Travail

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   Il s’immergea complètement dans le travail. Du premier au dernier train, il restait concentré sur les problèmes concrets tels que les comptes, les investissements, la production, les charges, pour oublier les questions métaphysiques qui avaient commencer à le hanter. Que pensent mes enfants de moi ? Qui suis-je sans eux ? Est-ce Dieu qui me met à l’épreuve ? Il les chassait comme des mouches dès qu’elles approchaient. Des jours passèrent le firent angoisser. Quand se furent des semaines, la panique le gagna complètement. Sa fille le détestait, probablement, mais elle aurait au moins prévenu Marie de l’endroit où elle se trouvait. Les fugues sont un signal de détresse envoyé aux parents, récita-t-il, pas une décision définitive.

   Ce soir-là, il rentra avant la nuit tombée et se rendit à l’église. Il pria avec ferveur, s’excusa en détails du mal qu’il avait fait, dit, pensé. Il demanda l’aide suprême, maintenant, quoi que ce soit. Et si Dieu ne voulait pas l’aider, qu’il aide au moins sa femme et ses filles. Seigneur, dites-moi où est ma fille !

   Ses prières terminées, il se redressa, épuisé, et s’aperçut que l’église était bondée. On le regardait avec insistance, comme s’il avait porté un pantalon vert fluo, se dit-il. Alors qu’il remontait la nef, on se tournait vers lui, l’air contrit. Avait-il des hallucinations ? Qui êtes-vous ? Avez-vous trouvé ma fille ?

   Le même phénomène le poursuivit sur le chemin du retour. Telle boulangère sortit de sa boutique pour l’observer ; tel voisin se retourna sur son passage. Cette écolière lui demanda s’il allait bien, et cet inconnu descendit du bus pour lui serrer la main. Qu’ont-ils tous ? La tête lui tournait, il accéléra le pas. Est-ce donc toute l’aide que le ciel peut m’envoyer ?

   Son cerveau, ou plutôt son cœur, refusaient d’assembler les pièces du puzzle. Lorsqu’il rentra chez lui et vit toute sa famille réunie, il pensa d’abord avoir été exaucé. Aurore était là, enlacée à sa plus petite sœur. Justin aussi était revenu et avait posé son bras sur les épaules de Baptiste dans un geste protecteur. Marie avait le chat.

   Monsieur Grandet les regarda, voulut sourire, puis son esprit embrumé calcula. Deux fois deux, quatre, plus une, cinq. Il manquait toujours Claire. A l’inverse, le sol ne manquait pas de boîtes de mouchoirs vides. Mais les vêtements des Grandet manquaient de couleur. Il posa ses yeux sur une dizaine d’autres, ouvrit la bouche, et s’évanouit.

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