XXI- De la route à suivre 2/2
J'ai donc monté les marches de l'escalier jusqu'à la chambre partagée avec mon père. Il ne s'est guère passé beaucoup de chose. Ah ! En fait si. Mon père nous obligea à dormir sur le sol dur du plancher de la chambre et non dans les lits, sur les matelas, certes usés et un peu sale mais surtout doux et moelleux. Au contraire, mon père voulait que l'on prenne l'habitude de dormir par terre puisque c'était ce qu'on allait faire durant tout le restant du voyage.
Aussi, en voyant que je n'avais pas d'autre vêtements que ceux que j'avais sur moi, il suggéra l'idée que l'on irait dans un village, demain, pour voir si l'on pouvait trouver quelque chose.
"On ira au premier village après avoir traversé la frontière du Royaume de Elec. Tu reconnaîtras la frontière, c'est la rivière Fyl qui court sur bien des kilomètres dans les plaines. Elle n'est pas franchissable à pieds et de rares ponts permet de passer de l'autre côté."
Un détail qui n'avait, en soi, pas beaucoup d'importance mais cela avait le mérite d'être intrigant. Est-ce des rivières et potentiellement d'autres éléments naturels qui forment les frontières entre les Royaumes ? Et est-ce que, lorsqu'un Royaume conquiert un territoire d'un autre, la prise de contrôle des terres s'avance d'une rivière à une autre ? Je réfléchissais ainsi à la nature du monde des Humains et je crois que cela m'endormit.
Je me suis fait réveiller par mon père au matin.
"Allez, lève-toi, descend manger un bout et nous partirons après."
Je fis ainsi. En descendant les escaliers, je me rendais compte que la salle commune de la taverne était bien vide comparé à hier soir. Et on entendait à présent très bien la voix du barde du fond de la salle. Je pris l'identique place autour de la même table et je pu profiter du barde tout en mangeant un ragout un peu fade de panais, de carotte et de pomme de terre. La chanson se contentait de déclamer une phrase a capella, de laisser quelques notes de musique ensuite puis de passer à la phrase suivante. La pause après la quatrième phrase était plus longue que les autres. Ainsi de suite et la chanson devait réciter une épopée ancienne :
"C'était par un de ces jours doux / J'avais posé à terre le genou / Mon Roi avait rejoint la mort / Je n'avais été assez fort ...
C'était par un mois pénible / Animé de prétendants irascibles / Et les envahisseurs arrivaient / Mon courage ne fut jamais brisé ...
C'était par une longue décennie / Le feu embrasait tout ici / Nous avons croisé le fer / Et repoussé les bêtes de l'Enfer ...
C'était par une vie juste / Toute vouée à notre Auguste / A tous ces combats que je mène / Qui est avec moi ? Pour la Reine !..."
Je n'avais jamais entendu ce chant mais j'ai tout de suite remarqué le silence entre nous lorsque les premiers accords de musique et les premières paroles sont apparu. Toute la tablée s'est figée pour écouter. Le regard de Harlan semblait être fier. Ceux de Finn et du Chevalier Nonn semblaient perdu dans un passé qu'ils regrettaient. Les yeux du Chevalier Rollon étaient fermés, sa tête semblait néanmoins cérémonieusement immobile. Et je ne pu observer correctement mon père puisqu'il était assis à côté de moi.
Lorsque le barde termina son chant puis ses derniers accords de musique, toutes les personnes de la salle commencèrent à taper des mains et des poings sur la table, contre le comptoir de l'aubergiste ou sur les planches des murs. J'ai été d'abord surpris de cela puis je me suis inquiété que mon assiette ne tombe pas par terre. Mais les réactions n'ont duré qu'un court temps et l'auberge entra dans un profond silence.
Le silence aurait pu durer longtemps. Le rire de Finn d'abord forcé il prit consistance petit à petit pour se terminer par une de ses répliques qui me restera longtemps en mémoire :
"La journée commence bien ! Une bonne chanson, des bons compagnons et un bon repas !"
A la suite de quoi tout le monde de la table rit à gorges déployées. Quelque chose dans cette musique avait pris à la gorge tout le monde. Ce rire partagé expulsa tout à l'extérieur. Je n'avais pas envie de me creuser la tête à chercher la réponse moi-même, je savais très bien que je ne l'a trouverait pas, alors j'ai interrogé l'assemblée :
"Quelle était cette chanson ? Finn reprit son franc rire de plus bel tandis que le Chevalier Rollon me répondit sur ce dernier :
- Celle de Edmon, le premier d'entre tous les Chevaliers de l'Ordre. Grand Général, Héros du Premier Empire des Hommes.
- Il fut aussi confident de la Reine. Dit mon père.
- La Reine de la chanson ? Je demande.
- Celle-là même. Celle qui écrivit après un songe la prophétie des Portes de l'Enfer. Répondit mon père en baissant le ton sur ses derniers mots.
- Aaah, j'imagine qu'ils ont vécus il y a très longtemps.
- Très longtemps, mon petit, effectivement. Fit Harlan pour renchérir encore : Il y a plus de mille ans. Pourtant les mots que tu as entendus sont les siens. Son testament a traversé les âges, les Royaumes, les Empires. Cela fait partie de notre histoire."
Ces paroles laissèrent un petit silence entre nous qui fut coupé par mon père, pour changer.
"Bien ! Mangeons et nous partons après !"
Et comme d'habitude, cela s'est passé exactement comme il l'a dit. Le repas matinal s'est passé et nous avons commencé à préparer nos affaires. Le Chevalier Rollon est allé voir l'aubergiste pour le payer, puis le barde pour lui laisser quelques pièces après avoir échangé des paroles, dont une ou deux plaisanteries. Il donna aussi une pièce au garçon d'écurie qui sortit tour à tour nos chevaux.
Nous reprenions la route.
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