056 Debriefing

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  Une demi heure plus tard, le « Cheval de Troie » avait rejoint le « Babouchka » dans l'espace. Ils firent un dernier point entre eux avant le premier saut.

  — Ici Boris. Merci du coup de main.

  — Pas de problème, nous étions venu pour ça. Pas trop de casse ?

  — Ruslan est blessé à l'abdomen. Il est sous sédatif. Nous nous dirigeons vers la planète la plus proche pour le faire soigner. Autrement, un blessé léger chez nous et deux dans l'équipe de M. Milton.

Christa s'introduisit dans la conversation.

  — Je peux parler à Hugues ?

  — Je t'écoute.

  — Tu vas bien ?

  — Pas de problème.

  — Comment ça s'est passé ?

  — Je suis tombé dans un piège. Lorsque je me suis posé sur l'astéroïde, près de la balise de guidage, une explosion a eu lieu. « L'étoile filante » était sérieusement endommagée, impossible de redécoller. Les gars que vous avez combattus sont restés en observation, comme s'ils attendaient quelqu'un. Par contre votre arrivée a précipité les choses. Et toi ?

  — Steve m'a sauvé la vie, j'aurais envie de dire « comme d'habitude ». Il a été blessé, mais ce n'est pas trop grave.

  — En tout cas, merci à tous, et à bientôt, tu sais où sur Ursianne.

Sur la passerelle du « Cheval de Troie » le silence régnait. Erin, assise dans le siège du Capitaine, surveillait le tableau de bord. Christa, a ses cotés, était perdue dans ses pensées. Carlos bailla, accablé par la fatigue.

  — Si cela ne vous ennuie pas, je vais me reposer un moment. Je serais de retour pour t’assister lors de l’atterrissage.

  — OK fit Erin distraitement.

Comme il se dirigeait vers la coursive elle le rappela.

  — Carlos ?

  — Oui ?

  — Tu as fait du super boulot. Merci.

Surpris par le compliment auquel il ne s'attendait pas, il rougit un peu.

  — C’est moi qui te remercie de me l’avoir laissé ma chance.

Il sortit.

  — La hache de guerre est enterrée ? Demanda Christa.

Erin ne répondit pas directement.

  — Tu sais que tu es une emmerdeuse de première ? Tu te rends compte de la situation dans laquelle tu m’as mise vis à vis de Carlos ? Et de sa situation vis à vis de moi ? Pour une fois que je commande, je me retrouve avec un cas d’insubordination caractérisé. Lui, le meilleur élément de notre équipe, risque de perdre sa place.

  — Je suis désolée Erin. Je ne voulais pas vous mettre tous les deux dans cette situation. Je ne raisonne pas comme vous : j’avais deux amis en danger, il était exclu que je ne fasse rien. Tout le reste pour moi ne comptait pas.

  — Je ne t'en veux pas pour le fait de t'être introduite en fraude sur le « Cheval de Troie », mais pour avoir abusé de la reconnaissance de Carlos à ton égard. Tu l'as obligé à mettre en balance sa carrière avec ce qu'il considère comme une dette d'honneur.

Christa secoua la tête, navrée de cette incompréhension entre elles deux.

  — Si ça avait été pour moi, je ne lui aurais jamais demandé ce genre de service. Par contre, pour mes amis... Tu sais pour moi l'amitié c'est sacré. Je ne resterai jamais inactive si une personne de mon entourage a besoin d'aide. Et tu fais partie des gens qui me sont chers.

Erin la regarda attentivement sans répondre. Elle était plus touchée qu'elle ne voulait l'admettre, par le discours de Christa. Celle-ci continua.

  — Oh je sais, vouloir t'aider, toi la guerrière, moi qui ne suis qu'une petite scientifique, cela parait loufoque. Pourtant j'ai pu le faire pour Carlos, alors... Mais je t'en prie : pas d'imprudence : je n'ai aucune envie de te voir revenir sur un brancard, le ventre ouvert !

Erin fit une grimace : sans le savoir, Christa venait de réveiller en elle des souvenirs pénibles. Celle-ci continua ses explications.

  — Pour revenir à ce que je disais tout à l'heure, lorsque tu m’as fait enfermer dans la cabine je n’ai pas compris. J’avais réussi à monter à bord, il était évident que j’allais participer à l’expédition. Là, entre ces quatre murs, j’ai eu le temps de réfléchir et de voir la différence entre nous, comment tu fonctionnes… Mais putain qu’il faisait froid là-bas dedans.

Erin sourit.

  — Le coup de la climatisation en panne, je l’avais oublié, je te le jure.

Christa secoua la tête.

  — Quand même, m’enfermer alors que je voulais aider mes amis…

  — Tu raisonnes comme une gamine trop gâtée : elle demande quelque chose, les parents disent non, elle passe outre, et se fait à peine gronder, parce qu’ils sont trop faibles avec elle. Chez nous, ça ne fonctionne pas comme ça : la discipline est la force première des armées, comme des troupes de mercenaires. Lorsque l’on risque sa vie, il est indispensable d’avoir cent pour cent confiance dans ses coéquipiers. Si ceux-ci se permettent de réévaluer chaque décision, ce n’est plus possible. Je m’étais débrouillée pour que tu ne viennes pas, Carlos ne devait pas te faire monter. C’est une grosse faute, et malgré ce qu’il a fait après, il ne m’est pas possible d’en rester là.

  — Reconnais qu’il était utile que je sois là : sans moi, Ruslan n'aurait pas collaboré. Et cette tête de mule allait droit se faire massacrer. Et Carlos a bien tenu son rôle, tu l'as reconnu toi-même.

  — Oui, bien sûr, mais ça ne change rien au problème : c’est une question de discipline.

Christa soupira.

  — Écoute-moi, je t’en supplie. Considère que tout ceci est de ma faute. Je ne veux faire de tord ni à toi ni à Carlos. Oublie que j’ai demandé cette expédition comme un service. Je suis cliente, je t’ai affrétée avec tes hommes pour une mission, j'en paierai le prix. Je te demanderai juste des facilités, parce que ma trésorerie n’est pas terrible en ce moment.

Erin resta muette. Christa chercha d’autres arguments.

  — Je souhaitais que l’on soit amies. Si tu estimes que ma faute est grave, tant pis pour moi. Tu ne me verras plus. Mais ne fout pas en l’air la carrière de Carlos c’est trop important pour lui.

Erin frappa du poing le tableau de bord.

  — Putain, tu fais chier ! D’une part tu es la pire des emmerdeuses, mais d’autre part tu es tellement généreuse que l’on ne peut pas t’en vouloir. On est obligé de t’aimer.

Christa voulu parler mais Erin l’arrêta d’un geste de la main.

  — Je vais tout mettre dans les mains de Steve. En minimisant les choses, Carlos s’en sortira avec un blâme et une petite amende, pour le principe. Quand à te considérer comme une cliente ce n’est pas mon problème. Le patron c’est Steve, c’est à lui de gérer.

Elle avait parlé en regardant obstinément le tableau de bord. Dans son esprit tournait les souvenirs de tout ce qu'elle avait fait pour éloigner Christa, lui cacher ses vrais sentiments. Elle se retourna vers elle pour ajouter, hésitante :

  — Quant à ton amitié, je ne sais pas si j’en suis digne…

Christa bondit, se pencha vers elle et lui passa un bras autour du cou.

  — Tu plaisantes ? Tu es une fille formidable. Derrière tes allures de guerrière, tu as un cœur énorme.

Les deux femmes avaient leurs visages très près l’un de l’autre. Erin ressentit comme un vertige. Elle avait envie d’attraper Christa à pleins bras, de lui dire que ce n’était pas d’amitié dont il s’agissait, que c’était bien plus profond, bien plus total…

Des pas résonnèrent dans la coursive. Christa se redressa et vit Rob qui entrait sur la passerelle.

  — Alors les filles on papote ?

Elle répliqua sèchement :

  — Que voilà une réflexion machiste : les hommes discutent, les femmes papotent ! Ben voyons, c’est évident !

Rob sourit et répondit en faisant une petite révérence... un peu irrévérencieuse :

  — Oh là là, je vois qu’il y a du répondant malgré l’heure tardive. Mesdames, je vous présente mes excuses si mon attitude a pu vous paraître grossière.

Erin se leva.

  — Prends ma place au lieu de faire le clown. Je vais essayer de dormir une petite heure. Christa tu veux te reposer ?

  — Dans la cabine numéro quatre ? Merci bien. Je préfère ce fauteuil sur la passerelle.

  — Le lit du capitaine est plus grand que les autres, privilège du grade. Je peux te faire de la place.

  — Non, c’est gentil. Je ne veux pas te gêner, Tu as besoin de récupérer.

Erin faillit insister, mais elle surpris le sourire égrillard de Rob. Elle haussa les épaules et sortit.

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