Quand Christa reprit conscience, elle était dans un lit. Elle sentit un petit courant d’air dans ses narines, provoqué par des petits tuyaux lui fournissant de l'oxygène. Elle se rappela que l'on appelait ce dispositif des lunettes. C'était idiot de se polariser sur de tels détails, mais elle avait du mal à rassembler ses idées. Elle tourna péniblement la tête à gauche, et vit qu’elle avait une perfusion au bras. Elle regarda à droite et reconnu Erin assise sur une chaise près du lit. Elle essaya de lui sourire.

  — J’ai l’impression d’avoir déjà vécu cette scène.

Sa gorge était sèche, rendant sa diction incertaine. Erin se pencha vers elle.

  — Chut. Ménage-toi. C’est vrai que ça devient une habitude.

Les yeux de Christa firent à nouveau le tour de la pièce. Elle lui rappelait celle de l'infirmerie de la mine de Solera.

  — Où est-on ?

  — A l'hôpital de Tampiro.

  — Et Steve ?

  — Il est hors de danger, mais il a quelques fractures. Toi tu t’en es bien tirée.

  — Il m’a protégée.

  — Je sais. Vous avez eu de la chance tous les deux.

Christa aurait bien voulu continuer à parler avec Erin : c'était si bon de se sentir encore vivante, de converser avec une autre personne. Mais elle était épuisée. Elle reposa sa tête sur l'oreiller et ferma les yeux. Une douce torpeur l'envahit. Les sons ne lui parvenaient plus qu'à travers un filtre cotonneux.

Au bout d'un moment, un médecin vint l’ausculter, puis une aide-soignante lui apporta un petit bouillon, et l’aida à le boire. Puis on la laissa se reposer.

Erin repassa un peu plus tard.

  — Ça va mieux on dirait !

  — Oui, merci. Les effets de l'anesthésie se sont estompés. C’est toi qui nous a trouvés ?

  — C’est moi, mais avec l’aide de ton équipe. Grâce à leurs instruments, ils ont réussit à vous localiser avec précision. On a creusé un puits vertical, depuis une galerie au-dessus de la votre, qui a débouché à quelques mètres de vous deux. C’était une bonne idée de frapper avec une pierre, ça nous a permis de gagner du temps. J’espère que l’on ne vous a pas trop fait attendre.

  — J’étais un peu dans les « vaps » et Steve était inconscient, heureusement pour lui.

  — Il a débloqué un peu…

Christa, surprise, lança un coup d’œil à Erin.

  — Débloqué… ?

  — Je veux dire : il a craqué.

Christa faillit protester mais elle vit que la mercenaire ne lui posait pas une question, elle affirmait quelque chose d'évident pour elle.

  — Pourquoi dis-tu ça ?

  — Il y a quelques années, nous nous sommes retrouvés en mauvaise posture, coincés entre les chinois et les russes, dans l'archipel de Xiang, sur la planète du même nom. Nous étions dans une carrière, cachés dans un renfoncement. Une bombe a explosé près de nous. L’onde de choc a provoqué un éboulement, nous avons été enterrés vivants. Steve était le plus mal placé. Il est resté coincé une quinzaine d’heures. Depuis, il ne supporte plus les lieux souterrains, il panique, impossible pour lui de se dominer. Alors je pense que cette fois-ci…

Christa resta silencieuse, revivant la scène dans ces souvenirs.

  — Je comprends. Mais alors pourquoi est-il quand même descendu dans la mine  ?

  — D’après toi ?

Christa rougit. Encore un peu groggy elle n'avait pas compris tout de suite. Elle secoua la tête et hésita une seconde.

  — Je voulais te demander… non, rien. C’est stupide.

Erin hocha la tête avant de se rapprocher du lit. Elle se pencha sur son amie.

  — Non, ce n’est pas stupide. Et puisque tu n’oses pas me les poser, je vais quand même répondre aux deux questions qui te tracassent. Est-ce que j’ai couché avec Steve, et est-ce que je suis amoureuse de lui ? La réponse à la première question est oui, la réponse à la deuxième question est non. On a fait ça lors d’une mission ennuyeuse au possible. Un moment on s’est retrouvés seuls tous les deux et voilà. Ça n’avait d’importance ni pour lui ni pour moi. On en a jamais reparlé, ni eu envie de remettre ça. D’ailleurs les hommes je m’en moque. Tu me vois mariée et mère de famille ?

Christa sourit un peu.

  — Pourquoi me racontes-tu ça ?

  — Je t’aime bien, et je ne voudrais pas que tu te poses des problèmes là où il n’y en a pas. Allez, je te laisse un moment, repose-toi.

Erin se rendit ensuite dans la chambre de Steve.

  — Alors, le héros est mal en point ?

  — Ce n’est pas le moment de me faire rire, j’ai deux côtes cassées, et le bassin qui me fait mal. En plus, bien sûr, de cette foutue jambe, cassée elle aussi.

  — Bon. Compte tenu de ces faits, je considère que tu n’es pas en état de commander. Donc je garde le contrôle des opérations.

  — N’en abuse pas.

La mercenaire se racla la gorge avant de reprendre la conversation, un rictus moqueur sur le visage.

  — Hum…Pourrais-je savoir ce que vous avez fricoté tous les deux, dans le noir ?

  — Je t’ai dit de ne pas me faire rire.

  — Mais je suis sérieuse. Tu ne lui as pas fait une déclaration d’amour ? Juste avant de risquer de mourir, cela aurait été classe.

Steve n'eut pas l'air d'apprécier la mise en boîte.

  — Tu n’es pas amusante.

  — Au moins comme ça tu n’as pas mal aux cotes.

Il réfléchit un peu avant de répondre à sa partenaire, en essayant d'éviter de parler de sentiments, comme celle-ci le souhaitait certainement.

  — Tu sais, c’est une drôle de fille ! Quand elle a compris que la mine était piégée et que ça allait exploser, elle était terrorisée ! Et après l’éboulement, alors que l’on était coincés sous des tonnes de roches, elle trouvait le moyen de plaisanter. D’ailleurs, rappelle-toi : elle avait eu la même réaction sur Solera, pendant le siège. Avant l’attaque, elle était morte de trouille. Rob l’a vu vomir dans les toilettes. Et au plus fort de la bagarre, elle est venue nous demander qu’on lui envoie les blessés, pour qu’elle les soigne. Elle s’est occupé de Carlos qui était mal en point, avec une très vilaine blessure.

  — Je crois qu’elle est aussi courageuse que nous, mais qu’elle n’a pas notre goût de la violence, de l’adrénaline. Pour nous, l’attente de l’action nous excite, elle, ça lui use le moral, ça l’angoisse.

Steve hocha la tête.

  — Tu as certainement raison.

Le sourire revint sur le visage d'Erin. Il n'allait pas s'en tirer comme ça.

  — Bon, ce n’est pas tout, quand est-ce que tu vas te déclarer ?

  — Me déclarer ?

  — Et bien oui : tu l’aimes, elle t’aime, vous n’allez pas continuer à ne pas vous approcher l’un de l’autre à moins de deux mètres. Quand vas-tu te décider à l’embrasser pour commencer ?

Steve sourit.

  — On s’est déjà embrassés… Enfin, elle m’a déjà embrassé.

  — Quoi ? Quand ça ?

  — Sur Solera, au moment du départ.

Erin était stupéfaite.

  — Elle t’a embrassé, et toi tu n’as rien fait, tu l’as laissée partir !

Steve détourna les yeux, embarrassé.

  — Et bien…je ne savais pas trop où j’en étais, si j’avais vraiment envie de m’engager…

Erin se masqua le visage avec ses mains pour mimer le désespoir ,puis elle s’approcha du lit de Steve.

  — Écoute-moi bien, grand connard : tu vas te dépêcher de lui parler, parce que si tu ne le fais pas, c’est moi qui vais la draguer. Figure-toi qu’elle me plaît bien à moi aussi, et il ne me faudra pas trois mois pour la mettre dans mon lit.

Steve la regarda, inquiet.

  — Tu es sérieuse ?

Erin explosa.

  — Oui, je suis sérieuse. Bien sûr qu’elle me plaît. Mais le problème n’est pas là. J’en ai marre de vous voir vous tourner autour, marre de te voir te comporter comme un puceau. Sois un homme merde ! Oui, qu’est-ce qu’il y a ?

Elle s’était retournée vers Carlos qui venait d’entrer sans frapper dans la chambre.

  — Heu…Christa voudrait parler à Steve. Elle dit que c’est très urgent.

Erin répondit sèchement.

  — Bon, je m’en occupe.

Carlos jeta un coup d’œil à son chef, un autre à la mercenaire, puis il s’éclipsa précipitament. Erin le suivit, récupéra un fauteuil roulant, y installa Christa malgré ses protestations, et la pilota dans la chambre de Steve. Celui-ci voulu se soulever un peu, mais une douleur fulgurante le fit grimacer, et il retomba sur son lit. Il essaya de sourire mais c’était plutôt une grimace.

  — Vous allez bien ?

  — En pleine forme. Le fauteuil, c’est une idée d’Erin, mais je pourrais m’en passer. Dites-moi, comment avez-vous su que j’étais en danger ?

  — Ivanov m’a contacté. Milton et lui ont été attaqués, et il voulait vous prévenir. Mais il ne savait pas où vous étiez. Il a pensé que j'étais peut-être au courant.

  — Vous l'avez renseigné ?

  — Pas question. Il n’a pas cessé de me rembarrer, chaque fois que je proposais quelque chose. Alors je lui ai dit que je savais quoi faire et c’est tout.

  — Bon, alors je peux vous dire que vous le sous-estimez. Il vient de me rendre visite.

  — Quoi ? Il est là ?

  — Son cargo est un peu plus lent que votre vaisseau, sinon il serait arrivé en même temps que vous. Mais le problème n’est pas là. Il est déjà reparti pour aller secourir Hugues qui est en mauvaise posture. Son yacht a été saboté, et il est certainement coincé sur un astéroïde du système 24325.

  — Oui, et alors ?

  — Et bien je viens vous demander l’aide de votre équipe. Je sais qu’ils n’ont pas été sympa avec vous, mais ce sont mes amis, et je n’ai pas envie de les perdre.

Steve resta songeur un instant puis il consulta Erin du regard. Celle-ci fit un pas en avant et déclara d'un ton péremptoire :

  — Nous décollons dans une heure. Christa, tu rapatries Steve sur Ursianne, dans ton vaisseau. Personne ne reste ici, ça craint trop.

Steve protesta.

  — Je peux très bien rester sur la passerelle du "Cheval de Troie ".

  — Pas question. C’est moi qui commande ici.

Elle ouvrit la porte de la chambre et héla Carlos.

  — Ramène Christa dans sa chambre, qu’elle prépare ses affaires.

Dès que la jeune femme fut sortie, elle se rapprocha de Steve et lui expliqua à mi-voix.

  — Je n’ai pas envie de la voir rappliquer au milieu d’une bataille. Tant qu’elle s’occupe de toi, elle ne fera pas de bêtise. Et puis, tu pourras toujours en profiter pour tu sais quoi...

Elle lui fit un clin d’œil avant de faire demi-tour et de quitter la pièce.