Le ballon et la petite fille
Ce dimanche, les rayons du soleil éblouissaient la campagne dans ce petit village du sud-est de la France. Le thermomètre devait facilement afficher 35 degrés au moins, et avec cette chaleur, la plupart des gens restaient au frais, chez eux.
C'était le premier jour aussi chaud de l'année, on n'était qu'au mois de mai, l'hiver avait été tellement rugueux que tout le monde avait accueilli cette vague de chaleur comme une libération, malgré les climatiseurs, les ventilateurs, les brumisateurs...
Beaucoup avaient désertés le village pour se rendre au lac, en famille, aussi, on ne croisait pas grand monde dehors.
Et pourtant, si quelqu'un avait osé tendre l'oreille, il aurait pu percevoir des cris d'enfants. On entendait parfois "Passe !", "Tire !", des rires, des coups de pied dans le ballon, au milieu d'un silence de plomb.
Ils étaient six, quatre garçons et deux filles, âgés de huit à onze ans, tous en short, t-shirt et baskets. Tous sauf l'aîné, Quentin : il arborait fièrement le maillot de son club de football préféré, celui de la ville la plus proche, qui venait de gagner un match crucial en championnat la veille. Son petit frère Axel, son portrait craché avec deux ans de moins, était dans son équipe, et la fille de leurs voisins, Nina, la plus jeune du groupe, complétait le trio. En face, une équipe moins expérimentée mais plus homogène et tout aussi motivée : les deux Lucas, copains comme cochons, et Sarah, que les cinq amis venaient à peine de rencontrer.
Tous les cinq avaient grandi dans ce village, avaient joué dans la même cour de récréation, ils connaissaient tous les habitants du village, tutoyaient le maire et vouaient une animosité cordiale aux enfants du village voisin, comme leurs parents.
Sarah n'était pas du coin. Elle était en vacances chez sa grand-mère depuis une semaine déjà, mais elle habitait Rennes, de l'autre côté du pays. Le début de ses vacances avait été monotone : beaucoup de pluie, peu d'occupation, elle qui était ravie de quitter la Bretagne pour découvrir le sud de la France, sa première semaine fut décevante. Aussi, dès les premiers rayons du soleil, elle s'était précipitée dehors, admirer le ciel bleu, courir dans les champs, profiter de la verdure et du calme de la campagne : elle découvrait l'odeur de la rosée dans les prés, le chatouillement des harbes hautes sur les jambes. C'est à ce moment-là qu'elle avait entendu des voix d'enfants : elle s'était approché d'eux, et courageusement, s'était présentée et avait demandé la permission de s'entraîner en leur compagnie.
Les cinq compères avaient vu arriver une fillette brune, les cheveux mi-longs attachés en queue de cheval, un bob sur la tête, un appareil dentaire qu'elle tentait de dissimuler autant qu'il en était possible. Le groupe était ravi : à deux contre trois, le match de football s'avérait déséquilibré, ce sixième joueur arrivait à point nommé. Ils avaient accueilis Sarah avec enthousiasme, et s'apprêtaient à mettre en place le terrain de sport.
Le champ n'était pas très adapté au football de haut niveau : des creux et des bosses ça et là, des taupinières, quelques orties sur les bords, mais les enfants n'en avaient cure. Deux sacs à dos feraient office de cage d'un côté pour l'équipe de Quentin, deux vestes pour l'équipe de Lucas. On s'était mis d'accord sur une distance de quatres enjambées : c'est Quentin qui calculerait les pas de part et d'autre, sous l'oeil méfiant de l'équipe adverse pour s'assurer que chaque enjmabée fasse précisément la même longueur à chaque fois.
Il ne restait plus qu'à se mettre d'accord sur les règles : pas de gardien, pas de touches tant que le ballon n'est pas sorti du champ, engagement depuis les cages, tacles glissés interdits.
— Tu joues bien, Sarah ? demanda Quentin.
— J'y joue souvent dans mon école mais je suis pas la plus forte, répondit-elle.
Cette information était suffisante. On pouvait donner l'engagement. Honneur à la nouvelle : ce serait à Sarah d'engager.
Elle prit une grande inspiration, regarda ses coéquipiers. A sa droite, le premier Lucas était un petit garçon brun, il semblait souvent dans la Lune, il n'avait pas prononcé un seul mot depuis que Sarah était là. A sa gauche, légèrement en retrait, comme s'il s'était déjà attribué le rôle de défenseur, l'autre Lucas était châtain clair, les cheveux légèrement frisés, un peu plus grand, souriant, bien plus bavard, il racontait souvent des âneries, pour se rendre intéressant. Dans l'équipe qui lui faisait face, Quentin était incontestablement le plus charismatique, il avait un profil de leader, il semblait apprécier être le plus grand et le meneur du groupe. Il semblait grand et mature pour son âge. Nina, quand à elle, était une petite fille blonde avec des yeux incroyablement bleus, très discrète. Elle semblait très proche de Quentin, de sorte que Sarah cru d'abord qu'il était son grand frère. Axel ressemblait beaucoup à son frère physiquement, mais bien moins sûr de lui, comme s'il gardait en lui une blessure que son aîné n'avait pas. Chaque fois que Sarah le regardait, il détournait les yeux. Il se grattait constamment la tête, « j'espère qu'il n'a pas de pous » pensa furtivement Sarah.
Elle engagea en passant le ballon à sa gauche et courut vers les cages adverses. Pour la toute première fois depuis quatre mois, elle pensait à autre chose qu'à l'incendie de sa maison qui avait ôté la vie à ses deux parents.
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