autre finissait emporté par le courant d'air que faisait mes coups. Il était emporté à des dizaines de mètres. Mais au bout d'un moment, malgré les protections que je me donnais - je suis persuadé que je n'étais même pas conscient de tout ce que mon pouvoir avait créer pour moi - la fatigue parcourait mon corps. Avec la fatigue mes coups devenaient moins précis, j'étais moins rapide et moins conscient à tout ce que je devais faire attention. Aussi je recevais des blessures légères aux bras ou aux jambes dans un premier temps. Puis une lance pénétra mon corps. Dans une douleur atroce, au summum de ce que je ressentais comme supportable, je tournais la tête sur la droite pour voir que dans une rage, un soldat qui bavait tellement il rongeait sa haine m'avait transpercé de son arme.
J'étais immobilisé. Je crois que sur l'instant j'étais plus choqué de ce qui avait pu se passer malgré tout que toute autre émotion. Puis un instant après, mes jambes ne tinrent plus, je tombais à terre doucement. Le soldat accompagnait mon geste en tenant ses mains sur le manche de son arme. Il criait cependant victoire. Mais avant que ma vision s'assombrisse je vis sa tête voler sous le tranchant de l'épée du commandant. Mes yeux se fermèrent après cela... puis les sons à mes oreilles s'estompèrent doucement... je ne sentis que légèrement le choc de l'armure sur laquelle ma tête avait cogné en tombant.
Tout au fond du néant dans lequel je sombrais, j'entendis une voix, une voix très faible. Enfin non, d'abord un cor de guerre attira les dernières énergies que j'avais. Je me concentrais sur ces derniers sons que je pouvais entendre. Après le cor, une voix criait :
"Chargez, chargez ! Défendez-les !"
Puis plus rien. Une ombre passa.
[Fin de la Première Partie]
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